Algérie

Les cadres, ces mal-aimés



De quoi peuvent bien discuter les cadres algériens lorsqu'il s'agit de débattre de la politique de leurs pays. De la politique française. Des dernières retombées sur la France du divorce de Sarkozy d'avec la belle et rebelle Cécilia. De la position de la droite et de celle de la gauche qui a vécu le divorce post-électoral de Ségolène, par rapport à cette inattendue séparation. Des déclarations des uns et des autres quant à l'avenir de Nicolas qui refuse toute déclaration jugeant son intimité inintéressante aux yeux des Français sans pour autant interdire aux Algériens de s'y intéresser. Bref, de ce que révèlent les différents JT qui débattent sans répit de tout ce qui concerne la vie publique. En France, bien sûr et surtout. Les cadres algériens sont donc suffisamment accrochés aux télévisions françaises qui les alimentent en analyses même sur ce qui se passe chez nous et c'est ce qui leur permet de se forger une opinion. Cette évasion vers l'ailleurs constitue une sorte d'aération au gouffre creusé par les problèmes nationaux et devant lesquels aucune solution n'est adaptée, sinon celles connues et sues par tout le monde, mais que personne ne comprend pourquoi elles tardent à être mises en oeuvre. Cette évasion est une sorte de fuite devant une réalité contre laquelle on n'y peut rien, puisque imposée par une loi du silence des tenants de la gouvernance locale sur le mode de la tribu, sur celui du « cause toujours tu m'intéresses ». L'on s'interroge alors pourquoi les cadres ne s'investissent majoritairement que dans ce qui représente pour eux une amélioration de leur quotidien. Construire une maison tant bien que mal, s'équiper en commodités de quoi assurer une relative autonomie par rapport à l'environnement, chercher parfois vainement un établissement scolaire correct pour les enfants, et enregistrer dans les jets des paraboles de quoi alimenter une discussion lors de différentes rencontres. Au-delà des préoccupations matérielles que des pays de moindres richesses que nous ont réglé pour leurs cadres que peut-on donc espérer obtenir de notre pépinière humaine si personne n'y puise semences à planter pour l'avenir ? Pourtant, des sommes énormes ont été investies pour la formation, pour la création d'emplois, mais il manque ce petit quelque chose qui agrémente la vie et qui doit se traduire par de meilleures performances, un plus grand engagement pour sortir le pays de sa misérable gouvernance. Comment donc la détecter sans écrire l'Histoire du cadre algérien ? En dehors d'une poignée de médecins, d'avocats, de pharmaciens que la colonisation a consentie à former depuis la fin de la Première Guerre mondiale, qu'on pouvait facilement compter pour leur nombre restreint et qui ont, pour la plupart rejoint l'ALN, combien avions-nous de cadres à l'indépendance pour démarrer un pays sortant de la guerre de sept ans ? Moins d'une poignée de médecins, d'avocats, de pharmaciens, un architecte et une pincée d'ingénieurs. On inventa alors le « cadre de la Révolution », forgé militairement dans la pratique des maquis ou des camps hors des frontières sans aucune expérience de gestion mais, disait-on à l'époque, de « bons meneurs d'hommes ». Ces derniers ont pu tant bien que mal amorcer la machine économique et administrative avec le soutien de la coopération technique. Ils ont pour certains appris sur le tas non sans être embrigadés par les structures du parti unique. Qui pouvait au sortir de la guerre dénoncer un parti qui avait mené des batailles politiques et militaires jusqu'à l'Indépendance du pays et qui inscrivait sa logique de fonctionnement dans l'air du temps ? En dehors de quelques opposants qui voyaient dans l'indépendance un retour au multipartisme et à la liberté de choix idéologique qu'ils ont chèrement payé par la prison ou l'exil ou même de leurs vies, personne ne pouvait remettre en cause les agissements des chefs de kasmas, véritable police politique entre les mains de revanchards sans instruction cultivant le mépris et la haine des cadres instruits. Le système venait donc de démarrer ainsi par la soumission des cadres aux règles de l'inculture. Certains ont résisté d'autres se sont crus obligés d'adhérer au système pour maintenir leurs postes et les avantages qui les accompagnent. Ceux-là « ont fait du chemin » et se sont retrouvés dans de bonnes positions dans la hiérarchie de l'Etat. Les autres sont partis ailleurs ou ont plongé dans la marge. Les Universités, vivier de la formation supérieure se sont vues attribuer la lourde charge de fournir pour le pays les cadres qui devaient prendre en charge son développement vu sous l'angle essentiellement industriel. Plus d'ingénieurs appelés pour les besoins de la cause technocrates et orientés plutôt vers des technologies d'importation, plus de médecins pour la couverture sanitaire de la population, plus d'architectes pour les programmes de construction, ont été formés aux côtés d'autres formations aux sciences sociales de moindre intérêt pour les gouvernants. Résultats : les industries ont coulé sauf pour les hydrocarbures qui se maintiennent par la grâce du marché international, la couverture sanitaire a enfanté la gratuité des soins avant de faire le bonheur des cliniques privées et de la santé à tout prix, les programmes de logements ont enfanté les Chinois et les sciences sociales se sont tues devant le déséquilibre socio-économique. Une mauvaise arabisation menée sur le terrain de la démagogie s'est soldée par un analphabétisme multilingue. L'article 120 constituait le succès le plus impressionnant des forces de la régression sur l'intelligence et sur la liberté d'agir et de penser. Vinrent ensuite les « campagnes d'assainissement » successives qui ont donner à la prison d'El-Harrach et de Sekadji le nom d'« école des cadres ». Salis, marginalisés, soumis à l'obédience, laminés, déculturés, déchirés, les cadres qui font la force d'une nation ne peuvent être analysés sous une seule catégorie. Ceux des administrations perçoivent des salaires moins importants qu'un agent de sécurité à Sonatrach. La tentation par la corruption devient de plus en plus grande. La libéralisation est un fourre-tout qui ne profite qu'aux plus malins. L'environnement culturel est réduit à quelques sorties familiales. Les débats sont réduits à quelques cercles, toujours les mêmes, toujours la même chose. Que reste-t-il ? La télévision française et le zapping. Là au moins, les cadres peuvent se cultiver, se détendre, mener une vie en retrait en attendant la retraite. Même les prochaines élections ne les intéressent plus sachant à l'avance leurs aboutissements. Les autres catégories les considèrent comme des suceurs de sang. Le pouvoir les récupère ou les exclue pour dégripper sa machine en panne. La France les attend et l' « immigration choisie » remplace la «colonisation positive».
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