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"Le théâtre est devenu docile"


Fondateur de la troupe indépendante El Qalaa, le dramaturge Ziani Chérif Ayad est une icône du 4e art algérien. En quarante ans de carrière, il a marqué les planches nationales et internationales, en travaillant notamment avec de grandes personnalités, à l'instar de Azzedine Medjoubi et de Sonia. L'ancien directeur du théâtre national Mahieddine-Bachtarzi revient dans cet entretien sur les moments forts de ce secteur depuis les années 60, sur l'absence d'une politique culturelle pour son émergence, les festivals budgétivores ainsi que le chantier de réforme qui prévoit de convertir le statut de coopératives en start-up.Liberté : Quel regard portez-vous sur le théâtre de ces dernières années en Algérie '
Ziani Chérif Ayad : Il faut se poser les bonnes questions et elles ont été posées par ceux qui nous ont précédés au début de l'indépendance. Ces interrogations portaient sur la culture et notamment sur le théâtre : comment faire du théâtre ' À qui est-il destiné '
Et ils ont apporté des réponses. En 1963 est né le Théâtre national algérien (TNA), qui a réuni à cette époque la troupe du FLN qui a réalisé un travail sur la question algérienne et la lutte en Algérie.
Voilà une approche du théâtre qui se veut responsable, qui parle de sa société et des luttes de son peuple.
Cette troupe a été rejointe par toutes celles qui exerçaient en Algérie, comme celle de Kaki à Mostaganem, le théâtre populaire de Rouiched... C'était un ensemble artistique pluriel en nombre, en sensibilité et en approche.
À cette époque, il y avait une plateforme, dont la priorité était : "Nous allons nous réapproprier notre culture et la destiner au peuple." Cette démarche a été approuvée par le politique, mais elle a surtout été insufflée par les professionnels de l'époque. Le ministère offrait seulement les moyens à ces artistes. Ce n'est pas de la nostalgie quand je parle de cela, mais tous ceux ayant connu le théâtre de cette période peuvent en témoigner comme étant un théâtre vigoureux, moderne et avant-gardiste. D'ailleurs, la devise de l'époque prise de Brecht disait : "Nous déduisons notre esthétique des besoins de notre combat." Après la concentration du 4e art à Alger, il y a eu ses satellites : les régionaux à Constantine, à Annaba, à Oran et à Sidi Bel-Abbès, qui étaient dirigés par le TNA. Puis, il y a eu la décentralisation qui a été un fait assez important pour des troupes qui travaillaient dans la proximité. Jusqu'aux années 1970, le théâtre fonctionnait d'une manière très professionnelle. Il s'est inspiré de grandes traditions du théâtre français, italien... Ses contenus étaient liés à des problématiques politiques, culturelles et sociétales.
C'est un théâtre très proche du public populaire issu de toutes les classes confondues. Après, la bureaucratie a commencé à reprendre du poil de la bête, et le ministère de la Culture a commencé à être très présent. À cet effet, le théâtre est devenu plus docile ; qui ne dérange pas le régime en place.
Cette crise est-elle due à une absence de volonté politique '
Absolument ! Les professionnels des années 1970, à un moment donné, ont été exclus, ils n'étaient plus les décideurs de leur théâtre. Les artistes ont toujours fait des propositions pour le changement, pour la création d'un vrai théâtre institutionnel, un vrai théâtre public, dans lequel l'Etat met les moyens pour que la culture soit destinée à tout le peuple.
La culture doit être un instrument pour le citoyen. Mais nos propositions restaient lettre morte. Il y a absence d'une vraie politique culturelle.
Pensez-vous qu'il y a eu une rupture entre l'ancienne et la nouvelle génération '
Dans une continuité, il y a des générations qui se succèdent, une génération qui prend de l'autre et avance avec son propre regard et sensibilité. Par exemple, un metteur en scène de l'ancienne génération possède sa propre vision de l'esthétique, de la société, de la politique, et nous le sentons dans le choix du texte et de sa mise en scène. Un jeune metteur en scène, qui peut avoir le même point de vue, aura une autre vision. Il ne peut y avoir de continuité, car il n'y a pas de vraies assises, une vraie stratégie et une vraie politique. Il y a de jeunes metteurs en scène qui sont là comme de petites hirondelles, mais ils ne feront jamais le printemps du théâtre, comme cela se fait dans des pays où il y a une vraie tradition (réunions de réflexion autour du théâtre).
À ce propos, si nous faisions un état des lieux des festivals, il n'y a jamais eu de festival ! Ce dernier doit avoir une ligne éditoriale, un regard sur le théâtre. Il doit être une tribune de réflexion. Ces vingt dernières années, il n'y a jamais eu autant d'argent dépensé dans le théâtre. Il a été dépensé d'une manière anarchique : il n'y a pas eu de formation, de création, les salles construites ne sont pas conformes et n'ont pas été équipées par du matériel professionnel, à l'instar de celle de Mostaganem. Durant les festivals, le budget était dépensé dans les hôtels. Aujourd'hui, c'est pire, car il n'y a plus les moyens. Mais il y a de jeunes talents, de jeunes comédiens qui cherchent à évoluer, mais qui ne trouvent pas de cadre pour travailler.
Le ministère de la Culture et des arts vient de lancer un chantier de réforme. Que pensez-vous de cette initiative '
Il y a eu des ministres et de grandes messes sur le théâtre.
Je ne pense pas qu'on puisse régler les problèmes en organisant des réunions. Aujourd'hui, je sens qu'il y a un frémissement, je ne peux qu'y croire et nous allons encore essayer pour la génération à venir. Le président du groupe de travail Hmida Ayachi et moi sommes sous la même fréquence ; nous nous comprenons.
Nous (les professionnels) n'avons jamais eu ce genre de conversation avec des interlocuteurs du ministère, car ils ne connaissaient pas le théâtre. C'est important d'avoir en face des personnes qui connaissent le métier, et c'est une note positive. Hmida connaît très bien le 4e art.
Vous êtes membre du groupe de travail. Quelle sera votre contribution, votre rôle ainsi que vos objectifs pour sortir le théâtre du marasme '
En quarante ans de métier, j'ai capitalisé de modestes connaissances sur le théâtre, sur son organisation, sur l'environnement de la création, sur la formation et la gestion... Je pense que je peux modestement proposer une plateforme qui va secouer le cocotier ; permettre à des sensibilités différentes de s'exprimer ; ne pas avoir seulement le regard classique et traditionnel. Il faut ouvrir les théâtres et leur (artistes) donner les moyens pour qu'il y ait de la création et de l'expérimentation. Le noyau va se pencher sur cela, et ce qui m'intéresse le plus, c'est de donner aux artistes la possibilité de s'exprimer.
Parmi les prérogatives, la conversion du statut des coopératives en start-up. La privatisation permettra-t-elle de relancer ce secteur '
Le théâtre est une troupe. Le théâtre ne peut se développer qu'avec un théâtre public fort, dans lequel l'Etat met les moyens pour le développer.
Ce n'est pas avec le privé et le mécène qu'on peut faire du bon théâtre. Ils peuvent être un complément, car il y a des artistes qui veulent travailler plus librement. Pour rappel, le système de coopérative a été créé pour une période provisoire. Elle a été créée au moment où l'on pouvait faire du théâtre en dehors du public (étatique), c'était à l'époque de Alloula qui a pris la coopérative agricole, qu'il a adaptée au théâtre. Le théâtre est une troupe, une compagnie et non une start-up ! Le théâtre public est le seul garant pour un théâtre populaire, un théâtre destiné aux citoyens.
L'argent gaspillé durant ces vingt ans, on aurait dû l'investir dans les théâtres de poche. La capitale ne possède qu'un seul théâtre ! Normalement, dans chaque quartier, nous trouvons un établissement de 40-50 places.
Il y a mille lieux pour réaliser des théâtres ! Il y a aussi le théâtre de rue, de marionnettes qu'il faut développer.
Entretien réalisé par : Hana Menasria
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