Algérie

Le temps presse



En voyant, jeudi dernier, tourner, pour la première fois, la rutilante rotative commune à El Watan et El Khabar, plusieurs impressions me sont venues. Puissance du savoir et de la technique portée par le même bruit que celui d?une rame de métro qui n?aura mis, celle-là, que dix mois pour démarrer. Cette idée aussi que sans liberté d?impression, il ne peut y avoir de libertés d?expression. Et puis, devant les cylindres chromés entraînés dans leur course vertigineuse, un flash du film La Bête humaine, cette locomotive allégorique du dur combat contre le temps. Enfin, diverses réflexions sur le rapport entre l?imprimerie et la culture (ne dit-on pas les arts graphiques ?), sur ce génie des antiques Chinois puis de Gutenberg ouvrant à l?humanité une voie lumineuse. Ce n?est pas rien une imprimerie, pas rien du tout même ! Et, sous les auspices d?Alger, capitale de la culture arabe, comment ne pas relever le retard pris en la matière par le monde arabe ? Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que l?imprimerie commence timidement à y concurrencer les copies manuscrites réservées à d?infimes élites. Trois siècles auparavant, l?Europe avait déjà réalisé les premières impressions en arabe pour permettre justement à ses lettrés d?accéder à l?héritage scientifique, philosophique et littéraire de la civilisation musulmane. La Renaissance est née plus de ces presses-là, que du talent merveilleux de ses peintres. La première imprimerie du monde arabe aurait vu le jour vers 1610, chez les moines maronites du Mont-Liban. En 1798, Bonaparte laisse en Egypte une presse qui, après son départ, aurait été jetée à la mer. Il fallut attendre 1822 pour qu?ouvre au Caire la fameuse imprimerie Boulaq dont les machines sont aujourd?hui exposées à la Bibliothèque d?Alexandrie. C?est sur celles-ci que sortit en 1828 le premier journal arabe, El waqa?ii el misrya (Réalités égyptiennes). Mais quel retard ! Comme celui que l?Algérie a pris en matière de formation aux métiers de l?imprimerie. Car, tandis que les équipements se sont multipliés et modernisés, un seul centre, à Bir Mourad Raïs, s?efforce de former avec des moyens de fortune. Certes, quelques imprimeurs ont réussi à se hisser à de hauts niveaux. Mais nous sommes encore loin du compte au regard des besoins immenses du pays. Et, avec notre boulimie habituelle de nouveautés et de gadgets, nous ne voyons pas que les pays les plus avancés en matière de technologies de la communication n?ont pas abandonné l?imprimerie. Comme au temps de la Renaissance, ils savent que le temps presse encore.


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