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«Le problème est celui de la relève» Brahim Tsaki. Réalisateur algérien



«Le problème est celui de la relève»                                    Brahim Tsaki. Réalisateur algérien
Cinéaste d'une grande sensibilité, sa démarche originale lui a valu de belles distinctions.
- Vous inaugurez un cycle des cinéastes algériens formés en Belgique avec une rétrospective de vos films. C'est un beau retour, non '
Ce que j'ai vécu cette semaine est de bon augure, du moins par rapport à l'occasion qui m'a été offerte (lire Repères ci-dessous). Mais si c'est beau, ce n'est pas un retour. J'étais là, en 2007, pour tourner Ayrouwen grâce aux budgets dégagés par «Alger, capitale de la culture arabe». J'en garde un souvenir merveilleux, celui du Sahara et celui de la disponibilité du producteur, Belkacem Hadjadj. Quand je suis revenu, il est vrai qu'on ne m'a trop vu. J'étais soit chez le producteur, soit chez moi et, assez longtemps au sud pour les repérages et le tournage. En revenant à Alger, je ne suis pas sorti beaucoup non plus. Je me suis rendu compte que ce n'était plus comme avant, quand les cinéastes, les artistes et les journalistes avaient leurs lieux pour se rencontrer, discuter, échanger. Dans tout ça, je n'ai jamais eu l'impression d'avoir quitté le pays. Même si on vit ailleurs, on est toujours ici quelque part. Il y a un épisode de ma vie que personne ne connaît. A partir de 1996, je suis resté au pays deux ans et demi. J'étais à Sidi Bel Abbès. C'était un moment particulier. Peut-être qu'un jour, ces deux ans et demi sortiront quelque part dans ma création.
- En tout cas, c'est votre retour face au public...
Vous savez, à un moment ou un autre, un cinéaste veut revoir sa filmographie. Pour s'interroger. Tiens, là j'ai raté le coup, là j'ai fait l'idiot, là c'est un peu mieux' Et là, la perception du public est très importante. Cette perception ne peut être la même qu'il y a quelques années, surtout avec ce système de cinéma à l'américaine qui s'est imposé partout, un cinéma plus rapide, plus saccadé, le formatage des séries télé, les images qui passent par Internet et tout ça. Je me suis dit que le public allait sûrement me dire d'arrêter, qu'un plan-séquence de 2 à 3 minutes, c'est de la smata (ennui extrême) ! A l'époque, quand mes films sont passés à la Cinémathèque, il y a eu des débats un peu houleux. Il y avait des cinéphiles mais aussi des gens qui sortaient après 5 minutes. Et là, ce n'était pas le cas. La salle n'était pas remplie à ras bord, mais c'était une salle de jeunes, beaucoup de jeunes, et ils étaient attentifs durant toute la durée des films. J'ai l'impression que cette génération télé n'a pas eu de vie du cinéma et qu'elle veut rattraper le temps perdu.
- Vous-même, depuis quand n'avez-vous pas vu vos films '
J'ai fait Gare de triage en Belgique. Je ne l'avais pas vu depuis septante seize, comme disent les Belges, 76. Et je l'ai revu cette semaine, soit' 35 ans après ! Et d'après le feed-back, eh bien, ça fonctionne. Quelqu'un m'a dit : vous savez, la sélection scolaire en Belgique à l'époque, c'est la même que l'on retrouve aujourd'hui en Algérie. Le cinéma peut être un objet éphémère qui se consomme et que l'on jette. Vous n'avez qu'à voir ce qui se passe ailleurs. Un film qui n'atteint pas en une semaine tel palier d'entrées est automatiquement enlevé. Les Enfants du vent est passé à la télévision algérienne et dans des cinémathèques ou ciné-clubs. Il a laissé des images marquantes. Et c'est le plus important.
- Votre attachement au monde de l'enfance aurait-il des ressorts personnels '
Je crois qu'une idée ou une manière de faire n'est pas consciente à 100%. Il y a certainement des choses de mon enfance qui doivent être là mais, franchement, je ne sais pas lesquelles. On habite un pays où 70% de la population a moins de 20 ans ou 25 ans. Fatalement, la réalité des choses dans notre pays, c'est la jeunesse, l'enfance. Il y a peut-être autre chose d'inconscient, mais là il faudrait faire une psychanalyse. Je laisse ça à d'autres !
- Parallèlement au zoom qui vous est consacré, vous animez un atelier d'écriture de scénario'
Ce n'est pas une formation, cela demanderait plus de temps. Je m'efforce de transmettre des éléments de base, de bien faire comprendre que le scénario est un document qui doit servir à une équipe aux métiers très différents : producteur, réalisateur, décorateur, tout le monde, jusqu'à l'éclairagiste ou le preneur de son. Il doit être une référence commune à ces différentes compétences et, même après, en post-production. C'est une écriture particulière qui doit être lisible en images, en sons, en durées, plans... Les participants commencent à bien comprendre que l'écriture de scénario n'a rien à voir avec l'écriture littérature. Ils ont compris aussi que le scénario passe d'abord chez le producteur. Le principe, c'est que celui qui va le lire ne le lâche pas. Sinon, c'est fini. Ailleurs, des milliers de scénarios sont présentés. Si le synopsis n'a pas accroché, le scénario risque de ne pas être lu. Souvent aussi, ils sont lus en diagonale, cent pages en un quart d'heure.
- On dit que vous avez des scénarii dans vos tiroirs'
Pour l'instant, j'en ai trois, plus ou moins terminés. Je vais passer à la phase dure, la recherche de financements ! Je suis à la période charnière. Dans un mois environ, j'aurais finalisé deux scénarii. Je ne cours plus après un seul projet. J'en poursuis plusieurs et celui qui rencontre un producteur, eh bien, au boulot !
- Avec du recul, comment envisagez-vous le cinéma algérien actuel '
Je pense que sur le plan filmique, nous avons toujours une qualité intrinsèque qui est l'héritage de l'ONCIC. Ce que cette époque a semé est encore là. Quand je revois les anciens films, l'image est professionnelle. Ayrouwen a été tourné avec une équipe d'anciens de l'ONCIC ou de la télévision algérienne. On a fait ce film il y a deux ans, et ces gens-là on les a trouvés, ils sont encore là. Mais ce qui est inquiétant, c'est après. Le problème est celui de la relève, du lien d'une génération à l'autre. Le drame, c'est que les jeunes qui arrivent sont happés par une technologie, effectivement sophistiquée, c'est dans l'air du temps, mais sur le plan expression cinématographique, ils n'ont pas souvent les bases. Pour avoir l'espoir d'un beau cinéma, il faut se pencher là-dessus.
- D'où le besoin d'une école de cinéma'
Oui, elle est nécessaire. Mais le système le plus intéressant, c'est une production continue. Si on fait un film comme une hirondelle qui ne fait pas le printemps, une fois de temps en temps, le niveau baisse. Les techniciens du cinéma peuvent se former sur les tournages. Je ne suis pas fondamentalement pour ramener des étrangers, mais si c'est nécessaire, il faut en ramener de bons et, à ce moment, obliger chacun à prendre de jeunes stagiaires algériens. On peut ainsi créer un effet boule de neige. D'autres l'ont fait.
- Dans les années '70, nous avions un cinéma aux figures imposées, avec des 'uvres de rupture cependant. Aujourd'hui, percevez-vous une nouvelle approche '
Certainement, les préoccupations des Algériens ne sont pas les mêmes. Dans l'environnement, on a moins de présupposés politiques ou idéologiques comme ceux des années '70 avec la révolution agraire, la révolution industrielle, etc. Il y a une modification profonde de la société. Avant, on était des frères. Dans le parti unique, on se nommait frères. Tous les discours commençaient par «chers frères». Les choses ont changé ; la tribu des frères est devenue une société de citoyens. La presse, par exemple, est, paraît-il, une des meilleures du monde arabe.
- Vous travaillez à l'étranger '
Eh bien, non. A un moment de ma vie, j'ai travaillé un peu sur des trucs alimentaires. C'est dur, j'ai galéré, comme on dit. Mis à part mon film-diplôme et Les Enfants des néons, produit en France, tous mes films ont été faits et financés ici. Je travaille lentement, c'est dans mon caractère. Bien sûr, je ne m'enrichis pas (rires) ! Sinon, mon objectif est de faire un film tous les deux ans. Je ne suis pas un productiviste.
- Vous êtes le premier interviewé de l'année. Un message peut-être '
Je ne suis ni moralisant, ni chef de groupe, ni secrétaire général d'un parti des cinéastes. Je voudrais simplement souhaiter bon courage à tous mes collègues cinéastes, qu'ils gagnent un peu d'argent et surtout qu'ils prennent du plaisir à faire leurs films. Et bonne année à tous les Algériens et Algériennes et au monde !
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