Algérie

Le linguiste Abdou Elimam à La voix de l’Oranie




«La langue, un habillage sonore et une mémoire collective» Après «Le maghribi, alias ed-darija», suivi de «Langues maternelles et citoyenneté en Algérie», nous avons droit à «L’exception linguistique en didactique». Dans ce dernier ouvrage, le linguiste Abdou Elimam -qui nous accorde ici un entretien- aborde des questions de fond sur le langage et les langues humaines. Ses éclaircissements sont fouillés et écrits dans un style «bon enfant», un style proche de nous, les non-spécialistes. Abdou Elimam est à jour sur les grandes questions épistémologiques de la science du langage et de ses liens de plus en plus étroits avec les neurosciences ainsi que les sciences cognitives. Son livre servira de recyclage et sera utile, surtout aux étudiants en langues, en linguistique et autres sciences de l’éducation. Les décideurs politiques gagneraient à le connaître. Des erreurs stratégiques en matière de politique linguistique pourraient, à l’avenir, être épargnées à notre pays. De plus, ils trouveraient pas mal d’arguments forts et, surtout, consensuels auprès de la communauté scientifique internationale. - Pouvez-vous nous dire, en quelques mots, de quoi traite votre dernier ouvrage? - Il s’agit d’une mise à jour de deux piliers de l’enseignement des langues et de la linguistique. Ou plutôt de la science du langage, d’une part; et de la didactique, de l’autre. Après mon retour au pays, il y a à peu près 5 ans, j’ai découvert que l’enseignement de la linguistique se faisait par des non-linguistes. Des enseignants provenant de la littérature, des langues étrangères, parfois d’autres sciences humaines, et même des mathématiques! Je découvre également que la didactique des langues est réduite à une sorte de «didactique générale». Or l’enseignement des langues répond à une logique qui ne peut être mise sur un même pied d’égalité que celle de la chimie, des mathématiques, voire de la plomberie. Et la restitution d’une telle logique spécifique repose sur une appréhension du langage et des langues qui soit en adéquation avec la réalité de notre espèce. On a trop tendance à réifier ces choses. - Réifier, dites-vous ? - Réifier revient à donner corps à une lubie. Donner corps à une vision de l’esprit, quoi! Et, cela est très courant avec les langues. - Pour quelles raisons les langues seraient-elles plus sujettes à la réification? - A cause de leur nature complexe. Une langue, c’est à la fois un habillage sonore, une mémoire collective, l’expression de ses propres désirs, un patrimoine collectif. Allez tirer tout cela au clair! La nature fuyante des langues facilite cette fuite en avant. Notons, toutefois, que ce n’est pas la langue qui fait l’objet de la réification, mais les produits de la langue: mots, phrases, textes, systèmes alphabétiques, etc. On refoule le producteur et la genèse de production au profit du produit fini. On est dans la position du primitif qui implore son bout de bois qui lui sert de «gri-gri». Attribuer à des productions langagières des vertus et autres valeurs identitaires, c’est oublier que la valeur est dans le producteur et non pas dans le produit fini. Elle est dans l’Homme, quoi! - Le langage est donc si particulier? - Le langage humain est une potentialité qui, avant tout, repose sur une matérialité à la fois biologique et génétique. Les modalités psychocognitives et sociales n’interviennent qu’après coup. Ce qui invite le chercheur en science du langage à commencer par rendre compte de cette réalité physiologique. Et cette réalité loge dans le cerveau humain. L’étude de ce potentiel symbolique à base physiologique, l’étude des neurones et plus particulièrement des connections synaptiques, de même que la mise au jour de toute une circuiterie vasculaire, c’est tout cela qui constitue, en bout de course, l’organe humain du langage. Limiter les langues humaines aux seules structures (ou schèmes) de la phrase, son organisation morphosyntaxique, c’est procéder à une réduction inacceptable d’un fait humain universel. De la même manière, vouloir légitimer une langue (ou une pseudo-langue), par les seuls schèmes morphosyntaxiques, revient à créer un artefact sans implication identitaire. Car une langue n’est langue que si sa matrice biogénétique est sollicitée. C’est le cas des langues naturelles. Ce n’est pas le cas des langues artificielles. - Au fait comment définissez-vous «l’exception linguistique»? - L’exception linguistique repose sur la spécificité de la «connaissance langagière». Depuis Noam Chomsky, ce linguiste américain qui bouleversa l’ordre des choses dès la fin des années 50, l’activité langagière n’est plus perçue comme un «habillage culturel» (donc interchangeable), mais comme un fondement biologique et culturel de l’espèce. A partir de là, l’approche des langues ne peut plus être «opportuniste», mais essentialiste. La science rejoint la demande identitaire... pouvait-on rêver mieux? - A lire le titre de votre dernier ouvrage, on a l’impression qu’il s’agit d’un travail universitaire austère... - Détrompez-vous. Dans ce travail, plus précisément, j’ai voulu éviter une sorte de «blabla» universitaire et m’obliger à une forme plus ouverte. Certes, il traite de choses sérieuses et sérieusement, mais dans un style «bon enfant». Dans un dialogue entre amis. C’est aussi une sorte de pacte éthique vis-à-vis des langues maternelles. Mon grand-père (El Hadj Abdelkader Elimam) rappelait souvent à mon père cet adage: «kayene elli hlib oumou fi femmou, wou kayene elli yemchi aand jarou yjibou» (Il y a ceux qui ont leur lait maternel dans la bouche et ceux qui le trouvent chez le voisin). - Qui, selon vous, serait intéressé par le contenu de votre ouvrage? - Je verrais en premier lieu les étudiants de lettres (toutes langues confondues, y compris en traduction), plus particulièrement ceux qui sont dans la filière LMD. Les étudiants en didactique ou sciences de l’éducation sont également visés. A côté de cette catégorie, je pense à tous ces enseignants dont la formation a été insuffisante. Ceux de tamazight, plus particulièrement. Sans oublier nos ministres de la Culture, de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. - Avez-vous déjà prévu des «ventes-dédicaces»? - Oui, la première aura lieu le jeudi 30 novembre à 15 heures au siège de Dar El-Gharb. Entretien réalisé par S.Sid Ahmed





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