Algérie

Le génie de la naïveté



Chaque nouveau roman de Jean Echenoz est un évènement littéraire. L'œuvre de l’auteur, lauréat du prix Goncourt 1999, déçoit rarement. Ses romans font des incursions dans tous les genres, allant allègrement du polar à l’amour en passant par les biographies de certains génies du siècle. Et c’est dans cette lignée que s’inscrit Des éclairs, qui vient de paraître en France et clôture un cycle de trois romans après ceux consacrés à Ravel et à l’inénarrable coureur de fond tchèque, Emil Zatopek. Des éclairs romance la vie incroyable de l’ingénieur Nikola Tesla, un inventeur de génie qui est né, comme l’écrit Echenoz, «quelque part en Europe du Sud Est, loin de tout sauf de l’Adriatique». L’auteur ne se soucie pas trop de l’exactitude des dates et des lieux. On est dans une sorte d’adaptation libre mise au service de la fiction. Le héros – dont le nom devient Grégor – quitte son pays natal pour émigrer en Europe de l’Ouest, avant d’atterrir aux Etats-Unis, le seul pays capable de contenir l’immensité de ses découvertes. L’auteur reste fidèle au thème de l’évasion qui structure toute son œuvre. Ses héros sont toujours à la recherche d’un ailleurs salvateur. Donc voilà Gregor, à l’âge de vingt-huit ans, débarquant sur les quais de New York avec vingt dollars en poche et une lettre de recommandation à Thomas Edison à qui on attribue l’invention du courant continu. Ce dernier était alors au sommet de sa gloire, patron de la puissante General Electric et objet de toutes les attentions. Le contact se passe à peu près bien, dans les limites de la courtoisie, mais Edison reste absorbé par les difficultés posées par son invention qui ne peut alimenter qu’un nombre limité de foyers. Grégor propose justement la solution à Edison. Il s’agit de remplacer le courant continu, qui va dans un seul sens, par le courant alternatif qui va dans les deux sens. Edison, non convaincu, pousse Grégor à aller voir son concurrent de la Western Union qui consent à l’écouter et décroche par la même occasion de multiples contrats, mettant à mal l’hégémonie de la General Electric. Le génie de Grégor ne s’arrête pas là. Il a une nouvelle idée par jour. Un peu fantasque et très disert sur ses inventions, il n’arrête pas de diffuser tout ce qu’il veut améliorer. Cette indiscrétion va lui être fatale. Des oreilles attentives vont capter cette masse de novations pour s’en emparer et s’en attribuer la paternité. L’exemple le plus frappant, ce sont les ondes radiophoniques, idée que Marconi va lui subtiliser pour en faire sa gloire et sa fortune. Le roman est rempli d’anecdotes montrant la naïveté de Grégor et sa propension à se faire voler ses inventions pour se retrouver vers la fin de sa vie dans la précarité la plus totale.Il se consolera auprès de sa nouvelle passion pour les pigeons qu’il nourrira et soignera dans les grands parcs de New York, dans la solitude la plus absolue par rapport aux humains.
 

Des Eclairs, par Jean Echenoz, Editions de Minuit, Paris, 2010.   



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)