Algérie - Arts et Cultures Divers

Le fait culturel sort il enfin de l'ornière?





Le fait culturel sort-il enfin de l’ornière ?
par farouk Zahi



On a appris avec une certaine satisfaction que le département de la Culture a programmé la réalisation d’une Maison de la culture à Koléa dans la wilaya de Tipaza. Et ce n’est que justice rendue à cette ville de culture et d’art, fief de Cheikh Mohamed Bourahla pour es anciens et de Hamid Kechad, le troubadour des cultures locales, pour les plus jeunes. Est-ce une volonté délibérée de sortir du carcan juridique du statut administratif de la localité ; sachant que ce genre de structure était du seul privilège du chef lieu de wilaya, ou une simple hirondelle dans le ciel de la grisaille environnementale. Si c’est le cas, il n’y a pas lieu de pavoiser ! Or à bien y regarder, des chefs lieux dotés d’équipements adéquats ne développent que peu d’activités culturelles alors, que d’autres localités qui n’ont pas ce statut, foisonnent de talents dont la vivacité est de nature pérenne. Il s’agit bel et bien de gisements culturels que la planification administrée a éludé dans sa démarche systématisée par des réflexes bureaucratiques. On peut citer à titre strictement illustratif les gisements culturels de Nédroma, Bou Saada, Ain Beida, Azzefoun ou encore Ouled Djellal et Cherchell. Ces localités qui n’ont pas eu l’heur d’être des chefs lieux de wilaya, pourvoient encore au patrimoine culturel local et parfois même national. Il y a d’autres exemples et dans d’autres registres, tels que Barika dans l’haltérophilie et Ksar El Boukhari dans la gymnastique. Les exemples de distorsions foisonnent dans le vécu du commun des mortels qui n’est d’ailleurs pas dupe, dépité mais nullement désespéré, il continue à croire à une éclaircie salvatrice.

Des initiatives louables sont prises çà et là, telles les manifestations de l’année de la culture arabe et qui se sont déroulées sur l’esplanade de Riadh El Feth ou encore récemment le lancement de la caravane des « Chevaliers du Coran » à partir de la place des Martyrs ex . place du Gouvernement ou encore de la Régence, toute une symbolique. Et c’est son kiosque à musique qui a été la scène momentanée de l’événement. Un agréable moment de déstabilisation du téléspectateur quand les bus des transports de l’ETUSA passaient en arrière plan sur l’écran, pendant que l’orateur débitait son speech. Slimane Bakhlili l’animateur de la cérémonie a été d’une légèreté éthérée et subtile. La présence du chef du Gouvernement n’a pas « suspendu le temps »….les gens vaquaient à leur occupation, le cordon de police était rendu « invisible » . Bravo pour le coup d’essai….attendons le coup de maître ! Le fait culturel ne s’accommode pas de claustrophobie. Il faut lui ouvrir tous les espaces à l’effet de le rendre à portée de main des consommateurs. Comme le pain ou l’eau, cette « denrée » est à consommer tous les jours, la qualité peut ne pas être encore une exigence. La répétitivité et la fréquence créeront le besoin incompressible et obligeront l’élu ou le dirigeant politique ou administratif à y pourvoir. N’a-t-on pas vu des responsables locaux « frimer » l’Orchestre symphonique national pourtant dans les murs de leur cité ou des productions théâtrales de haute facture ?
La délocalisation de l’acte culturel participe sans coup férir à sa démocratisation. Les motifs d’absence d’infrastructures ont fait leur temps, tous les espaces ouverts sont susceptibles de recevoir, le cinéma, le théâtre ou la musique. La Maison de la culture de Tamanrasset est probablement une pionnière en matière d’activités culturelles « extra muros ». Pendant la chaude saison, son esplanade est utilisée comme cinéma à ciel ouvert à « l’américaine ». Les terrasses de café qui y sont implantées participent à la convivialité des lieux ; les jeunes s’y prélassent, ceux du Service National ne trouvent pas trop long leur séjour forcé.

Le dernier rallye des Harley Davidson qui était à sa deuxième édition semble, en toute apparence être, une compétition de sport mécanisé. Oh que non ! Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une manifestation d’ordre culturel. Ce deale entre l’homme et son « mustang » raconte l’épopée des hippies qui a brisé les barrières de l’ordre établi, entonnant ainsi le chant du cygne de la civilisation des cols blancs. La Harley Davidson symbolise ainsi un fait qui ne présageait pas d’être culturel un jour. On peut faire de l’adaptation en appelant à des compétitions du genre vieux taxis ou autre vieux autocars qui faisaient par exemple les marchés hebdomadaires. A ce propos jusqu’à une époque peu lointaine, le marché hebdomadaire ambulant pourvoyait à tous les besoins de consommation même culturels ; le médah ou goual était en bonne place. Les badauds qui n’achetaient pas par manque de ressource, se ressourçaient culturellement à « l’œil ». Ils engrangeaient les contes ou légendes de Djazia, de Racheda ou de Antar El Absi. Cette culture populaire qui édulcorait des faits d’armes ou des idylles romanesques certes, ne participait pas à moins à l’éveil de la curiosité au merveilleux et enfin à la recherche prospective de repères identitaires. La matière culturelle est à fleur de sol, il suffit de la dépoussiérer. Une agglomération anciennement oasienne recèle à elle seule des trésors d’une double culture ; l’une acquise lors de la présence coloniale et l’autre originelle, a traversé le temps. L’inventaire du patrimoine immatériel aide à la compréhension du passé et peut susciter l’émulation. La communauté d’alors a su transmettre, l’élément social actuel a su capitaliser et veut marquer de son empreinte son temps. Le premier cercle culturel et cultuel se constituait autour de l’Emir El Hachemi ibn Abelkader El Hassani El Djazairi. Ce dernier recommandait à son fils de « Se rendre à Bou Saada où il gardait toujours des amis parmi les Cherif et les Bisker »(1). En dépit de son handicap visuel, il enseignait à ces congénères colonisés et placés dans le cachot de l’ignorance les préceptes de la langue et de la Chari’a. Parmi les précurseurs de l’intelligentsia locale à la fin du 19è siècle et au début du 20è, on peut citer Madani Chérif et les frères Moussa et Ali ben Chenouf ou encore Chemissa premiers normaliens ; bien plus tard Aissa Bisker, Aissa Baiod,Benaziez,Bouti,Laraf ou encore Abdelatif et Kirèche. Benraâd et Chenaf furent les derniers médersiens de la première moitié des années cinquante. Ahmed ben Djeddou était l’un des premiers enseignants de l’université d’Alger. Dans le registre des sciences islamiques on peut citer Belkacem El Hafnaoui et Abderrahmane Eddissi ainés de Cheikh Abderrahmane Djillali. Muphtis et théologiens, ils ont marqué par leur érudition les cercles religieux d’Alger. Brahim Markhouf mort en 1994 aveugle dès son jeune âge recevait un enseignement des sciences du Coran d’un maître non voyant lui-même qui lui disait : « Tu es l’outre et je suis l’entonnoir….à toi de contenir ».Le défunt Ammar ben Madani non voyant lui aussi, était le conservateur incontesté de la mémoire collective, il ne sera jamais remplacé. Le dicton africain « quand un vieux disparaît c’est tout une bibliothèque qui brûle ! » s’il venait à être vérifié, il ne peut l’être que pour ce vénérable personnage. Les années quarante furent marqués par l’intense activité du Cercle de la fraternité de l’Association des Oulémas qui prenait sous sa protection « Faoudj El Fadhila » des scouts musulmans crée par Ali Abdelkrim, Hamida Abdelkader,Bachir Ouali, Ali Guéoueche, Tayar et bien d’autres. Le théâtre et la musique faisaient leur entrée par le biais du mouvement scout naissant. Les années de feu mirent un bémol à toutes activité culturelle induisant l’éveil nationaliste. Khelifa Belkacem condisciple de El Hadj el Anka et disparu prématurément, était issu de cette communauté, il ouvrait la voie à Bsisa Brahim et Agoug Aissa qui excellaient dans le bédouin.

A l’indépendance et sous la houlette de Ouali et Boughlam, le scoutisme renaissait de ses cendres. Mustapha Zemirli, agé de 20 ans à peine, reconstituait avec Larbi Ayata et le défunt Abdelkader Delaoui la chorale composée de boy-scouts et de girls scouts, une audacieuse avancée dans l’émancipation de la femme dans un milieu réputé conservateur. Conservateur dites vous ? Que non ! Hadj Zerrouk Khalifa ne créait- il pas le première medersa mixte dans les années quarante ? Cette chorale post indépendance était sollicitée de toute part, elle eu l’insigne honneur de chanter en présence de Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene pendant le séjour de l’Etat major de l’ALN l’été 1962. Les années soixante dix furent marqués par une intense activité culturelle tous azimuts, des fantasias à la fête du burnous et autres manifestations. Les jeunes regroupés dans des cercles informels organisaient des randonnées motorisées vers Ain Brahim(Mostaganémois) Zemmouri ou Aokas (côte Bougiote).L’un des premiers pilotes de ligne obtenait son premier brevet à l’aéroclub d’Eddis. Il n’en reste actuellement que l’épave d’un coucou gisant près du hangar. L’auberge de jeunes conduite par El Bahi et Ziane exerçait les jeunes dans la radio amateur et c’est ainsi qu’un jeune radio amateur annonçait au monde entier le séisme d’Al Asnam d’octobre 80. Le théâtre amateur connaissait ces heures de gloire avec Abdelkader Delaoui, Larbi Ayata les anciens et Said Houari de la jeune génération, qui remportait un deuxième prix arabe à Tunis.

La décennie noire mettait ce bouillonnement culturel sous l’éteignoir, le Musée national Nacereddine Dinet en payait les frais, il fut détruit par un incendie criminel. Repris à neuf sous la conduite de Barkahoum Farhati architecte et historienne, il évolue actuellement sous un climat plus serein. Madame Hioun conservateur secondé par son conjoint, lui-même artiste lithographe, mène son action muséale contre vents et marées, d’innombrables vernissages et manifestations culturelles y sont organisés. La dernière en date fut la production de l’association de musique andalouse de Mostaganem dans la belle salle de l’Institut national de formation professionnelle. Il est perçu à travers ces exemples que l’initiative peut être souvent d’essence individuelle, l’adage ne dit il pas que « Ouahed ka elf ou elf ka ouf » (un individu comme mille et mille comme nul…)et c’est le cas de le croire. L’exemple de Larbi Bedka est édifiant à ce titre, lui qui a su fédérer des énergies juvéniles autour de projets d’intérêt commun. Une aire marginale de la berge gauche de l’oued appelée localement « terra el kahla » fut boisée par des essences forestières irriguées à partir du cours d’eau par pompage régulier. Ce professeur de philosophie et accessoirement imam, a regroupé des jeunes de son quartier à qui il fit faire des choses insoupçonnées, telles que la restauration de deux bornes fontaines séculaires et la reforestation du terrain cité plus haut. Centré par un terrain de football qui sert à organiser des tournois de cette discipline en toutes occasions et notamment celle de El Mawlid Ennabaoui ; cet espace est devenu une aire récréative accessible au tout-venant. Le mimétisme aidant, d’autres jeunes du quartier en contre bas de l’hôtel kerdada et la piste touristique ont planté de belles zones vertes. La maison de jeunes organise périodiquement des cafés littéraires, conduits par Ahmed Abdelkrim membre de l’Union des écrivains algériens, un peloton d’écrivains et de poètes tente de sortir la cité de l’engourdissement culturel. Ils sont trop nombreux pour les citer tous, mais il n’est pas inintéressant de citer Khatibi dans la poèsie française ou Lorfi Abdelkader master d’anglais qui versifie dans la langue de Shakespeare ou encore Bachir Meftah le traducteur des fables de La Fontaine, les odes de Vigny, de Lamartine ou encore de Koeplik. Abdou Harkat est cet immense traducteur qui a tantôt un pied à Bou Saada tantôt à ….Beyrouth.
La scène musicale et lyrique est partagée entre le virtuose Chemissa (violon et luth) Gamat( le Marcel khalifa local), Chérif l’organiste et professeur de musique, Cheikh ( luthiste et chanteur) et enfin Sofiane de Alhan oua Chabab. Les trois premiers nommés sont tous enseignants. Quant aux chorales polyphoniques, elles sont si nombreuses que le choix en devient embarrassant. Outre « Chems Essalam » celle de « El Baha » est la plus sollicitée sur le plan national et même international ; deux séjours en Italie lui ouvrirent la voie de la notoriété. Elle s’apprête à une production en Espagne. Oublier les bardes de la poésie populaire ou bédouine, relèverait de la cécité, Oumhani, Abdelghafar, Bennoui, Kodheifa ou encore Nouibat ont déclamé sur tous les forums des okhadiate que ce soit ici ou ailleurs, notamment dans les pays du Golfe. Cette élite littéraire vient de se constituer en association dénommée « El Emir El Hachemi »dont les destinées ont été confiées à Mohamed Lamraoui praticien en chirurgie dentaire et mécène de l’art. Les peintres et plasticiens se bousculent au portillon, les orientalistes coloniaux ont décidément fait des émules. Le plus célèbre est sans nul doute Benslimane dont la fille vient d’offrir ses œuvres au musée de la ville, kacimi, Tewfik Lebsir et d’autres, dont des filles, s’essayent tous au chevalet. La céramique est portée par Ali Zahi formé à l’Ecole de l’ex Parc de Galland. Des cinéastes professionnels, on peut retenir le nom de Hanafi, Lebsir, Mohamed Kacimi écrivain et cinéaste et le grand Hamina qui se dit être d’attache maternelle issue de cette communauté. Aberrahmane Letayssa le petit Omar de « Dar-S’Bitar » de Mustapha Badie et Hamid Achouri ont des attaches parentales dans la ville. Le journalisme a lui aussi eu ses grandes figures autant anciennes que contemporaines, les doyennes en furent Belkacem Hafnaoui, Mohamed Bisker, les plus proches de nous, les journalistes vedettes Fatima Benhouhou et Abdelkader Mame et son proche Belkacem de la chaine nationale et le défunt Mohamed Lamine Legoui victime de sa plume et d’autres originaires de la région, tels que les Rabani père et fils, R.Benbouzid, Abderrahmane Mahmoudi et Hamid Tahri. On peut citer encore les écrivaines, sociologue et historienne, Souad khodja et Barkahoum Farhati élévées dans le giron d’un Islam tolérant qui a subjugué Etienne Dinet et Edward Verchawelt, pour avoir été tous deux islamisés par la cité. Le mouvement associatif a pris remarquablement l’enfant pour objet d’intérêt, l’Association pour la protection de l’enfance dirigée par Lamouri réalise un travail méritoire, l’autre association menée par Fatima Ziane constituée de jeunes filles et basée à la bibliothèque communale fait de la femme et de l’enfant son crédo. L’association « Nacereddine Dinet » pour le tourisme et le patrimoine présidée par Mme Sihem Terfaya et son conjoint Bensiradj réalise de belles œuvres dans la préservation du patrimoine matériel et immatériel de ce qui communément connue comme la « Cité du bonheur ». Cette même dame architecte de formation dirige concomitamment le Cercle culturel Aissa Bisker dernier né des institutions éducatives et qui oeuvre à la promotion de la culture de l’enfant. Le promoteur n’est autre que l’un des propres fils de Si Aissa Bisker, officier de l’ANP à la retraite, il mis la main à la poche pour réaliser cette oasis culturelle. Le centre au cœur de la ville est une grande demeure aménagée en plusieurs ateliers pour les langues, la musique, les arts plastiques et une bibliothèque. Ce centre reçoit les enfants de toutes les couches sociales. Tout le personnel, d’anciens cadres enseignants ou artistes dont Mustapha Zemirli y activent à titre bénévole. Bravo pour l’initiateur et à ceux et celles qui l’entourent. Après la deuxième année de sa création, le Centre compte organiser le 29 de ce mois une cérémonie culturelle commémorant le centenaire de la naissance de hadj Aissa Bisker au Lycée Abi Mizrag ancien Institut islamique post indépendance dont le défunt en a été le premier directeur. Cet institut est le projet parachevé de la Medersa libre dont la population avait lancé la souscription, à la fin des années quarante.
« Il est des terres brûlées qui donnent plus de blé…. » la strophe de l’immortel Brel est dans le contexte à méditer.

Le 25 mai 2008










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