Algérie - A la une

Le désarroi des étudiants algériens en France



Beaucoup d'étudiants doivent compter sur la solidarité de leurs proches ou sur les allocations sociales pour régler leur loyer et prendre en charge leurs dépenses quotidiennes.Elle s'appelle Lila. Elle passe ses journées sur les moteurs de recherche d'emploi à scruter les offres d'embauche. Elle envoie une dizaine de CV quotidiennement dans l'espoir de trouver enfin du travail, peu importe lequel. "Je postule dans tous les secteurs, y compris pour des emplois alimentaires comme la restauration et la vente", précise la jeune femme, titulaire d'un diplôme universitaire dans les médias et la communication. Son obstination à décrocher au plus vite un emploi s'explique par une situation financière intenable. Sans l'assistance de son fiancé, Lila se serait retrouvée à la rue. Son compagnon, qui a la chance d'avoir un salaire, paie à la fois le loyer et prend en charge toutes les autres dépenses du quotidien. L'ancienne étudiante peut aussi compter sur le soutien de ses amis qui se mobilisent pour l'aider à trouver un emploi. En vain.
Dans son secteur, la publicité, les embauches sont quasiment à l'arrêt. "Les grandes marques ont été durement touchées par la crise du coronavirus et ont diminué drastiquement leur budget de recrutement", déplore Lila.
Il y a un peu moins d'un an, elle pensait pourtant avoir décroché le sésame en obtenant le CDI de ses rêves. L'agence qui l'avait d'abord recrutée à titre temporaire a décidé de la garder, sous condition d'obtenir un permis de travail.
Cette obligation est spécifique aux diplômés algériens, conformément aux accords de 1968 entre l'Algérie et la France sur la circulation des personnes. Très restrictive, elle complique très souvent l'accès de nos jeunes compatriotes au marché de l'emploi dans l'Hexagone. Dans le cas de Lila, l'autorisation de travail s'est avérée un obstacle fatal. "La préfecture a mis quatre mois avant de me délivrer le permis à la fin février 2020. Entre-temps, ma promesse d'embauche s'est envolée", narre la jeune diplômée. Comme un malheur n'arrive jamais seul, Lila a dû ensuite endurer le confinement sans la moindre ressource financière propre. "Compte tenu de ma petite expérience dans le monde du travail, je n'ouvre pas droit à une allocation chômage. Je suis aussi exclue des dispositifs d'aide aux étudiants et des offres de stages rémunérés car je suis déjà diplômée", explique encore notre interlocutrice, désemparée. En février 2021, son permis de travail et sa carte de séjour, qui porte la mention salariée, vont expirer. Si d'ici là elle ne trouve pas de travail, Lila devra quitter le territoire français ou glisser dans la clandestinité.
Deux issues qui la plongent dans un état de stress permanent. Taous, de son côté, peut toujours rester en France. Etudiante depuis deux ans à l'université d'Orsay, elle reprendra ses cours de physique à la prochaine rentrée universitaire. Mais elle devra aussi, pour financer son séjour dans le pays, se débrouiller au plus vite et trouver du travail. Son bailleur menace continuellement de la mettre à la rue car elle ne paie plus son loyer depuis mars dernier.
Ses missions d'intérimaire se sont arrêtées en mars, lorsque le gouvernement français a décrété le confinement général de la population. À ce moment-là, la jeune fille de 21 ans était distributrice de flyers. Depuis, elle ratisse elle aussi les sites de recherche d'emploi. "J'ai envoyé des dizaines de candidatures. Lorsqu'on me répond, c'est toujours par la négative", raconte Taous. Pour se nourrir, l'étudiante a dû se tourner vers des amis et des associations. Elle évite aussi de prendre constamment les transports car le coût de l'abonnement devient trop cher compte tenu de sa situation. Sa hantise aujourd'hui est de se retrouver dehors sans la possibilité de pouvoir retourner dans sa famille en Algérie, à cause de la fermeture des frontières. Pour aider les étudiants et les nouveaux diplômés en difficulté, des associations de la diaspora se mobilisent. L'Ecaf (Etudiants et Cadres algériens en France) se met à la disposition des chercheurs d'emploi afin de les orienter dans leurs recherches. Actuellement, l'association est submergée d'appels à l'aide.
Soutien associatif
Son président, Fouad Miloudi, évoque le sort affligeant "d'étudiants qui n'arrivent plus à se nourrir faute d'argent". "Nous avons organisé trois opérations de distribution de colis alimentaires. Des centaines de personnes se sont inscrites", révèle-t-il. Pour soutenir les étudiants les plus précaires, l'Ecaf a également lancé une cagnotte sur internet. De son côté, l'Etat français a distribué en mai dernier une aide exceptionnelle de 200 euros aux étudiants, y compris étrangers, dans le cadre d'une opération de solidarité nationale, au profit des populations précarisées par la crise sanitaire.
Des étudiants ont également pu obtenir une seconde subvention de 250 euros en s'adressant aux bureaux de l'assistance sociale, ainsi que des prêts d'ordinateurs pour poursuivre leurs études à distance.
À la fin du confinement, l'Etat français est allé plus loin en mettant en place un dispositif dérogatoire qui autorise les étudiants étrangers à exercer, exceptionnellement, une activité professionnelle salariée dans la limite de 80% de la durée de travail annuelle. Cette dérogation valable jusqu'à la reprise effective des cours dans les universités doit permettre aux bénéficiaires de compenser les pertes de revenus, induites par le confinement. Mais le dispositif ne profite pas aux étudiants algériens. La faute aux accords de 1968 qui limitent le temps de travail de nos jeunes compatriotes à 50%.
Dans une lettre adressée à l'ambassadeur d'Algérie en France, le président de l'Ecaf dénonce un traitement discriminatoire. Fouad Miloudi pointe du doigt une autre disposition de cet accord qui oblige les étudiants algériens à fournir à leurs recruteurs une autorisation provisoire de travail.
"Beaucoup d'entreprises renoncent à employer des Algériens compte tenu de la longueur des délais de délivrance des permis", souligne le président de l'Ecaf. Ayed Jugurtha, ancien étudiant et président de l'Association des Algériens des deux rives et leurs amis (Adra), évoque, pour sa part, la menace d'expulsion qui plane sur les nouveaux diplômés en recherche d'emploi. Comme Lila, tous les étudiants algériens qui viennent de quitter l'université doivent avoir trouvé un emploi ou obtenu une promesse d'embauche avant l'expiration de leur titre de séjour étudiant. "Ce n'est pas le cas des diplômés marocains, par exemple. Ces derniers bénéficient d'une autorisation de séjour provisoire d'un an qui leur permet après la fin de leurs études de prospecter avec moins de stress le marché de l'emploi", fait remarquer le président de l'Adra.
Comme l'Ecaf, son association a offert de l'aide à plusieurs étudiants. L'Adra a notamment relayé des annonces pour des jobs d'été. "D'habitude, les offres pullulent dans des secteurs comme la restauration, l'hôtellerie, l'animation de vacances... Mais pas cette année", constate Ayed Jugurtha. Les stages rémunérés sont également plus rares car beaucoup d'entreprises n'ont pas repris leurs activités à plein temps.
Dalina, étudiante en robotique, a galéré avant de trouver un stage chez une filiale d'EDF (Electricité de France) grâce au concours d'Adra. "Le premier avait été annulé à cause du confinement. J'espère qu'EDF va me garder à la fin de mon stage", déclare la jeune fille qui vit actuellement grâce à l'argent que lui font parvenir ses parents d'Algérie. Autour d'elle, beaucoup d'étudiants n'ont pas la chance d'être soutenus financièrement par leur famille.
"Un ami va refaire son année universitaire car il n'a pas réussi à trouver un stage", confie Dalina.
Par :Samia Lokmane-Khelil
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)