Algérie - A la une

«Le code la famille a relégué la femme à une citoyenne de seconde zone»



«Le code la famille a relégué la femme à une citoyenne de seconde zone»
Zoulikha Bekaddour était l'une des artisans de l'Appel du 19 mai 1956. Après l'indépendance, elle a participé à la reconstruction de la Bibliothèque universitaire d'Alger. Elle est parmi les quelques moudjahidate intellectuelles qui ont continué le combat pour l'idéal novembriste : la démocratie, la liberté et l'égalité entre citoyennes et citoyens. Ils ont trahi notre combat (Koukou Editions, novembre 2014) est un livre autobiographique qui relate le parcours d'une rebelle algérienne.Votre livre est perçu comme un manifeste féministe plutôt qu'un livre autobiographique. Quel est le message que vous vouliez envoyer 'Je ne me considère même pas comme une féministe. J'ai combattu toute ma vie pour nos droits de citoyens et de citoyennes en Algérie. Je veux que dans mon pays il n'y ait pas d'injustice. Je veux qu'hommes et femmes soient égaux en droits et en devoirs. C'est grâce à mon amie Khaoula Taleb Ibrahimi que j'ai pu écrire et thématiser mon livre. Elle m'a dit qu'en tant que moudjahida, je devais écrire pour contribuer au travail de mémoire. Dans cet ouvrage, je raconte seulement mon parcours de militante d'avant et d'après-indépendance, d'une manière chronologique?- Mais même le titre et la couverture du livre annoncent les couleurs d'un contenu très engagé. Est-ce vous qui les avez choisis 'Le titre est de moi. J'ai repris une expression que j'ai utilisée dans une interview le 19 mai 1992 : «Ils ont trahi notre combat.» Je parle bien entendu de ceux qui se sont succédé au pouvoir depuis 1962. La couverture a été choisie par mon éditeur Arezki Aït Larbi. Ce fils de chahid est courageux, car j'ai pu dire des vérités même si elles dérangent certains. Il a choisi le tableau universellement connu du peintre français Delacroix «La Liberté guidant le peuple». La photo est réadaptée par votre collègue Le Hic. Je vois dans la femme Hassiba Ben Bouali et dans l'enfant Petit Omar. Le drapeau français a été remplacé par le drapeau algérien.Dans votre ouvrage, vous dénoncDurant la guerre, nous étions tous, hommes et femmes, unis dans la lutte. Mais dès les premiers mois de l'indépendance, j'ai senti qu'on voulait nous marginaliser. Au fur et à mesure, j'ai découvert que même notre statut de moudjahidate était diminué par rapport à celui des moudjahidine. Nous avons combattu aux côtés de nos frères comme citoyennes à part entière, et à l'indépendance ils sont devenus misogynes. Une fois la guerre terminée, ils voulaient que nous rejoignions nos fourneaux et que nous nous taisions. Moi je fais partie d'une minorité qui a refusé ce diktat.- Est-ce qu'il y avait des décisions politiques dans ce sens ou cela s'est passé d'une manière plus officieuse 'A l'indépendance, il n'y avait pratiquement pas de postes de responsabilité pour les femmes. Le pouvoir, en plus, a créé l'Union nationale des femmes algériennes (UNFA). C'est une organisation sexiste sous prétexte de nous accorder des droits. Mais ces droits-là, nous les avons acquis sur le terrain, contre la colonisation.J'ai participé à la guerre en tant que citoyenne à part entière. Je n'ai jamais pensé qu'après l'indépendance, la femme devait encore se battre dans notre pays pour être considérée comme une citoyenne. Le code de la famille a relégué la femme à une citoyenne de seconde zone. Il n'a même pas à exister. Je demande son abrogation immédiate.- Vous évoquez également le combat de la femme rurale, occulté selon vous?Oui, on limite souvent nos analyses au rôle de la femme citadine. Le combat de la femme rurale durant la guerre et après l'indépendance a été complètement ignoré. Pour moi, ce sont elles les grandes oubliées de l'ALN. Elles ont payé le prix fort. Qui parlent d'elles ' Les hommes ? qu'elles ont nourris, protégés et pour lesquels elles sont mortes ? ne pensent jamais à ces femmes. Les grands héros qui se distribuent les médailles entre eux sont occupés par la quête du pouvoir et ses avantages !- Justement, après votre sortie de prison en 1960, vous étiez choquée de découvrir la lutte pour le pouvoir au sein de la Révolution algérienne. Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez vu personnellement 'Après ma sortie de prison, j'ai été expulsée d'Algérie et assignée à résidence en France, d'où j'ai pu rejoindre clandestinement Tunis. De fin 1960 à 1962, tout en poursuivant mes études, on m'envoyait représenter la femme algérienne dans des congrès internationaux, organisés un peu partout dans le monde. J'ai senti que le climat était délétère au sein de la direction de la Révolution. La lutte pour le pouvoir faisait rage. J'étais choquée par exemple d'entendre le commandant Slimane (Kaïd Ahmed, ndlr) insulter publiquement le GPRA. Après le 19 mars 1962, j'ai vu Ben Bella arriver à Tunis.A ce moment-là, j'ai découvert aussi Boumediène. Il était accroché à Ben Bella, il ne le quittait jamais. J'ai pensé qu'il était son garde du corps. Le Congrès de Tripoli a confirmé les problèmes que nous soupçonnions. J'étais en train d'observer la situation. Le 4 juillet 1962, je suis rentrée en Algérie. A Alger, j'ai appris que Ben Bella est rentré par le Maroc et s'est installé à Tlemcen, rejoint ensuite par Ferhat Abbas. Dès lors, j'ai décidé de prendre mes distances par rapport à la direction du FLN.- La femme de Abane était l'une de vos camarades de lutte. Qu'est-ce qu'elle vous a dit sur l'assassinat de son mari 'Effectivement, j'ai connu Iza Bouzekri. C'est Amara Rachid qui me l'a présentée, fin 1955, avec Nassima Hablal. Après mon arrestation en novembre 1956, j'ai retrouvé Nassima de nouveau. J'ai compris que c'était une grande militante, car elle a subi toutes sortes de tortures (Nassima et Iza étaient toutes les deux secrétaires de Abane, ndlr). Concernant Iza, je ne savais pas ce qu'elle était devenue depuis le 19 mai 1956.Quand je suis arrivée à Tunis, je l'ai revue. Là, j'ai su qu'elle était mariée avec Abane avec lequel elle a eu un garçon, Hassan. Après la mort de Abane, elle s'est remariée avec le colonel Sadek (Slimane Dehilès, ndlr). Sur la mort de Abane, elle ne m'a rien dit. Je suppose qu'elle n'en savait rien, pas plus que moi. Déjà à l'époque, personne ne nous disait la vérité. Nous pensions qu'il était mort au maquis.- L'opération de la Bleuite vous a particulièrement marquée. Pourquoi 'Des milliers de combattants de l'ALN, soupçonnés injustement de trahison, ont été tués par leurs frères d'armes. Le capitaine Léger a initié cette opération, à partir de 1957, pour infiltrer les maquis de l'ALN-FLN et les déstabiliser. Je reproche à la France coloniale le massacre causé par la Bleuite. C'était une méthode indigne. J'ai failli être moi-même victime de cette opération. Après ma sortie de prison en novembre 1958, on m'a assignée à résidence à Alger.En avril 1960, j'ai reçu une convocation du commissariat du Ruisseau où j'avais été reçue par deux policiers en civil. Ils m'ont dit clairement : «Vous avez servi le FLN, maintenant vous allez travailler pour nous. J'ai leur ai laissé croire que j'acceptais leur offre. Ensuite, j'ai contacté un journaliste de L'Express qui a publié un article sur mon histoire (Une lettre d'Algérie, L'Express du 21 avril 1960, ndlr). Et pour cause, les autorités coloniales m'ont expulsée vers la France.- Comme durant la guerre, vous vous êtes consacrée au combat intellectuel après l'indépendance. En quelques mots, que retenez-vous de votre parcours 'Le 19 mai 1956, j'étais membre de la direction de l'Ugema qui a lancé l'Appel aux étudiants et intellectuels algériens pour rejoindre la guerre de Libération nationale. Le CCE m'a envoyé aussitôt à la Wilaya V, où j'ai été accueillie par le docteur Nekkache (Mohamed Seghir Nekkache, ministre de la Santé dès l'indépendance). Il m'a formée médicalement.Hadj Benalla, adjoint de Larbi Ben M'hidi, m'a retenue à ses côtés. Moi et Eveline Lavalette ? qui hébergeait à Alger les membres du CCE ?, avons assuré la liaison entre Alger et Oran ; entre Ben Khedda et Hadj Benalla. En novembre 1956, nous avons été arrêtées toutes les deux et Benalla aussi. Après l'indépendance, je me suis consacrée à la reconstruction de la Bibliothèque universitaire à la Faculté centrale d'Alger, incendiée par l'OAS le 7 juin 1962. Ce projet a été achevé en 1968.C'était ma manière de participer à l'édification de notre pays après la guerre, loin des luttes politiciennes. Je compte sur nos jeunes étudiants et universitaires pour poursuivre notre combat. Il faut faire des études sérieuses afin de servir notre pays dans les défis futurs qui l'attendent : économiques, démocratiques et égalitaires.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)