Algérie

La longue nuit des républiques couscoussières Folio




La longue nuit des républiques couscoussières                                    Folio
«Les hommes se modifient dans le même moment où ils modifient le monde.»
Frantz Fanon (an 5 de la Révolution algérienne)
Le 14 octobre 1983, j'ai rendu visite à feu Mostefa Lacheraf. Le défunt Benaïsa Hanafi venait de lui traduire son monumental Algérie, nation et société. Mostefa Lachraf me reçut dans son domicile d'El Biar. Il avait un bureau djahidhien(1), (d'El Djahidh), poussiéreux et encombré de livres. Des livres partout, sur des étalages craquelés, sur le bord de la fenêtre, par terre et même sur un gros pot aux fleurs mortes ! L'état de ce bureau mythique hante toujours mes rêves comme cette discussion (historique pour moi) que nous avions eue, sans barrières ni autocensure. D'abord, Mostefa Lacheraf n'était pas content de la traduction de Hanafi Benaïssa. Il la trouvait classique, à la limite de «l'adaptation arabisante». Il me déclara : «Franchement, j'aurais aimé qu'un traducteur moderniste, comme Merzac Bagtache, traduise Algérie, nation et société.»
Pendant les deux heures que dura notre discussion, Mostefa Lacheraf ne cessait d'évoquer «cette modernité, si lointaine et si ambiguë dans les sociétés musulmanes, en général, et dans les sociétés dites «arabes», en particulier (dixit Lachref) ! En cette année 1983, Mostefa Lacheraf était ambassadeur de l'Algérie au Pérou. Vu ses activités progressistes et ses opinions intellectuelles axées notamment sur «le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes» (son livre précité a été traduit en espagnol en 1975), il a été invité en tant qu'observateur, au «grand conclave secret» tenu en 1982 par les leaders des mouvements rebelles d'Amérique latine. Je voulais savoir si nos situations (nous les «Arabes» et eux les Latino-Américains) se ressemblaient. Mostefa Lachref n'hésita pas. Il me dit «qu'ils nous dépassent de' deux siècles !»
Deux siècles de retard sur' l'Amérique latine ! et l'Amérique du Nord, elle nous dépasse de combien de' siècles ' «Quatre siècles ; peut-être plus», répondit feu Mostefa Lacheraf. Bien sûr, on parlait «d'esprit, de savoir, de gestion politico-économique, de prévision et de perspectives futures». Eux, vivent au vingt et unième siècle grégorien, et nous, nous vivons au quinzième siècle hégirien et' «grégorien !» Peut-on construire «la démocratie du vingt et unième siècle sur des bases du quinzième ' En janvier 1990, Ali El Kenz publia dans la défunte revue Erriwaya(2), une étude intitulée «L'Islam et la gouvernance». Il soulevait un «vide horrible et handicapant pour les sociétés arabes» : L'absence de «laboratoires de religions !» alors que les pays développés avaient créé ces laboratoires spécialisés dans les années soixante, les «Arabes» ne voyaient (jusqu'à présent !) aucune nécessité en l'existence d'«observatoires théologiques !» «Les pouvoirs couscoussiers» du monde arabe ont toujours appliqué l'adage : «l'Islam est la religion d'Etat», tandis que «la crème» des ONG et des partis dits «démocratiques» a toujours préféré «la politique du soutien- critique ».
En 1990, la déferlante FIS a déboussolé le camp démocratique algérien. En 2011, les leaders du mouvement démocratique tunisien croient qu'Ennahdha a changé de poil. Ils le caressent (déjà !) pour «garder le contact avec le pouvoir». Quant aux Libyens, ils s'interrogent, après des centaines de morts, des milliards de dollars de dégâts : «Qui est le meilleur : Moussa El Hadj ou El Hadj Moussa '»(3) Demain, les Egyptiens, les Yéménites et les Syriens se poseront peut-être la même question. Ali El Kenz a beau dire dans les années quatre-vingt-dix que «les laboratoires de religions» sont nécessaires, aucun Etat, aucun parti, aucune ONG arabe n'en a créés ! On se croit «moderne», parce qu'on manipule des ordinateurs de dernier cri, on navigue(4) sur facebook comme des «djins», on roule dans des voitures toutes neuves et on construit des villas parfois plus belles que celles des Suisses».
On se croit musulman tout en tolérant» (quelle tolérance !) qu'un prieur vole le vieux soulier de son frère à la sortie de la mosquée, qu'un énergumène frappe une jeune femme (parfois mariée !) dans la rue. Dans une société où le voleur est qualifié de «quafez» (très intelligent !), le savant de meskine (un pauvre bougre qui perd son temps pour rien !), on ne peut prévoir si Amar Bouzouar qu'on a élu démocratiquement» ou qu'on a suivi «par-dessus les cadavres» est Amar Bouzouar ou Bouzouar Amar (moussa El Hadj ou El Hadj Moussa).
Ô démocrates arabo-berbère-pharaons pour construire une république, au moins à la turque, il faut savoir que Yechar Kemal(5) vend un million d'exemplaires de tout roman qu'il publie et que Naguib Mahfouz n'a vendu, malgré son prix Nobel, que 120 mille ! Qu'un Uruguayen (dont le pays est plus pauvre que la Tunisie) lit un livre par mois et qu'un habitant du pseudo-monde arabe lit un livre par' an ! Alors ' Au lieu de naviguer sur «les mers pétrolières» avec des bateaux de «klamalogie (de klam = paroles), essayons de lire sérieusement «le livre des trois siècles qui séparent les Arabes archaïques des peuples modernistes». Sinon «le livre de la longue nuit des républiques couscoussières» hantera éternellement nos esprits paresseux(6).
Renvois :
1)El Djahidh est mort sous un amas de livres.
2) Fondé par l'auteur en décembre 1989, son comité de rédaction : T. Djaout, R. Mimouni, B. Brahimi, A. Boubakir, M. Faci, M. Magani et M. Bagtache.
3) Mouamar El Gueddafi ou Abdeldjelil selon l'interrogation populaire.
4) «Naviguer» dans le jargon des jeunes Algériens c'est «gagner son pain».
5) Raté par le jury nobel comme' Tolstoï !
6) Les islamistes lisent ce dernier «livre» chaque vendredi, alors que les démocrates dorment toue l'année puis se réveillent à zéro heure !


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