Algérie

La lieutenance de l’homme sur terre



La lieutenance de l’homme sur terre Le concept de l’»istikhlâf», au sens de «lieutenance» sur les biens de la terre confiée à l’homme, est mis en évidence dans le verset coranique suivant où il est question d’un «droit» à prélever sur les biens des riches au profit des pauvres : «...et sur les biens desquels, il y a un droit bien déterminé pour le mendiant et le déshérité»(LXX, 24-25). Voici un autre verset qui illustre le rôle de l’homme en tant que «lieutenant» ou «préposé» à la gestion des biens à lui confiés : «Croyez en Dieu et en son Prophète et dépensez de ce en quoi il vous a donné la lieutenance. Ceux d’entre vous qui croient et dépensent (pour la cause de Dieu) auront une grande récompense» (LVII,7).Autre fait significatif : le terme «mâl» (bien) dans Coran est utilisé au pluriel dans 47 verset, alors qu’il n’est cité au singulier que dans 7 versets. Cela veut dire que l’homme, préposé à l’»intendance» des biens de la terre (mustakhlaf) ne doit pas user à titre exclusif de ses derniers et s’enrichir au détriment de ses semblables. L’homme, avons-nous déjà dit, n’est pas privé du droit de propriété et de jouissance des biens à lui confiés, à condition de na pas outre-passer les restrictions imposées par son statut de «mustakhlaf». Dans cette perspective, le bien d’un individu est en même temps le bien de la collectivité; ou, pour reprendre une expression de Mohammad ‘Abu : «le bien de chacun d’entre vous est le bien de votre communauté à tous, en vertu du principe de la solidarité sociale..». Zamakhcharî (1075-1144), dans son «Kachchaf» (commentaire du Coran) commente ainsi le verset précité : «Dépensez de ce en quoi il vous a donné la lieutenance...» : Dieu, par ces verset, veut dire aux hommes ceci : les biens qui sont entre vos mains appartiennent en réalité à Dieu, qui les a crées et constitués. Et Il les a mis à votre disposition pour que vous en jouissez : Il vous a permis d’en disposer non pas en tant que propriétaire réel, mais en tant que «dépositaire» ou «mandataire» (du maître réel)». Tel est donc le sens se «lieutenance» donnée sur les biens et les richesses. Mais, de ce sens, se sont écartées les philosophies matérialistes et les civilisations qui s’en réclament. Ainsi, ont-elles élevé l’homme au rang du maître de l’univers, et lui ont fait croire qu’il peut jouir et disposer de ses biens comme bon lui semble (en tant qu’individu dans le capitalisme; classe politique - ou son parti - dans le totalitarisme communiste). L’autre extrême consiste dans les déviations gnostiques qui emprisonnent l’homme dans le fatalisme et le poussent à se détacher complètement des biens terrestres. Et, entre ces deux extrêmes, se situe la conception islamique du «juste milieu», telle qu’elle se manifeste dans la doctrine de l’»istikhlâf». Cette philosophie de «lieutenance» détermine également, en Islam, le rapport entre «religion» et «pouvoir temporel» (l’Etat). L’homme, en tant que lieutenant de Dieu, voit sa liberté conditionné par le respect des obligations liées à son statut. De même façon, l’Etat et ses institutions, qui sont l’oeuvre de l’homme, sont soumis, dans la conception islamique, aux Commandements divins, à la Charia. Ainsi, le procédé «humain» da le consultation (chourâ) donne naissance à un Etat régi par la loi divine. Le pouvoir subordonné (à la loi divine) de la nation cohabite ainsi et s’allie avec la Souveraineté divine (source de législation). Dans un tel Etat, les docteurs de la loi s’attachent à déterminer les cas d’application de la loi divine, et à déduire, par un effort d’interprétation (ijtihâd), les règles légales à partir des sources de la législation. De la sorte, le modèle de l’Etat islamique se distingue du régime théocratique - où le gouvernement est censé être de droit divin - qui assimile l’Etat à une «religion pure», en le sacralisant et en le tenant pour immuable (comme une vérité d’essence divine). Le modèle islamique de gouvernement se démarque aussi l’Etat laïc qui, prenant le contre-pied du modèle théocratique, sépare la religion et le pouvoir temporel et ne reconnaît à la loi divine aucun rôle dans l’organisation des affaires de ce monde. Ce modèle islamique de gouvernement, fondé sur la doctrine de l’»istikhlâf», est un régime «califale» (Khilâfat) où l’Etat est présidé par un «calife» qui n’est pas représentant de Dieu - à l’instar du Pape - mais un chef délégué par la Oumma qui, elle, est représentante de Dieu. C’est celle-ci qui élit le calife, lui prête serment d’allégeance, lui délègue ses pouvoirs, le contrôle et lui demande des comptes. Ainsi, le calife n’a rien d’un chef théocratique que l’on tient pour infaillible parce qu’il représenterait le Ciel. Cette doctrine de l’»Istikhlâf», qui sous-tend le califat islamique et le distingue de tous les régimes étatiques connus dans d’autres religions et d’autres civilisations, est illustrée par un hadith, rapporté par Abou Hurayrat selon lequel le Prophète a dit : «Les Enfants d’Israël étaient gouvernées par des Prophètes qui se succèdent les uns aux autres. Mais, à moi, aucun Prophète ne succèdera; il y aura par contre des califes (lieutenants)» (Hadith cité par Al-Boukhâri, Ibn Majah et Al-Imâm Ahmad). C’est donc la conception exprimée dans cette tradition qui inspire le «califat» islamique. Ignorant la doctrine de l’»istikhlâf», les philosophies matérialistes, parmi lesquelles la civilisation occidentale, ont réduit les sources de la connaissance humaine, et ne reconnaissent comme voies d’accès à celle-ci que la raison et l’expérience étayée par des réalités tangibles. Ce faisant, elles privent l’homme des autres moyens d’acquisition du savoir qui lui permettent d’aller bien au-delà de ses propres facultés sensorielle et du monde sensible en général. C’est que ces civilisations élèvent l’homme au rang du maître de l’univers, au lieu de le considérer comme le lieutenant d’un Dieu Très-Haut et Parfait qui transcende tous les êtres crées par Lui. La conception islamique des voies de la Connaissance, fondée sur le principe de l’»homme-lieutenant de Dieu» (Istikhlâf), ne sous-estime pas le rôle de la «raison» et des «sens» dans le processus cognitif, tant s’en faut. Mais à ces moyens, elle ajoute, pour les éclairer et les contrôler, la «révélation», telle qu’elle s’incarne dans le «Message coranique», et dans les saintes Traditions du Prophète qui en sont «l’Explicitation». Cette révélation constitue pour l’homme une orientation (sur la bonne voie) émanant de Celui dont la science embrasse toute chose; elle lui apporte des connaissances relevant du Mystère Insondable (Ghayb) et le dote d’un Canon et de règles de conduites que la raison, à elle seule, ne pourrait concevoir, parce qu’ils relèvent d’un ordre supérieur qui ne tombe pas sous les sens et qui - sans le relais de la Révélation - resterait inaccessible à l’entendement humain. Car, comme toutes les facultés humaines, la raison et les sens ont leurs limites. La conception cognitive islamique fait également une part importante à la conscience et à l’intuition (wijdân) comme moyens de connaissance et d’orientation (sur le droit chemin). Il s’agit là, en effet, d’une voie qui permet de recueillir, comme une lueur dans son coeur, une connaissance intime que ni la raison ni les sens ne peuvent percevoir; cette connaissance, qui procède d’un ordre spirituel sublime, est le fruit d’une «inspiration» et d’une illumination qui irradie dans le coeur. Une théorie originale de la connaissance s’est ainsi élaborée, faisant fond sur la doctrine islamique de l’»Istikhlâf» qui assigne à l’homme le rôle de s’élargir devant lui le champ des connaissances : non seulement celles accessibles aux sens et à la raison, mais également d’autres qu’il peut atteindre grâce aux dons et facultés extraordinaires dont Dieu - son Créateur - l’a dotés, afin qu’il puisse, conformément à la Volonté divine, «peupler» le monde et en mettre en valeur les richesses. Ainsi, la doctrine de l’»Istikhlâf» (l’homme-lieutenant de Dieu), qui assigne à l’homme une place éminente dans la hiérarchie des êtres, se reflète dans tous les domaines de la vie : le monde de gouvernement, la gestion des biens et richesses, les moyens d’acquisitions de la connaissance... L’homme-lieutenant de Dieu, pour être digne de cette noble charge, doit remplir les obligations découlant de son statut privilégié, autrement dit, se conformer à la loi divine en lui subordonnant son pouvoir de décision et sa liberté d’action; il lui faut donc adopter la philosophie de l’»Istikhlâf» dans les domaines de la vie; car, c’est grâce à cette philosophie que la pensée islamique se distingue de tous les autres systèmes de pensées, et que la civilisation islamique - celle marquée par le sceau de l’Islam - la remporte sur les civilisations matérialistes qui ont dévié de la voie de Dieu, et violé la Nature originellement bonne (Fitrat) de l’homme.   Dr. Mohammad Amâra


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