Algérie - A la une

La lettre et l'esprit



Dans une lettre adressée dimanche à la presse nationale à l'occasion de la célébration de «la Journée nationale de la presse», le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a «vivement exhorté les journalistes à dévoiler les dossiers de corruption, les dépassements et le favoritisme» qui gangrènent la société.On croit presque rêver. D'abord face à cet aveu du premier magistrat qui reconnaît que ces maux ont atteint une ampleur et un degré de gravité tels, qu'il en appelle à un sursaut national de salubrité publique dans lequel la presse est invitée à jouer un rôle actif et sans concessions.
Intervenant hier lors du sit-in de soutien organisé à la maison de la presse Tahar Djaout en faveur du journaliste fixeur Saïd Chitour, incarcéré depuis 500 jours sous le chef d'inculpation d'«intelligence avec l'étranger», l'universitaire Boumala a bien résumé le paradoxe et les contradictions du discours officiel.
D'un côté, dit-il, le pouvoir appelle les journalistes à dénoncer la corruption et les passe-droits en les assurant de «la protection de Dieu et de la loi», et de l'autre côté, on ne manque pas de leur réserver des cellules à l'année à travers les prisons de toutes les wilayas du pays qui accueillent journalistes, blogueurs, activistes et tous ceux qui portent la parole libre.
A l'inverse, les prédateurs qui se servent allégrement et impunément dans les caisses de l'Etat et s'accaparent des richesses du peuple ne sont pas inquiétés ou sont blanchis.
L'exemple du combat homérique de Benyoucef Mellouk, l'ancien cadre du ministère de la Justice qui a payé de sa santé et de sa carrière son audace d'avoir osé dénoncer les faux moudjahidine, illustre parfaitement combien est encore loin et parsemé d'obstacles le chemin menant à un véritable Etat de droit, où les citoyens sont égaux devant la loi, où l'égalité des chances et les libertés sont garanties, où les passe-droits ne seront plus perçus comme des vertus, mais des vices à combattre avec détermination et constance. Cette volonté politique n'existe pas encore.
On ne peut pas reprocher à la presse ? du moins certains organes ? de n'avoir pas fait son travail d'alerte et d'information en révélant ou se faisant l'écho de scandales de corruption, d'enrichissement illicite, d'évasion de capitaux, de comptes offshore (cables de WikiLeaks, des Panama Papers, scandales de Sonatrach?). La balle est dans le camp du pouvoir et de la justice.
A-t-on ouvert des enquêtes sur les noms de hautes personnalités algériennes dont, entre autres, l'ancien ministre de l'Industrie et des Mines, Abdessalem Bouchouareb '
Cette semaine, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Tahar Hadjar, a été éclaboussé, documents à l'appui, par un scandale de passe-droits dans l'opération d'inscription et d'orientation des bacheliers à l'université (voir El Watan du 17 octobre ) sans que cela ne suscite la moindre réaction officielle. Il n'y a eu ni enquête ni sanctions. Mieux, le ministre s'est envolé le lendemain pour Tunis en guise de récompense.
C'est dire qu'il faut plus qu'une lettre, fut-elle du premier magistrat, pour moraliser la vie publique. Le pays a besoin d'une affirmation constante et déterminée de l'autorité de l'Etat qui s'impose à tous, gouvernants et gouvernés.
Pour que la presse conquiert ses titres de noblesse de 4e pouvoir, la dépénalisation du délit de presse doit être réelle et non pas factice, l'outrage à corps constitués et aux symboles de l'Etat, souvent utilisé comme prétexte pour museler et neutraliser la presse, doit être redéfini et clarifié. Ce n'est qu'à ce prix que la presse pourra jouer son rôle de phare de la société, de service public.
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