Algérie

L'homme qui a tenu tête à Godard et à Léger



Par : ABDERRAHMANE MEKHELEF
Avec sa casquette de marin, son trois-quarts sombre et ses lunettes à verres épais, Youcef Zani a promené sa silhouette attachante dans tous les lieux emblématiques d'Alger. À la fin de l'année 1955, alors qu'il étrennait son poste d'instituteur à Fontaine-Fraîche, il décide de tout laisser pour se consacrer à la lutte contre la domination française dans la Casbah qui l'a vu naître en 1933.
C'était son quartier, son terrain de bataille ou il a planché sur les opérations des fidayine lancés aux trousses des paras de Massu, de Bigeard, de Jean-Pierre, de Fossey-François, de Faulque, de Godard, de Léger... Avec une mention spéciale pour ces deux derniers qui l'ont passé à la gégène, rue de l'Intendance, afin de lui arracher les secrets de la Zone autonome.
En effet, le colonel Godard et le capitaine Léger sont parmi les plus affûtés de la force de frappe de la 10e division des parachutistes de Massu que le gouvernement français avait investi du pouvoir d'écraser la grève insurrectionnelle d'une semaine - s'étendant entre les mois de janvier et février 1957 - décidée par le FLN à l'occasion de l'examen de la question algérienne à l'Assemblée générale de l'ONU. Echappés de l'enfer indochinois après leur défaite à Diên Biên Phu en 1945, les deux parachutistes ont expérimenté contre le FLN et l'ALN les techniques de la contre guérilla mises au point après la lourde défaite de la France coloniale en Indochine. Et ils ne firent pas dans la dentelle en utilisant tous les moyens pour briser la résistance des militants qu'ils arrêtaient et torturaient sauvagement notamment dans la rue de l'Intendance, à l'école Sarrouy, à la villa Susini où Faulque tortura Nassima Hablal, et à celle de Scala. Ou bien à l'immeuble d'El Biar où Aussaresses pendit Larbi Ben M'hidi et d'où fut défenestré l'avocat Ali Boumendjel. Il faut lire Laâdi Flici raconter comment Mama allait "s'occuper" de Madi qui réussit à lui briser le nez d'un coup de tête. Mais qui finit par être étranglé par le sbire de Léger à l'aide d'une cordelette en poussant des cris hystériques. Youcef Zani reconnut immédiatement l'ancien condisciple, Hani, sous les traits du tortionnaire qui officiait à l'école Sarrouy, son école, et d'où fut défenestrée Ourida Meddad par le lieutenant Schmitt qui devint général et chef d'état-major des armées françaises.
Leur plus grand crime fut de forcer des patriotes à devenir des traîtres et ce fut l'époque ou Baabouche, Alilou, Guendriche, Allel, P'tit Blond .. devinrent des monstres assoiffés du sang de leurs anciens camarades. Ils s'habillaient en bleu Shanghai, d'où leur surnom. Cette ignoble manipulation portait le nom de bleuite. Cette gangrène ne se limite pas à Alger car le duo Godard-Léger tente d'infiltrer l'ALN de ces bleus. Et même s'ils ne réussirent pas à infester tous les maquis, ils créèrent une suspicion des moudjahidine qui exécutent des étudiants qui rejoignent les maquis, surtout dans la wilaya III.
Mais cette mécanique infernale ne réussit pas avec Youcef Zani qui fut élargi faute d'aveux, et qui plongea dans la clandestinité aux côtés de Zoubir Bouadjadj, Abderrahmane Benhamida ainsi que d'Abderrazak Belhaffaf. Clandestinité où il s'attelle à rédiger des tracts pour sensibiliser la population et à embrigader des militants chargés de la collecte de fonds, à chercher et à trouver des refuges et des caches sûres pour les moudjahidine, à s'occuper des liaisons et des renseignements...
Ce n'est pas Youcef qui a donné ces informations. Il ne s'est jamais exprimé sur ce qu'il faisait durant la Bataille d'Alger. Il avait horreur de se mettre en avant. Mais il avait commencé à rédiger ses souvenirs quant à cette période. Ils devaient être fabuleux car rien de ce qui touchait la Zone autonome ne lui était étranger. Il était la boîte noire de la bataille d'Alger comme le qualifie Ali Mebtouche. Hélas, trois fois hélas ! Zani aurait, selon son fils, tout déchiré. Il ne reste rien de ce qu'il avait écrit. Il est parti en emportant ses secrets. Car il s'agit bien de secrets. En effet, Youcef était convaincu que toute personne détenant des informations sur la guerre de Libération nationale doit les restituer à la postérité. Pourquoi, alors, a-t-il décidé de ne rien dire de ce qu'il a vu et entendu durant cette terrible guerre qui a opposé le FLN aux "chiens verts" comme les appelait Zhor Zerari ' Pourquoi n'a-t-il pas suivi l'exemple de Yacef Saadi qui a laissé un livre et un film sur cette confrontation qui a fait le tour du monde '
La seule explication plausible est qu'il ne pouvait, pour des raisons que seul lui connaît, dire ce qu'il a vu et entendu. Il reste cependant un exemple pour la jeunesse car il a incarné les deux valeurs que tout Casbadji digne de ce nom respecte par-dessus tout et que son père et son grand-père lui ont inculquées : nif ou redjla.
Youcef Zani meurt le 22 octobre 2019, renversé par une voiture au boulevard Bougara, au sortir d'une réunion du comité de wilaya des anciens moudjahidine.


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