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«L'Etat néglige de manière flagrante les non-voyants»



«L'Etat néglige de manière flagrante les non-voyants»
Mohamed Kacemi est étudiant en droit et en langues. Il a décidé de prendre la responsabilité de défendre les droits des non-voyants et malvoyants. Après une expérience sur la scène associative, il a créé, avec d'autres citoyens, l'association El Israr.-Quels sont les chantiers qu'entreprendra votre nouvelle association 'Nous avons défini trois buts principaux, à savoir l'insertion professionnelle et sociale, la défense des droits sociaux des malvoyants et des non-voyants, ainsi que la prise en charge psycho-médicale et l'aide financière. Dans les divers projets que nous avons tracés en parallèle, nous formulerons la demande pour la construction d'un centre de formation socioprofessionnelle. Il faut distinguer chez les non-voyants deux catégories : les non-voyants de naissance et les non-voyants tardifs, c'est-à-dire ceux qui ont perdu la vue au cours de leur vie. Ces derniers, non habitués à cette situation, subissent plus de pressions sociales. C'est pour cela que nous envisageons des modules de suivi psychologique, afin qu'ils maîtrisent leurs émotions. Les non-voyants de naissance sont plus habitués aux aléas de la vie et ont développé un sens de la communication avec leur environnement immédiat. Nous militerons pour une meilleure intégration. Notre souhait est d'introduire, en Algérie, les nouvelles commodités techniques et technologiques ; nous travaillerons avec acharnement pour l'ouverture d'une école de chiens-guides.Dans ce cadre, nous bénéficierons de l'expérience et de l'expertise de plusieurs associations, notamment canadiennes et françaises. Il faut savoir que dans ces deux pays, les modalités d'accompagnement et d'intégration des non-voyants sont très avancées.Beaucoup a été fait dans ce sens pour permettre à cette catégorie de vivre ordinairement, surtout au Canada. Ce pays a développé des techniques très utiles et commodes. L'Algérie est en retard sur ce dossier, très en retard. Elle a été dépassée en matière d'étude de ce dossier par rapport à ses voisins, le Maroc et la Tunisie, qui, malgré des obstacles, ont pu créer un climat plus ou moins acceptable pour les non-voyants.En outre, le faible taux d'intégration de la technologie pour les non-voyants, comme l'absence de braille et de sonorisation des signalisations, dans les ascenseurs par exemple. Je le répète, nous sommes très loin, mais ce n'est pas une raison pour que nos déboires continuent. Outre l'absence de l'Etat, des associations ne jouent pas leur rôle ; elles sont justes visibles pour les festivités ou pour demander des subventions, qui ne servent même pas dans des activités au bénéfice des non-voyants. C'est pour cela que pour notre association, El Israr, nous avons été pointilleux pour choisir les membres. Le premier critère est la détermination.-Que comptez-vous exiger sur le plan juridique 'Sur le plan juridique, nous ne voulons pas de l'aide sociale, qui est dérisoire. Elle est actuellement de 3000 DA/mois. Nous demandons une pension minimale de 25 000 DA. Il faut noter que beaucoup de non-voyants vivent grâce à l'aide de leurs proches. Pour les non-voyants tardifs, déjà mariés et qui ont des enfants à charge. La situation sociale est très pénible et la précarité gagne cette frange de la société. Ils sont au nombre de 150 000 à 200 000, entre non-voyants et malvoyants, d'après les statistiques réunies et échangés entre les différentes associations. La situation dans les villages reculés est encore plus difficile, les non-voyants y vivent des conditions extrêmement pénibles.En Algérie, l'Etat néglige de manière flagrante la catégorie des non-voyants et des malvoyants. Si pour le moment, nous bénéficions de la gratuité des transports publics (train, bus, métro, tramway), nous disons que nous ne voulons pas vivre de cette manière, nous voulons vivre dignement. La pension pourrait être accordée en attendant d'appliquer la loi pour un accès juste et équitable à l'emploi. C'est une question de dignité. Nous voulons payer ce qui doit être payé et vivre normalement.-Les malvoyants et les non-voyants accèdent-ils à l'emploi 'Nous constatons une réelle discrimination à l'embauche malgré les compétences. Ce sont des cas concrets de hogra. Il existe trois centres de formation dans le pays, qui forment des standardistes. Mais les entreprises préfèrent recruter des voyants, alors que la loi est claire à ce sujet, puisqu'il est exigé d'embaucher 1% de handicapés. La loi existe, mais elle n'est pas appliquée, d'où le sentiment d'injustice. En outre, le ministère de la Solidarité met dans le même panier toutes les catégories de handicapés physiques, alors que chaque cas doit être étudié selon le handicap.Beaucoup de métiers sont accessibles aux non-voyants aujourd'hui. Soulignons dans ce sillage que des usines de fabrication de balais ont été fermées, alors qu'elles employaient de nombreux non-voyants. C'était leur gagne-pain. Ceux qui ont pris la décision de fermer ont privé des familles de salaires. Et on assiste à l'importation de produits similaires de moindre qualité.Le plus grave est que des citoyens qui ont perdu la vue ont été par la suite licenciés abusivement, alors qu'ils pouvaient continuer à travailler. Et le plus injuste : la plupart ont perdu la vue à cause d'erreurs médicales. Les autorités calment les esprits pour gagner du temps, mais en parallèle, des familles sont déchirées. Plus grave, il y a une impunité totale, aucun responsable médical n'est sanctionné. J'appelle cela un crime médical.-Existe-t-il une discrimination à l'école ou à l'université 'Dans les établissements scolaires et universitaires, la discrimination est rare, pour ne pas dire inexistante. Sauf qu'il manque le matériel, comme les claviers et les livres en braille, ainsi que les logiciels pour les livres sonores. Dans notre association, nous ferons tout pour introduire en Algérie des tablettes numériques pour la lecture sonore de livres, même si nous savons qu'il faut une volonté étatique pour accélérer le processus d'intégration. Nous n'excluons pas, dans ce cadre, le mécénat. La loi interdit la publicité et, de notre côté, nous ne voulons absolument pas qu'on exige de nous de faire de la pub pour une société, ce serait un non-respect de l'éthique.-Quels autres problèmes quotidiens pouvez-vous évoquer 'Les constructions ne sont pas du tout appropriées. Les trottoirs défoncés et les marches surélevées sont juste deux exemples pour dire que c'est une souffrance. Et parfois, on n'arrive même pas à faire la différence entre une route et un trottoir. Les urbanistes devraient prendre en considération toutes les franges de la société avant de concevoir les projets. De manière générale, la vie n'est pas simple pour les non-voyants.


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