Algérie

L'écran noir jadis blanc de notre cinématographie



Après une première, la salle du Répertoire de Blida a suspendu la projection de « L'envers du miroir » de Nadia Cherabi. La projection du film qui devait se dérouler du 25 novembre au 09 décembre, s'est achevée en queue de poisson pour raison technique majeure : retour catastrophique du son. Et dire qu'il s'agit là d'une salle dont la prétention est d'être un des hauts lieux filmiques, à une encablure de la capitale. Qu'en est-il ailleurs ? Les incantations « litaniques » des pleureuses de noir vêtues ne suffiraient sans doute pas pour faire le deuil sur ce qui a été jadis un objet de fierté nationale. La problématique du film qui ne dispose pas de suffisamment de salles de projection est une ineptie en soi. Encourager la production nationale dans un tel marasme, est aussi ubuesque que d'acquérir des avions et des navires sans disposer d'aérodrome ou de voie d'eau ! On oublie le plus souvent que nos référents culturels sont presque tous d'essence orale ou cinématographique. Cette culture acquise, il faut le reconnaître, participait du fait colonial qui dans sa propagande civilisatrice, utilisait la boîte merveilleuse pour inciter ces multitudes barbaresques incultes à plus de polissage civilisationnel. L'imaginaire mystique ainsi domestiqué, ramollirait les bastions de résistance culturelle ultimement dressés à l'envahissement militaro-colonialiste. En dépit des intentions bellicistes et belligérantes de la spoliation, élèves à l'école indigène, le souvenir vivace de la séance cinématographique suscite encore en nous, une émotion irascible pleine de nostalgie. Et tant pis ! si le mot est lâché. Chacun de nous, du moins ceux du « temps que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître », se rappelle qu'il existait dans chaque école une salle de projection constituée de deux classes ouvrant l'une sur l'autre, séparées par un mur accordéon rabattable pour les besoins de la cause. La séance de cinéma scolaire était un acte culturel consacré. Le village quant à lui, il accueillait le ciné-bus avec allégresse et se regroupait, sur la place publique, assis à même le sol en face d'un mur blanchi à la chaux. Dès le premier faisceau d'images, des cris de joie et d'émerveillement partaient de la foule. Le cinéma autochtone faisait ses premiers pas avec les Touri, Sid Ali Fernandel et autres Keltoum. « Balak m' trik a hou tahquiq ahoum djaou el boulicia » une sorte de comédie musicale puérile, mais qui avait l'avantage de faire parler les comédiens dans notre jargon national, ce qui nous faisait bomber le torse, le temps d'une soirée. Cet événement constituait pendant des jours et des jours, le sujet de discussion de toute la communauté, hommes et femmes confondus. S'il est vrai que l'image cinématographique d'alors suggérait la soumission au fait colonial, elle n'en demeurait pas moins une fenêtre sur le monde, ce qui par conséquent produisait l'effet inverse de celui insidieusement ourdi. L'hégémonie culturelle a vite été instrumentalisée par les mouvements de libération naissants qui s'inspiraient, dès lors, de la Révolution française de 1789. Il était donc de bonne guerre de s'approprier le butin de guerre offert sur un plateau d'argent. C'est ainsi que le petit yaouled découvrait à l'âge ingrat, Gregory Peck et Forest Tucker dans « Jody et le faon » du Far West américain, ainsi que « Crin blanc » de la Camargue provençale. Ça c'était à l'école; au cinéma la belle aventure s'enclenchait avec l'épopée biblique de « Quo vadis », « La Tunique » et l'immortel « Samson et Dalila ». Des extérieurs de ce dernier étaient tournés en 1948 à Bou-Saâda. Les studios Paramount, la Twenty Century Fox et la Metro Goldwyn Mayer lançaient ainsi les premiers assauts propagandistes pour une Judée, victime du panarabisme montant. Réalisés au lendemain de la première guerre israélo-arabe, ces fresques bibliques faisaient le lit de la deuxième qui, rappelons-nous, aura lieu en 1956. D'apologie hébraïque à souhait, ces films forçaient notre admiration jusqu'à la mime de leurs personnages. Les guerres puniques n'eurent droit qu'à « La chute de Carthage » et « Hannibal » cuisantes défaites de la Numidie face à Rome convertie au christianisme. On crucifiait ainsi notre esprit contre toute velléité libératrice. N'était-ce pas Rome qui avait crucifié le Christ ? Sauvé in extremis à Suez par la Russie de Boulganine, le monde arabe et par conséquent son cinéma, égyptien bien sûr, faisait dans le vaudeville de Farid El Atrache agrémenté de contorsions lascives de Samia Gamal, qui donnaient l'illusion que nous étions progressistes. Aux agressions armées de la Haganah, nous opposions nos « Antar El Abssi » et « Bissat Errih », qui étaient hélas, aux antipodes de l'annihilisme culturel et cultuel que nous menait le monde dit libre. En dépit de sa machine de guerre impressionnante, le judéo-christianisme optait pour une stratégie publicitaire sans limite dans le registre de l'allégorie à la menace, que faisait planer l'ogre arabe sur le petit Israël à peine naissant. Et c'est coup sur coup que sont réalisées des superproductions qui feront date dans l'histoire du cinéma, aidées en cela par les nouvelles techniques du CinémaScope et de l'Eastmancolor. Défaits sur tous les fronts, nous sublimions les héros des « Dix Commandements », « Ben Hur » et « David et Goliath ». Le comble était atteint quand nous nous prenions pour le petit David dans son combat contre le géant philistin, ancêtre palestinien. Bien sûr, pour ne pas paraître partial, ce cinéma de guerre psychologique commettait des oeuvres parfois majeures en souvenir des grandes dynasties égyptiennes ou arabiques, telles que « Cléopâtre », « Salomon et la reine de Saba ». L'on aura remarqué qu'il ne s'agissait que de reines, dont seuls les ébats royaux ont fait l'histoire. Que suggérait « Sodome et Gomorrhe », si ce n'était le rappel de la punition de Dieu infligée aux moeurs dissolues du pays de Canaan, dont le peuple arabe tire son origine ? L'intention de nuire, édulcorée certes, était à peine voilée. La différenciation ethnique par l'humiliation fait légion dans l'historiographie conflictuelle israélo-arabe. Les films « Le voleur de Baghdad » et « Ali Baba et les 40 voleurs » pas innocents, le terme voleur est à deux fois évoqué, participaient plus à l'endormissement des spectateurs béats qu'à la glorification de leurs faits d'armes. En avaient-ils eu d'ailleurs ? Ainsi s'achevait la période de domination picturale du monde arabo-musulman, qui ne s'arrêtait pas de produire des remakes de « Antar ou Abla » et « Kaïs ou Leïla ». La rêverie était toujours de mise. La domination actuelle était déjà annoncée par « Lawrence d'Arabie », la perfide Albion prenait le témoin. Les films « Le pont de la rivière Kwaï » et « Docteur Givago » affirmaient la sainte alliance anglo-saxonne contre le pays du Soleil Levant et la Russie socialiste. Cuba dérangeante déjà, entraînait dans son sillage des peuples déterminés à se libérer. Pour gommer de la mémoire des Yankees la débâcle de la baie des Cochons, le cinéma californien égal à lui-même, fait du pied à la race noire, la série commencera par « La chaîne » de Tony Curtis et Sidney Poitiers. Il continuait à tirer du massacre de peuplades amérindiennes sa piteuse gloriole. Nous nous prenions, dans le feu de l'action, pour le général Custer ou Buffalo Bill, jamais Geronimo ou Cochise, le « bon » Apache défait ou mort. La naïveté juvénile n'appréhendait pas le génocide de peuplements que l'humanité a escamoté, par le seul mirage de l'image cinématographique. De « Big Horn » à « Fort Alamo » on soutenait inconsciemment le Gringo. Ce même cinéma sublimait par contre, l'aspiration des peuples et pas n'importe lesquels à la liberté. Les hauts faits d'armes de Davy Crockett et de ses trappeurs, contre les tuniques rouges de sa Gracieuse Majesté, sont servis à toutes les sauces. La guerre du Pacifique eut, elle aussi, ses lyliades filmiques, il fallait justifier les désastres nucléaires d'Hirochima et de Nagasaki. On innovait ingénument dans la romance pour créer des idylles entre les douces geishas et le troufion amerloque machiste pour le rapprochement des peuples. Il ne s'est jamais agi d'une Américaine amourachée d'un Nippon. A l'effet de titiller le recrutement des GI's dans toutes les couches sociales et raciales, Audy Murphi, le soldat le plus décoré de la Seconde Guerre mondiale, jouait son propre rôle dans « L'Enfer des hommes », on permettait même à Elvis Presley dans « Gi Rock » de se trémousser dans un cantonnement militaire en Allemagne. Déjà et en plein conflit israélo-arabe du milieu des années cinquante, on remet sur la pellicule « Richard Coeur de Lion » et « Les Chevaliers teutoniques ». Tyr et St-Jean-d'Acre, victoires historiquement sarrasines, sont restées à travers la gorge. On rappelle aux impies par l'image encore, que Jésus est né à Nazareth par le film éponyme. Encore lyrique, le cinéma arabe faisait dans le cinéma à l'eau de rose; on imitait gauchement les comédies musicales de Broadway; Hind Rostom, en robe moulante et gants noirs, singeait Marlène Dietrich et autres vamps hollywoodiennes. Entre les conflits armés on ne lève pas le pied, on rappelle à l'hémisphère Sud que le Nord est dominant, « Les Vikings », « Marco Polo » et autres conquérants, ne seront pas de n'importe quel Nord. Il est tacitement compris qu'il ne s'agit que du Nord libéral, le socialiste ne faisait pas encore partie de la sainte alliance. Dans l'air du temps, le maccartisme réinventait les intrépides cavaliers de la Toundra glorifiés par « Tarass Boulba », « Attila fléau de Dieu » et « Les Conquérants » qui caressaient dans le sens du poil les peuples d'Asie mineure « placés sous le joug communiste ». Et tant pis pour l'URSS ! La restitution pelliculaire des fastes royaux abbassides est réaffirmée par de fabuleux contes du genre « Aladin et la lampe merveilleuse » et « La légende de l'épée magique »; pour plus de crédibilité artistique, on enrôle un Rock Hudson ou un Sal Mineo. Le contenu soporifique est niaisement et onéreusement ingurgité par un public arabe ébahi. La moralité du « Le corbeau et le renard » semble prendre à tous les coups, elle perdurerait apparemment. L'Europe libérée quant à elle par « le Jour le plus long » de l'Oncle Sam, constituée par les deux puissances coloniales britannique et française, escamotant les affres de l'asservissement infligés à des continents entiers, chantait les vertus de la résistance aux forces nazies par une série de productions cinématographiques épiques, telles que « La Bataille d'Angleterre », « Un Taxi pour Tobrouk », « La Bataille d'El Alamein ». On faisait l'impasse sur le pogrom de mai 1945 en Algérie, mais plus tard « Auschwitz », monument élevé en souvenir des suppliciés de la Shoah, rappelait aux bons souvenirs de l'humanité le drame vécu par le peuple juif. Tel Moïse, Otto Preminger dans son « Exodus » emmenait le peuple élu vers sa terre promise. Il faut pourtant reconnaître à ce cinéma l'immortalisation de grandes oeuvres littéraires universelles, de Hugo, de Tolstoï, de Flaubert et de Zola. La nostalgie impériale n'était cependant pas en reste, de « Michel Strogoff » à « Sissi impératrice » et de « La Berezina » à « Waterloo ». Le cinéma soviétique qui a commis jusque-là des oeuvres universalistes, le « Cuirassé Potemkine » et « Ivan le Terrible » entre autres, se voit contrecarré par le cinéma international dans son propre fief littéraire, « Guerre et Paix », « Crime et châtiment » et « Catherine de Russie » feront partie des monuments de la filmographie mondiale. Serguei Boundartchouk avait tenté, avec sa belle « Guerre et Paix », de renverser la vapeur mais en vain. David Lean assène le coup de grâce par « Docteur Givago » de Pasternak, dont l'oeuvre littéraire était interdite en Union soviétique. Ce n'est qu'à l'âge adulte que nous pûmes apprécier « Saladin » de Chahine, « Les Années de braise » de Hamina, « Le Messager » et « Omar El Mokhtar » de El-Akkad. Ce dernier avait pris la précaution de réaliser deux versions, l'une arabisée et l'autre américanisée par des vedettes internationales, telles que Anthony Quinn et Irène Papas, redécouverts tous deux dans « Zorba le Grec ». Malheureusement, plus de deux décennies se sont écoulées entre les oeuvres tirées de l'Ancien Testament et les fresques cinématographiques arabes destinées à une opinion internationale déjà acquise au petit David. Les temps avaient inexorablement changé. Cette revue non exhaustive démontre, si besoin était, l'impact presque irréversible de l'image sonore sur l'esprit de l'enfant et de l'adolescent. A l'age adulte, les stigmates sont déjà là, la réhabilitation ne pourrait s'opérer qu'à travers le martèlement de l'esprit par cette image sonore véhiculée par le cinéma. L'éducation culturelle n'étant pas biologiquement innée, ne peut être qu'acquise. Son appropriation par l'enfant ne fera que développer plus tard chez l'adulte, cette appartenance citoyenne sans laquelle aucun développement socioéconomique n'est possible. A quand un réseau dense de distribution pour ouvrir la voie à une véritable industrie du film ? L'Inde et l'Egypte ont depuis longtemps conquis des parts de ce marché florissant. Le Maroc, qui avait commencé par louer ses studios naturels, s'y est mis déjà. Notre pays qui est un immense studio à ciel ouvert, sans Sun Light (le mot serait de Cecil Blount de Mille), ne semble pas se rendre compte de cette manne offerte par l'industrie de l'audiovisuel. Courir derrière des usines qu'on délocalise et qui ne viennent pas, n'est peut être pas le meilleur moyen de bien investir. L'année de la culture arabe qui s'achève aura laissé un arrière-goût d'inachevé, par l'absence de grands rendez-vous cinématographiques populaires.


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