Algérie

«L'Algérie peut prétendre à l'implantation de deux ou trois grands constructeurs» Redha Amrani. Spécialiste en économie industrielle


«L'Algérie peut prétendre à l'implantation de deux ou trois grands constructeurs»                                    Redha Amrani. Spécialiste en économie industrielle
-Certains économistes soutiennent que pour encourager l'industrie automobile en Algérie, il faudrait commencer par contingenter les importations dans ce domaine. Pensez-vous que ce soit un préalable essentiel '
Les véhicules industriels, les bus et les engins de travaux publics produits localement depuis trois décennies ne sont pas protégés outre mesure par la législation algérienne ou par les accords avec l'Union européenne. Lors de l'ouverture du marché automobile à l'importation au début des années 1990, la loi sur la monnaie et le crédit imposait aux importateurs d'industrialiser localement la production automobile. Les lobbies de l'importation avaient réussi à contourner cette loi, puis à faire annuler toute contrainte envers les importateurs. La Tunisie avec beaucoup moins de moyens que nous et un marché interne peu développé avait réussi pourtant à imposer aux importateurs de véhicules particuliers qu'ils compensent leurs ventes sur le marché tunisien par l'achat de composants automobiles ou d'autres produits de l'industrie métallurgique tunisienne.
Le Maroc a élaboré une stratégie industrielle clairement énoncée, où l'industrie automobile dans son ensemble était une priorité du développement industriel et les moyens et actions nécessaires ont été effectivement mobilisés et concrétisés. Poser un tel préalable est irréaliste de nos jours ; le code des investissements offre comme dans tous les pays des avantages et exonérations à tout nouvel investisseur. Le problème réside dans l'organisation de l'industrialisation de notre pays ; nous ne disposons pas de politiques industrielles clairement énoncées et des outils techniques et organisationnels nécessaires à leur mise en 'uvre. L'industrie automobile ne se résume pas à une ou deux usines comportant une ou deux lignes d'assemblage chacune. Il s'agit de plate-formes de production réunissant les installations principales du constructeur et celles de ses fournisseurs de composants et de demi-produits (verre, plastique, produits métallurgiques, pneumatiques) nécessaires à la fabrication du véhicule automobile.
La question que nous devons nous poser et résoudre est de savoir pourquoi, malgré notre marché important et en devenir ainsi que le potentiel de notre main-d''uvre les constructeurs automobiles ne s'intéressent pas à notre pays à l'instar des pays émergents où ils investissent massivement et s'installent en compagnie de leurs fournisseurs et équipementiers ' Vous voyez que les choses sont autrement plus complexes que le contingentement des importations, une pratique des temps bien révolus.
-Renault aurait exigé pour venir en Algérie d'avoir la garantie qu'aucun autre investissement étranger dans ce secteur ne soit autorisé pendant un certain nombre d'années ' Pensez-vous que ce type d'exigences soit fondé '
Renault se considère en position de force dès lors qu'il est sollicité par nos responsables de l'investissement automobile. On a politisé à outrance cette relation d'affaires au lieu de solliciter sur des bases techniques et commerciales plusieurs constructeurs étrangers et leurs fournisseurs et équipementiers. En ce qui concerne son éventuelle exigence de prohiber toute investissement automobile en Algérie pendant un certain nombre d'années, il faut dire que c'est la deuxième fois que nous nous trouvons face à une telle exigence. Ce serait une forfaiture, car le domaine public de l'Etat étant séparé constitutionnellement du domaine privé de l'Etat, la puissance publique n'a pas à s'engager dans un tel arrangement commercial.
Seules les règles et procédures de l'espace marchand doivent prévaloir en la matière Il faut rappeler qu'en 2001, lors de la vente ou plutôt du bradage de 70% du complexe sidérurgique d'El Hadjar et de son réseau de distribution à Mittal Steel, une clause non publiable a été imposée aux négociateurs algériens par Mittal Steel ; l'Etat algérien s'interdisait d'investir des fonds publics dans tout projet sidérurgique en Algérie pendant dix ans ; le résultat catastrophique fut que la production du complexe d'El Hadjar est tombée d'un million de tonnes par an à 500 000t/an en l'absence d'investissements d'extension et de maintenance au complexe d'El Hadjar pendant dix ans par Mittal Steel, devenu Arcelor Mittal : les importations d'acier par notre pays s'élèvent actuellement à plus de 5 millions de tonnes par an et à plus de 4 milliards de dollars par an, soit le coût de deux complexes sidérurgiques de 1.6 million de tonnes d'acier par an chacun. Compte tenu de cette terrible expérience entre autres, je considère qu'il ne faut accorder aucune garantie de ce genre à Renault ou à un quelconque autre investisseur.
-Seuls Renault et Volkswagen ont affiché de réelles ambitions. Renault a l'avantage de proposer des véhicules destinés à une classe moyenne, ce qui n'est pas le cas de Volkswagen. Dans un marché où les constructeurs ne se bousculent pas pour s'implanter, peut-on imaginer que le gouvernement algérien puisse sacrifier l'un des projets pour satisfaire l'autre '
Il n'est pas juste de dire que seuls Renault et Volkswagen ambitionnent d'investir dans l'industrie automobile en Algérie. MAN et Mercedes investissent déjà à Aïn Smara, Rouiba et Tiaret. Le groupe Cevital a annoncé que dans le cadre de son projet de Port du Centre près de Cap Djinet, il est prévu une usine automobile avec des investisseurs sud-coréens.
Cette année, le marché algérien de l'automobile absorbera plus de 500 000 véhicules particuliers. Est-ce que cette tendance est lourde et va se poursuivre ' Notre marché est déjà plus important que celui d'un pays industrialisé comme la Pologne qui dispose d'une puissante industrie automobile. Tant au niveau du PIB par habitant qu'au niveau des équipements des ménages en véhicules particuliers, l'Algérie avec près de 135 véhicules pour 1000 habitants et un PIB de 7200 $/hab se situe au niveau des pays
émergents disposant déjà d'une industrie automobile.
Il existe une corrélation forte entre le taux d'équipement en automobiles et le niveau de développement économique des pays : les parcs automobiles tendent à augmenter avec le degré de richesse par habitant des diverses économies. Par exemple, à l'horizon de l'année 2020, la croissance de ces parcs pourrait ainsi être impulsée par certains pays émergents.
Le parc de véhicules particuliers en service dans le monde est aujourd'hui en très forte croissance, notamment sous l'effet de la contribution des pays émergents. C'est en 1995 que ce parc a, pour la première fois, dépassé les 500 millions d'unités et, selon les
prévisions de J. D. Power and Associates, il devrait dépasser le milliard d'unités à l'horizon 2015, pour s'approcher de 1,2 milliard en 2020. Les principaux constructeurs mondiaux vont donc augmenter leurs capacités de production et poursuivre leur installation sur les marchés émergents.
Compte tenu des perspectives de notre marché interne et de l'évolution de la demande mondiale, nous devons à juste titre prétendre à une implantation dans notre pays de deux ou trois grands constructeurs mondiaux d'automobile pour satisfaire le marché local et dégager des productions à l'exportation.
-Donc, il y a de la place pour tout le monde '
Notre gouvernement n'a pas d'arbitrage à faire entre les différents constructeurs mondiaux ; il devra au contraire organiser et mettre en 'uvre les conditions et moyens les plus favorables pour l'implantation effective d'une véritable industrie automobile dans notre pays.
Il s'agira en termes d'aménagement du territoire de proposer deux ou trois plateformes logistiques complètement équipées en zones industrielles, centres de formation et dotées de puissants moyens logistiques adossées à des ports équipés pour la réception de biens intermédiaires et pour l'exportation d'automobiles.
Les contacts pour la réalisation d'un projet de construction automobile doivent concerner non seulement les fabricants automobiles mais aussi leurs fournisseurs principaux et leurs équipementiers, car il s'agit de mettre en place sur chaque plateforme un réseau de partenaires encadrant le constructeur principal ; ce n'est plus l'approche des sous-traitants des années 80, mais bien plutôt une approche partenariat avec des fournisseurs de biens intermédiaires et d'équipements de première monte installés tout près de l'usine de montage des véhicules. Le projet de véhicules rassemble des entreprises mettant en commun des compétences pour former un réseau de partenaires. La fonction logistique devient de premier ordre pour assurer le «just in time» et les formations dans cette discipline sont une des priorités de la construction automobile.
Du côté algérien, il s'agira de s'organiser pour associer à tous les niveaux des discussions et négociations les industriels et PMI déjà impliqués dans la fabrication des biens intermédiaires et la sous-traitance au niveau des usines du CVI et du pôle de Constantine Aïn Smara, ainsi que les concessionnaires concernés par la marque approchée et qui ont fait de gros investissements en termes de réseaux de distribution et de service après-vente.
La fabrication automobile est incontournable à moyen et long termes dans tout processus de développement économique et social ; elle doit être engagée en réunissant les meilleures compétences humaines et disposer d'un soutien sans faille des autorités gouvernementales à l'échelon national et local. L'appel à une expertise étrangère réelle en termes d'organisation et d'aide à la négociation des différentes parties du programme peut s'avérer fort utile pour réduire les aléas de l'inexpérience et garantir une implantation réussie ; elle peut être aussi le gage auprès des partenaires étrangers que leurs préoccupations et intérêts
technico-économiques sont effectivement pris en considération par leurs partenaires algériens.


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