Algérie

Juste pour ne pas oublier


Juste pour ne pas oublier
Mohamed Ranem nous a quittés en silence en cette année 2014, mais il a laissé derrière lui un patrimoine inestimable et une empreinte gravée à jamais dans l'histoire de l'art de notre cher pays, dans sa mémoire, dans notre mémoire collective.Homère, le célèbre et l'un des premiers intellectuels grecs, en écrivant L'Iliade a gravé a jamais l'histoire de la guerre de Troie et ses acteurs comme Hector, Achille et sa querelle avec le puissant roi Agamemnon. On pouvait lire ce fameux passage là où il disait: «Laissez-les dire que je suis fier d'avoir vécu avec des géants, laissez-les dire que je suis fier d'avoir vécu le temps d'Hector et d'Achille.» A mon tour de dire que je suis très fier d'avoir connu Mohamed Temmam, Mohamed Ranem, Mustapha Bendebbagh, Hamimouna, Mohamed Racim, Ali Khodja Ali, Yellès, Issiakhem et bien d'autres géants qui ont à jamais gravé leurs noms dans le livre d'or de l'art algérien.Nonobstant les carences en formation de spécialistes, tels les historiens de l'art et les écrivains critiques de l'art qui restent en dessous des standards de comparaison. Cependant, il faut signaler tout de même la pertinence du papier de Mme Orfali, lors de la dernière exposition de Mohamed Ranem au Centre des Arts et de la Culture du palais des Raïs qu'elle a intitulé: «Hommage à Mohamed Ranem, Doyen des arts appliqués». L'article dénote la profonde expérience et la richesse des connaissances de l'auteur, lesquelles, j'espère, seront mises à contribution pour écrire aux jeunes générations sur l'histoire glorieuse des arts dans notre pays, ceci bien sûr si ce n'est déjà chose faite. Cet écrit se veut un cri de détresse, malheureusement. Beaucoup de noms d'artistes qui nous ont quittés avant l'indépendance, commencent à disparaître des mémoires et deviennent de vagues souvenirs. Ils sont même inconnus chez les jeunes générations d'étudiants des écoles d'art, plus nombreuses depuis. Des noms tels Mohamed Kechkoul décorateur de talent, de l'artiste Cherrad dit Sefti et bien d'autres - dont les noms arrivent et se bousculent dans ma mémoire - où peu d'informations nous sont parvenues sur leurs itinéraires artistiques, encore moins sociaux. Mohamed Ranem fut l'un de mes premiers professeurs aux Beaux-Arts d'Alger en même temps que Mustapha Bendebbagh, un autre éducateur de talent méconnu. Pourtant, il enseigna la décoration sur bois jusqu'à sa disparition en 2006, c'était aussi mon «prof.». Yellès, Ali Khoja Ali, Martinez, Mesli, Chérifi, Iskander, Chayani, Adane et bien d'autres grands talents, soucieux de former une nouvelle génération d'artistes. Tous, sans exception, méritent notre respect et leur évocation est un devoir.Ce même devoir m'interpelle aujourd'hui, pour évoquer Mohamed Ranem que la famille artistique a perdu récemment. On s'est tous retrouvés. Oui nous tous, tes anciens élèves pour te faire un dernier adieu.Feu Mohamed Ranem fut un artiste timide, avec sa voix basse et sa gentillesse enfantine, presque surréaliste. Il avait 15 ans quand son aventure artistique commença à l'école Omar-Racim de Frais-Vallon à Alger. Omar Racim, cet autre grand maître, militant intellectuel d'une grande culture qui voulait à tout prix offrir pour les jeunes un autre regard que celui imposé par la dominante culture occidentale. Ranem n'a pas perdu de temps avec son ami Ali Khoja Ali; ils organisèrent leur première exposition chez Bacconier à Alger, qui d'ailleurs, déclarera lui-même dans plusieurs interviews avec fierté: «On a tout vendu.»Ranem se rendra à Paris en 1945 pour exposer ses oeuvres et honorer son pays à la Foire de l'artisanat algérien. Georges Marçais artiste et archéologue de son état, auteur de plusieurs ouvrages sur l'Algérie, lui préfaça son catalogue comme élève et disciple de Omar Racim et lui prédit un avenir radieux.Quelques années plus tard, Ranem revient avec un «One man show», une exposition personnelle dans une galerie de la fameuse avenue de l'Opéra. Désormais, Ranem s'est imposé dans son domaine et vole de ses propres ailes et ainsi, l'élève devient maître en accédant à un poste d'enseignement aux Beaux-Arts en 1960.Comme ses professeurs Omar et Mohamed Racim, il mettra tout son savoir-faire et son énergie à former une future génération d'artistes et d'enlumineurs. Il a toujours su comment partager son temps entre l'enseignant qu'il était et son travail personnel d'artiste qu'il fut. La meilleure preuve sont les nombreuses expositions de ses oeuvres d'enluminures et de panneaux de céramique dont la dernière était en 2005 du haut de ses 80 printemps. Ses oeuvres font aujourd'hui le bonheur de nombreux musées et collections particulières.Ranem, comme Temmam, Hamimouna et bien d'autres artistes dans ce domaine se sont vus marginalisés à plusieurs reprises au profit du courant des modernistes et occidental. Néanmoins, ils n'ont jamais cessé de travailler et de produire des merveilles dans la solitude de leurs ateliers. Ils n'ont jamais abdiqué ni baissé les bras.En côtoyant le grand maître, j'ai pu apprécier sa gentillesse et son humilité que seuls les coeurs saints et les enfants possèdent. Ces quelques lignes sont une sorte d'ode: sans musique ni poésie, que je lui rends ici, juste pour ne pas oublier ceux-là, qui ont tant donné à l'art, à nous et à l'Algérie, sans jamais rien demander en retour.Mohamed Ranem nous a quittés en silence en cette année 2014, mais il a laissé derrière lui un patrimoine inestimable et une empreinte gravée à jamais dans l'histoire de l'art de notre cher pays, dans sa mémoire, dans notre mémoire collective.Ranem, Ben Debbagh, Temmam, les frères Racim et bien d'autres ont lutté durement pour survivre dans une société sous un colonialisme oppresseur voulant imposer sa culture occidentale à tout prix. Ces artistes ont usé de leurs voix pour se démarquer et c'était leur façon de lutter afin de maintenir leur identité et leur appartenance à une Algérie qu'ils voyaient déjà indépendante.


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