Algérie

Hommage à Claude Simon (II)



Haï donc par les médias, un peu en retrait de son propre groupe (celui du nouveau roman), Claude Simon va révolutionner le roman de la deuxième partie du XXe siècle. Dans la veine de Faulkner et de Proust, il ira plus loin qu?eux, tout en ayant pour eux la plus grande reconnaissance. Fils du Sud-Ouest français, il écrira dans la veine de cette littérature du Sud si puissante et si charnelle. Littérature de tous les endroits du Sud, celui des Etats-Unis (Faulkner, Caldewel), de l?Amérique latine (Garcia Marquez, Fuentes) de l?Europe du Sud (Goytissolo, Fernandez) et de l?Afrique (Kateb, Ouologuem). Il a, avec cette littérature, plusieurs points communs : le climat, la chaleur, les étés interminables et l?archaïsme de l?homme du Sud, misogyne indépassable soumettant la femme à ses pires caprices. Son univers littéraire s?élabore, alors, à partir de personnages non individualisés, de sujets, en apparence peu importants, voire futiles mais qui recoupent l?histoire générale des hommes, leur désarroi, leur mélancolie, leurs passions et leurs haines qui s?expriment essentiellement par la guerre. Ainsi dans des romans tels que Le Vent (1957), L?Herbe (1958), il y a ce sentiment de vide, d?atonie et de silence. Dans d?autres romans venus après cette première période, il y a du bruit et de la fureur. Folie guerrière des antagonistes. Folie érotique des personnages. Dépassement des sens et du sens : qu?est-ce que la vie ? Rien, ou... presque rien. Ainsi, La Route des Flandres (1961) est un gros roman sur la débâcle de l?armée française en 194O. Ainsi, Le Palace (1962) où Claude Simon raconte la résistance d?une poignée de Républicains espagnols réfugiés dans un hôtel de luxe, à Barcelone, et cernés par l?armée franquiste. Ainsi, Les Georgiques (1981) racontent les campagnes napoléoniennes à travers l?Europe, vues par un général, qui bien qu?à la tête d?un bataillon est surtout préoccupé par la gestion de ses terres. A ce sujet, il entretient une correspondance avec son intendante à qui il donne des ordres, des conseils et des prescriptions pour la bonne tenue des cultures et la santé de son énorme cheptel. A travers ces romans, aujourd?hui emblématiques, et d?autres aussi tels que La Bataille de Pharsale (1969), Les Corps Conducteurs (1971), La leçon de choses (1975), Claude Simon tente de saisir « une réalité dont le propre est de nous paraître irréelle, incohérente et dans laquelle il faut mettre un semblant d?ordre », dira-t-il dans une des rares interviews qu?il a données à la presse. Dans une autre déclaration radiophonique, il dira cela : « J?avoue que je suis hanté par deux choses : la discontinuité des phénomènes et l?aspect fragmentaire des émotions qui ne sont jamais reliées les unes aux autres. Comme je suis hanté, en même temps, par leur continuité ! » D?où l?effort du Prix Nobel de littérature (1985), pour substituer au temps classique, une durée vague, hachurée, discontinue/continue, et où le passé et le présent coexistent, coïncident. Le style de Claude Simon participe à cette problématique kantienne du temps et de l?espace, surtout le style d?ailleurs, dans lequel il est passé maître. Longues phrases coupées de parenthèses qui introduisent des descriptions minutieuses où les analyses psychologiques et métaphysiques, parviennent à suggérer les rapports complexes de la réalité avec la conscience. Dans chaque roman de Simon, il y a toujours un inventaire foisonnant de l?humaine condition, nourrie par les propres obsessions de l?auteur qui cumulent les futilités de l?histoire qui une fois grosse des conflits humains finit par éclater en morceaux dans l?imaginaire de l?artiste fragile et en guerres terribles dans la vision autoritaire et arrogante des hommes politiques. J?ai eu la chance d?avoir été l?ami de cet écrivain prodigieux et de cet homme généreux. J?ai eu surtout l?honneur d?avoir été son élève... et son lecteur toujours ébloui, toujours ému.
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