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Hadj 2017 : Récit de mon séjour cauchemardesque




Hadj 2017 : Récit de mon séjour cauchemardesque
Le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, nie en bloc les témoignages de certains pèlerins sur la situation dans laquelle ils se trouvaient à La Mecque. Notre journaliste a lui aussi accompli son pèlerinage. Récit d'un séjour cauchemardesque.Si, Monsieur le ministre, les pèlerins n'ont pas menti. Même s'il y a exagération des uns, d'autres ont eu à affronter désorganisation, débordement, défaillance, mauvaise prise en charge et manquement de certains à leur mission. Constat : le pèlerinage en réalité n'est qu'une histoire de business entre cet organisme qui relève du département ministériel des Affaires religieuses, créé pour gérer le hadj, et certains opérateurs en Arabie Saoudite, notamment en matière d'hébergement, de transport et de restauration (HTR), même s'il faut reconnaître que parfois les autorités saoudiennes avaient mobilisé des moyens pour éviter les accidents tragiques comme par le passé.
En revanche, les pèlerins algériens avaient vécu des situations indécentes et humiliantes. Ceux qui étaient chargés de contrôler le fonctionnement commercial ne s'adressaient pas aux concernés, les pèlerins. Ils se contentaient d'échanger des mots avec les «mourchidine» et ceux qui encadrent les pèlerins algériens, avant d'établir leurs comptes rendus à leur hiérarchie.
«El-Hamdoullilah kouli machi bil kheir, mafich ayi mouchkil», (nous remercions Dieu, tout marche merveilleusement bien, il n'y a pas de problèmes), déclare l'un des employés d'une agence de voyages algérienne au contrôleur à l'accent égyptien. Le business exige l'entente parfaite entre les affairistes algériens et les employés des opérateurs qui exercent en Arabie Saoudite, au détriment de l'intérêt du hadj.
Celui-ci aura investi un peu plus de 50 millions de centimes pour accomplir l'un des 5 piliers de l'islam. L'opportunité du pèlerinage permet à chaque hôtel d'héberger un nombre considérable de clients en se fichant allègrement de la réglementation. Au niveau de l'un des hôtels qui avait accueilli plus d'un millier de clients algériens, il faut patienter plus d'une heure pour se mettre quelque chose sous la dent. Le riz au poulet fait partie du menu quotidien durant le séjour.
Ce n'est pas l'hôtel qui assure la restauration. Les négociateurs algériens s'étaient entendus avec les «traiteurs», selon un membre d'une agence algérienne de voyages. Les agences de voyages se contentent alors de mettre de l'ordre dans un espace trop exigu. Les plateaux en plastique ne suffisent pas pour servir tout le monde. Les serveurs chargés de distribuer le semblant de nourriture se montrent trop avares. Un ouvrier du traiteur portant sur son visage un masque ramasse les plateaux pour les remettre à son collègue qui les essuie à son tour avec un chiffon pour les remettre à un autre pèlerin.
Système D
Les mesures d'hygiène laissent à désirer. Certains pèlerins ne pouvant supporter ce diktat au restaurant, préfèrent utiliser les emballages en carton. Le «système D» pour être servi rapidement. D'autres pèlerins algériens achètent leur nourriture auprès des épiciers et des fast-foods, avant de regagner leurs chambres. Ils évitent la longue file d'attente et la perte de temps. L'autre file d'attente devant les ascenseurs constitue le énième écueil.
Le plat témoin est un mirage. Les représentants de la mission médicale se plaignent du nombre très important de malades. Ils sont dépassés. Ils ne disposent pas suffisamment de moyens pour faire face efficacement à la forte sollicitation des femmes et des hommes qui souffrent. Bref. Au 9e étage de l'hôtel, assis sur une chaise dans le couloir, Azzedine, un pèlerin qui réside à Alger, ne dissimule pas sa colère. «Je suis victime d'une intoxication depuis une semaine.
Selon le médecin de garde de la mission algérienne, il y a eu 80 intoxiqués qui se sont présentés chez lui. Le médecin a fait son rapport et personne n'a voulu en tenir compte, selon lui», ajoute notre interlocuteur. Un autre hadji, 78 ans, qui réside à Douéra, nous exhibe une boîte de médicaments remplie à moitié : «Voyez ce que m'a délivré le médecin, la moitié d'une boîte pour me traiter», m'avoue-t-il avec un léger sourire.
Dans cette atmosphère qui ne laisse aucune place à la détente, à l'intérieur de l'un des ascenseurs, l'un des hadjis interpelle ses compatriotes : «Qui va descendre à la mangeoire '», un éclat de rire fuse à l'intérieur de l'ascenseur. En effet, à l'intérieur de la cabine, la lettre «M» est indiquée en plus des numéros de chaque étage. Il ne s'agit plus de restaurant, mais de mangeoire. Le départ pour Arafat est annoncé. Chaque pèlerin devra prendre ses dispositions pour accomplir tous les rites. Il s'agit de l'épreuve vitale et indispensable pour chaque hadji.
Risque
Cela doit s'articuler sur l'intention d'aller aux Lieux saints ; après avoir passé une nuit à Mina, il faut rester le lendemain à Arafat jusqu'au coucher du soleil ; passer la nuit à Mouzdallifa avant de rejoindre Mina, séjourner à Mina les deux jours qui suivent la fête de Tabaski ; jeter chaque fois 7 petites pierres sur les 3 stèles durant 3 jours ; se raser la tête pour les hommes et se couper légèrement quelques cheveux pour les femmes, avant de regagner La Mecque. L'enthousiasme affiché par les pèlerins algériens au départ s'est estompé dès leur arrivée dans l'immense camp de Mina. C'est le camp qui porte le n°85 qui a été réservé aux pèlerins algériens.
Durant tout le séjour au camp 85 de Mina, les membres officiels de la mission algérienne ont brillé par leur absence. Ils n'étaient pas concernés par les conditions inhumaines imposées aux pèlerins algériens, femmes et hommes. Le camp n°85 était une honte pour notre pays. Un détour dans les quelques camps démontre l'absence de considération à l'égard des hadjis algériens. La mission officielle algérienne hadj 2017 a totalement failli.
Le gouvernement algérien devra se pencher sérieusement d'une manière exhaustive sur les tâches de chaque département concerné par la prise en charge des pèlerins pour éviter la reproduction des mêmes erreurs et errements pour la prochaine campagne, notamment durant le séjour en Arabie Saoudite. Les rapports officiels, qui seront rédigés par ces membres de la mission algérienne, ne refléteront aucunement la réalité. Même le nombre de décès des Algériens annoncé officiellement doit être revu à la hausse. Les mensonges ne peuvent pas durer éternellement. Notre pays devra un jour fonctionner sur la vérité afin d'aborder l'avenir avec un peu plus d'assurance, dans l'intérêt général.
De retour de Arafat, dès l'entame du crépuscule, les millions de pèlerins empruntent la même route piétonnière pour atteindre Mouzdallifa, d'une longueur qui avoisine 7 km. Enveloppés sous leurs «ihrams», les hadjis passeront la nuit à la belle étoile au milieu de la route. C'est le programme. L'ambiance entre les hadjis est bonne en dépit de la fatigue. Aucun hadji ne se plaint du cadre de vie lors de l'étape de Mouzdallifa. C'est la débrouille pour s'allonger sur un tapis de prière étalé sur le pavé.
Chaque pèlerin tente de dénicher un fruit, de l'eau, une bouchée de pain ou un biscuit. Les femmes n'échappent pas à cette ambiance. Elles se rassemblent au sein d'un espace quelconque, non loin de leurs époux ou de leurs accompagnateurs. Le ciel étoilé est éclairé par la demi-lune. La lumière des lampadaires ne gêne pas les hadjis épuisés par les kilomètres de marche. L'eau coule depuis les lampadaires pour rafraîchir la température. Point d'insécurité à Mouzdallifa. Chaque pèlerin essaye de gagner quelques moments de repos.
Arafat
Les hélicoptères survolent nuit et jour l'espace aérien allant de La Mecque jusqu'à Arafat depuis le début du pèlerinage. Les ambulances sont stationnées le long du parcours pour secourir les pèlerins victimes de malaise. La nuit est courte. Le muezzin appelle à la prière de sobh. La journée commence à s'installer. Les hadjis reprennent la route piétonnière pour rejoindre leurs camps respectifs installés à Mina, situés à 3 km environ. Les hadjis se soumettent aux rites du hadj dans la joie.
Il n'en demeure pas moins que les conditions d'hygiène vécues à l'intérieur du camp «85» à Mina étaient insupportables. Des images qui ne font pas honneur à l'Algérie. Elles dévoilent l'indécence imposée aux pèlerins algériens. Des femmes âgées en pleurs errent le long des allées étroites du camp «85» qui séparent les tentes. Elles n'avaient pas trouvé un matelas pour s'allonger. Les allées sont mouillées par les flaques d'eau.
Des matelas sont déposés le long des allées étroites. Les sacs poubelles remplis d'ordures, les chaises roulantes, les bonbonnes à eau, autant d'objets achalandent les «ruelles» du «village 85». Un décor affligeant pour ce camp décoré par des emblèmes aux couleurs algériennes. La nourriture à Mina se limite à une petite quantité de riz et un fruit distribués aux milliers d'Algériens impuissants face à l'humiliation. Les pèlerins consomment leurs repas sur leurs matelas. Ils n'avaient même pas eu droit à un papier mouchoir pour s'essuyer les mains.
Les hadjis et les hadjates préparent leur café le matin, car il n'est pas servi. Face à cet état des lieux, il ne restait que la solidarité citoyenne pour tenter d'atténuer les déceptions, les douleurs et les maux qui rongeaient les hadjis déjà affaiblis par tant d'efforts depuis le début de leur séjour. Les pèlerins malades sollicitaient leurs compatriotes pour obtenir un médicament. L'automédication. Pour se frayer un passage entre 2 matelas installés le long des allées étroites, il fallait être équilibriste.
Un vieil homme enveloppé sous son ihram, qui marchait difficilement, son regard fixé sur le sol, dégageait discrètement ses excréments sur les pieds des pèlerins allongés sur les matelas. Victime d'une diarrhée, il se dirigeait vers les WC. Conscient, il avait honte. Il était gêné par son état de santé. Personne ne pouvait faire quelque chose pour lui dans ces moments. Une femme tenait ce vieil homme par la main pour éviter qu'il chute, car il n'arrivait pas à se tenir debout facilement.
Le nombre de toilettes est excessivement insuffisant par rapport à la population algérienne affectée au camp «85». Pour faire ses besoins naturels, chaque pèlerin devait concevoir «un projet» pour traverser la tente occupée par les hadjis allongés sur leurs matelas. Les personnes malades étaient dans l'incapacité de patienter pour se rendre aux toilettes pendant des dizaines de minutes pour uriner. L'autre image honteuse, qui s'offre à notre regard, c'est la présence des Algériens couchés sur leurs matelas à proximité des toilettes déjà bondées de pèlerins.
Infect
Leurs matelas sont posés à même le sol mouillé. Le lieu est infect. Un hadj croquait son fruit, tout en scrutant le mouvement des hadjis qui venaient faire leur toilette. Il subit le cauchemar sans prononcer un mot. A l'intérieur des tentes poussiéreuses, c'est le manque de respect total à la vie humaine. Un triste décor est imposé aux pèlerins algériens qui avaient économisé difficilement leurs sous, afin de pouvoir accomplir le pèlerinage à La Mecque avec un «smig» de commodités. Les pèlerins sont abandonnés dans un univers irrespectueux. Un hadj venu de Relizane nous informe qu'il est hébergé dans un hôtel à El Azziziya. Il faut parcourir plusieurs kilomètres pour venir prier à La Mosquée Sacrée El Haram. «C'est fatigant.
En Algérie, ils ne nous donnent aucune explication sur l'éloignement du lieu d'hébergement par rapport à la Mosquée El Haram. Il y a des femmes et des hommes qui restent dans leurs chambres à cause de l'éloignement et des problèmes de transport», ajoute-t-il. Ce n'est pas le cas des hadjis de certains pays, à l'image de nos voisins marocains, du Pakistan, du Koweït, et bien d'autres pays qui se font respecter. L'Algérie était très loin du niveau des considérations que devaient réserver les moutawifines.
Une fois de plus, c'est l'affairisme juteux qui se perpétue et prend le dessus sur l'intérêt public. La culture algérienne. Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, avait accordé des passeports de hadj aux personnes âgées, qui au passage devaient payer la somme de 500 000 DA pour accomplir le pèlerinage.
Certes, la mesure est louable. Mais elle ne vaut pas d'être vécue, car une fois arrivés aux Lieux saints, ces citoyens algériens, qui rêvaient de prier à Médine, à La Mecque et à Arafat, sont livrés à eux-mêmes. Certaines personnes, ne sachant pas lire, s'égarent avant d'être retrouvées des heures plus tard. L'absence de prise en charge accentue l'angoisse pour ces pèlerins algériens.
«Ecoutez, venir à La Mecque sans subir ces misères et la désorganisation n'a pas de valeur, il faut réellement vivre tout cela pour que votre hadj soit apprécié par Dieu (El Adjèr, ndlr), déclare ce mourchid barbu qui distribuait les pommes aux hadjis». Durant toutes les étapes du hadj, y compris à l'aéroport de Djeddah, on se rend compte du manque de considération à l'égard des pèlerins algériens, contrairement à ce que vont affirmer sans aucun doute les officiels algériens face aux caméras à l'issue de la campagne hadj 2017. Néanmoins, certains hadjis et hadjates, au comportement négatif, avaient eux aussi contribué à l'accentuation de l'anarchie.
Patience
Il faut s'attendre à l'annonce d'un bilan très positif, satisfaisant à tout point de vue qui sera bâti sur des mensonges, afin de pérenniser les pratiques maffieuses des gestionnaires de l'opération hadj, chargés des négociations des HTR (hébergement, transport, restauration) avec les représentants des opérateurs saoudiens.
«Je suis déjà venu en 2014. Franchement je suis désagréablement surpris par l'ampleur de la dégradation des services, notamment à Mina. D'ailleurs, mon épouse, déjà malade, n'avait pas pu supporter, mais où sont-ils passés ceux qui avaient été chargés par notre Etat '», nous confie Mehdi. Les visages marqués par l'épuisement, les hadjis étaient arrivés à l'aéroport d'Alger très tard dans la nuit.
Les policiers et les douaniers algériens accueillent chaleureusement leurs compatriotes algériens épuisés par les efforts consacrés au hadj. En effet, ils avaient quitté leur hôtel à La Mecque vers 03h00 (heure locale) pour fouler le sol algérien vers 22h50. L'anarchie règne à la sortie de l'aéroport. Des centaines de familles joyeuses, rassemblées devant la petite porte à l'extérieur de l'aéroport d'Alger, attendent dans une ambiance de fête leurs hadjis.
C'est le bonheur de retrouver leurs siens sains et saufs après un mois d'absence. Le nombre des passagers de l'Airbus de la compagnie aérienne saoudienne qui vient d'accomplir le pèlerinage avoisine les 400 personnes. Pour ces femmes et ces hommes, le fait d'avoir accompli le 5e pilier de l'islam constitue une satisfaction morale, même si cela s'est déroulé dans la souffrance, la douleur, le mépris et l'humiliation.
Les hautes autorités du pays ne doivent plus se contenter des rapports rédigés «par les affairistes», si elles souhaitent améliorer les conditions de séjour des futurs hadjis. C'est l'image de notre pays qui est entachée par l'irresponsabilité de ceux qui traitent les marchés «HTR» avant d'expédier les dizaines de milliers d'Algériens vers La Mecque.
«Ne prenez pas de photos qui offrent une mauvaise image pour l'Algérie», me demande un hadji. «Il faut s'armer de patience et vous verrez que tout se passera normalement», ajoutait-il. «Ces photos sont prises pour attirer l'attention des décideurs algériens, afin que les futurs hadjis ne soient plus humiliés et soient pris en charge comme des êtres humains. Il ne s'agit pas de dénigrer, mais juste de jeter la lumière sur la réalité vécue par les hadjis en 2017», lui répond-on. A bon entendeur...
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