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Gardes communaux : le mépris pour salaire Actualité : les autres articles



Gardes communaux : le mépris pour salaire                                    Actualité : les autres articles
Dans leur uniforme bleu de gardes communaux, Farid, Salat, Mohamed Mouloud et M'heni sont des hommes meurtris. Depuis des années, ils sont de toutes les manifestations. Lundi, ils ont marché de Blida à Alger, avec des dizaines de milliers d'autres hommes, pour que l'Etat les réhabilite. Portraits.
Il a des yeux gris-vert qui tranchent avec sa paupière violacée, séquelle de la confrontation avec la police à Birkhadem. Farid Lahouari a 38 ans. Il a intégré la garde communale de Bouira en 2002. «Je me suis engagé pour combattre ceux qui violaient des femmes et tuaient des enfants», explique-t-il. A l'époque, il était pâtissier. Fils de moudjahid, frère de chahid, il veut défendre l'Algérie pour laquelle les siens sont morts. Il frappe à la porte de la police, mais c'est la garde communale qui l'accepte. Il est incorporé dans une caserne de 4600 hommes, le 27 juillet 2002. A partir de ce jour-là, sa vie va changer. «Nous travaillions dans des zones complètement isolées. Nous n'avions pas d'électricité. Il fallait travailler sans arrêt, 24 heures sur 24. La mission pouvait durer un mois, sans une seule heure de permission», affirme-t-il. Mais le plus difficile est de voir ses collègues mourir. Farid a perdu 25 amis, tués dans des explosions ou lors de contre-embuscades.
Aujourd'hui, il gagne 19 000 DA par mois, dont la moitié est utilisée pour le loyer de l'appartement où il vit avec sa femme et son fils de 3 ans, Abderrahim. Un fils, qu'il ne voit que sur photo de son téléphone portable. «Lorsque l'on discute au téléphone, je pleure», confie Farid. «C'est une vie de souffrance, souffle-t-il en regardant ses mains. C'est injuste, nous avons le droit à la même dignité que l'armée ou la police.»
«Cachés»
Son combat pour la dignité, il le mènera jusqu'au bout. Farid n'a plus peur de rien. Les policiers à Birkhadem ' Il sourit et dit calmement : «Ces hommes sont là grâce aux gardes communaux. Quand les bombes explosaient, ils étaient cachés.» Salat Benyoucef non plus n'a aucune crainte : «Je suis un homme du désert.» Ce grand gaillard de 39 ans a les yeux qui brillent et le sourire aux lèvres.
Il a rejoint les gardes communaux en 1995 à El Bayadh. Sa vie était déjà bien remplie. Issu d'une famille d'éleveurs, passionné de handball, il était entraîneur, arbitre et vice-président de la Ligue régionale. A la fin de ses études, Salat avait obtenu un diplôme d'informatique. Pendant son temps libre, il avait décroché un brevet de secourisme. Mais lorsque les violences terroristes se sont multipliées, il a tout abandonné. «C'est un choix. Celui de protéger mon pays et ses citoyens», explique-t-il. Alors qu'il est engagé, le fonds social de la garde communale lui donne 10 000 DA pour son mariage. «C'était une très belle fête, avec des musiciens chaâbi.» Aujourd'hui, sa femme et ses trois enfants, Feriel, 8 ans, Islam, 6 ans, et Achouak, 2 ans, l'attendent chez lui, au bord d'une oasis. «On se téléphone tous les jours. Quand est-ce que je les reverrai ' Quand on aura obtenu nos droits, inch'Allah.»
Il prévient qu'il restera à Blida, tant qu'il n'aura rien obtenu : «Dans mon cas, à la différence des Aurès, nous étions peu attaqués par les terroristes. Nous luttions contre la contrebande. Mais quand l'Algérie a fait appel à nous, on s'est exposés aux balles. On n'a rien demandé. Aujourd'hui, on finit tabassés et derrière les barreaux ! C'est ça la reconnaissance '» La reconnaissance. Le statut. Une déclaration officielle de l'Etat. Voilà ce qu'attend Mohamed Mouloud Ouanech. Fils d'un officier de police, il travaillait dans l'hôtellerie. Certains de ses collègues ont été assassinés par des terroristes. Il n'hésitera plus et s'engagera dans la garde communale de Tizi Ouzou en 1996. «Nous avons beaucoup souffert, nous sommes capables de faire la guerre avec nos mains», lance-t-il. Mais depuis, il a été radié. Aujourd'hui, plein d'amertume, il crie à qui veut bien l'écouter que son salaire de 7000 DA est un scandale. Silencieux, assis sur une chaise, M'heni Rahili, 50 ans, parle difficilement. Les horreurs des années 1990 l'ont profondément marqué. Sur la route de Chréa, il a vu des gens égorgés, coupés en morceaux, pendus aux arbres.
Il a encore l'odeur de la puanteur des corps brûlés. Mais il n'y avait pas de place pour les sentiments. Chaque jour, il montait la garde et organisait des embuscades. La violence, les missions longues, l'isolement des postes reculés, la dureté du climat l'hiver, la mort des hommes sous sa responsabilité l'ont rendu colérique. «Je n'ai jamais pu me marier», explique-t-il.
Son visage est marqué, sa démarche est lente, comme écrasé par ce fardeau. Pourtant, avant de rejoindre la garde communale de Blida, en 1998, M'heni était un homme joyeux. Enfant des montagnes, il sourit en évoquant les parties de pêche avec ses amis. Il travaillait comme photographe et aimait voyager. Il a visité l'Italie, la France, la Grèce, l'Espagne et la Tunisie.
Larmes
Il a même fait le tour de la Méditerranée lors d'une croisière. S'il devait partir à nouveau, il choisirait le Canada : «Il y a les montagnes, le calme et le climat froid me convient.» Lorsqu'on lui demande s'il est en colère aujourd'hui, les larmes se mettent à couler : «Je n'ai plus d'espoir. En 2012, l'Etat dépense 60 milliards pour la fête du 5 Juillet. Et pour nous, rien. Aujourd'hui, j'ai l'impression de vivre sous perfusion.»
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