Algérie - Actualité littéraire

Evocation: Rabah Belamri, le conteur des lumières intérieures Par Rachid Oulebsir


Evocation: Rabah Belamri, le conteur des lumières intérieures Par Rachid Oulebsir
Victime d’une bombe de l’OAS, à la veille de l’indépendance alors qu’il était en soins intensifs à l’hôpital Mustapha d’Alger, Rabah le visionnaire perdit ses yeux le jour de l’indépendance de son pays ! De ce destin tragique, il entama l’obscur mais salvateur apprivoisement de ses lumières intérieures ! Son cœur remplaça ses yeux ! Rabah Belamri inconnu dans son pays, a produit dans la langue de Voltaire 28 ouvrages entre romans, essais, recueils de poèmes, de contes, et récits. De la lignée des Feraoun, Mammeri, Dib et Kateb Yacine, il est traduit en grec, en néerlandais, en italien !

J’ai rencontré Abdelkader Benarab, journaliste à l’international évoluant entre la France, l’Allemagne et les USA, lors du colloque international organisé à Bejaia par « La Ballade Littéraire » les 2 et 3 juin 2013. Il a connu Rabah Belamri et partagé son univers de l’innocence enfantine. Il ouvrit la discussion sur le poète par la formule magique Kabyle « Amachahou », un idiome de conteur qui a traversé le temps en gardien tutélaire de la mémoire collective amazighe ! Il me fit cheminer dans la vie et l’œuvre du poète non voyant sur les sentiers verruqueux de son village natal pour lui faire prendre l’envol salutaire sur Bouraq, le cheval ailé qui lui fit traverser la méditerranée et le déposa sur le terreau fécond de l’exil, blessure nourricière soignée au quotidien par Yvonne sa femme, son amour et ses yeux ! Nous parlâmes avec mélancolie des œuvres magiques de Rabah, celles que j’eus l’opportunité de trouver dans les librairies et de lire, ces créations intellectuelles marquées par la tension sociale qui a présidé à leur genèse.

Regard blessé

Abdelkader parla longuement du roman « Regard blessé » paru chez Gallimard en 1987. « C’est dans cette œuvre que jaillissent les sources de l’invisible auxquelles le génial conteur s’abreuvait » dira-t-il. Prix France Culture 1987, le récit donne la voix à un narrateur éclairé qui se confond avec la mémoire d’un adolescent de quinze ans qui perd petit à petit la vue après un accident. Le jeune épi brisé par le vent s’enferme alors dans sa mémoire à mesure que son regard se trouble, à mesure que le temps tourne et que les jours sont avalés par les nuits.

L’oiseau du grenadier

Avec « L’oiseau du Grenadier », ce recueil où Belamri étala toute sa dimension de naturaliste dans cette relation intime de protection entre l’arbre et l’oiseau, nous prenons un envol fantastique. Ce recueil nous met tous les sens en éveil, et Rabah nous guide de sa canne blanche dans les tréfonds magiques de sa poésie tissée de mots de moelle et de sang. Ce recueil inspiré nous prend la main et nous fait découvrir l’âme errante du poète qui vécut de ses contes narrés sans pouvoir voir son public. Tout l’imaginaire des ancêtres s’y retrouve, la vie des sources , les cris du vent ,les suppliques de la brume , l’écho du néant ,le besoin viscéral de lumière.

Mémoire en archipel

Dans cet ouvrage de réminiscences et de contes parsemé de légendes populaires de sa Kabylie natale ; Rabah recrée l’univers onirique de son enfance mêlant les souvenirs réels et les souvenirs contés. L’enfant témoin privilégié des secrets dont s’entoure sa famille, mélange superstitions, rites initiatiques et rêves avortés. Il y entremêle en un écheveau fantastique les ogresses, les sultans, les génies, les monstres et les prodiges de son village retiré de la lointaine civilisation imaginée en pointillés. L’œuvre poétique de Rabah Belamri décrit avec intransigeance la réalité sociale et politique de l’indépendance dans laquelle elle est profondément ancrée.

« Allumez-moi le quinquet »

Nous étions au Café, le frère ainé de Rabah prit la parole pour évoquer sa douloureuse adolescence, les conditions fatales où ce jeune prodige perdit ses yeux ! « Allumez-moi le quinquet, Je ne vois plus rien » disait Rabah à sa sœur en plein jour ! La famille ne fut certaine de sa cécité que lorsqu’il fut renvoyé du lycée Albertini de Sétif, parce qu’il ne distinguait plus le jour de la nuit ! On tenta de le soigner avec des herbes médicinales locales ! Un herboriste charlatan lui appliqua de l’oxyde de cuivre qui incendia ses pupilles ! On finit par l’hospitaliser dans la capitale ! Victime d’une bombe de l’OAS, à la veille de l’indépendance alors qu’il était en soins intensifs à l’hôpital Mustapha d’Alger, Rabah le visionnaire perdit ses yeux le jour où l’Algérie recouvra l’indépendance ! De ce destin tragique, Il entama l’obscur mais salvateur apprivoisement de ses lumières intérieures ! Son cœur remplaça ses yeux !

Yvonne, sa femme et ses yeux

Renia Aouadène, écrivaine et conteuse de l’autre rive de la méditerranée, qui s’était jointe à nous, nous illumina de ses révélations sur Rabah Belamri « le conteur des lumières intérieures ». Elle nous confia avec une intense émotion la relation amoureuse unique entre le conteur et sa compagne Yvonne qui fut sa femme et ses yeux ! L’âme de Rabah, qui vécut en conteur professionnel, survola notre entretien comme une hirondelle un premier jour de printemps lorsque Renia Aouadène, la fille de Boukhlifa, professeur d’espagnol à Marseille, évoqua les poèmes de « La rose rouge », les contes du « Bélier de la montagne » et les récits du « Soleil sous le tamis » ! Elle restitua par la lecture du « regard blessé » quelques fragments du rêve immense de Rabah Belamri , révélant la profondeur érotique des contes kabyles en ouvrant un sentier demeuré jusque là tabou, « tel l’entrebâillement interdit de l’habit, là où le plaisir prend sa source » !

Un colloque international pour Rabah Belamri

Rabah Belamri, le « conteur des lumières intérieures » décédé à Paris en 1995, fut ressuscité à Bejaia au début de l’été 2013. Les organisateurs de la « Ballade littéraire de Bgayet » consacrèrent le premier colloque international sur le conte autour de la vie de ce fils de Bougaa qui perdit la vue à 16 ans, et de son œuvre de poète au « regard blessé ».

Le théâtre régional Malek Bouguermouh avait abrité les 2 et 3 juin cet événement regroupant une dizaine d’universitaires spécialistes du patrimoine culturel immatériel méditerranéen, avec des conteurs, des artistes peintres et des hommes et femmes de théâtre ! La projection d’un documentaire sur sa vie clôtura ce colloque présidé par Tassadit Yacine. Nous primes places dans la petite salle de cinéma silencieuse qui fut soudain traversée par la forte présence invisible de Rabah Belamri ! Sur le mur blanchâtre défilaient les images de l’enfance du prodigieux conteur, son village kabyle aux basses maisons, ses murailles de pierre, ses tuiles romaines, ses mausolées, ses sources qui ruissellent, ses chemins muletiers, ses itinéraires d’innocence qui se terminent dans des refuges buissonneux à l’ombre des arbres sous le chant des oiseaux ! Le petit documentaire était habité par la présence fugace des tableaux de l’immense peintre Etienne Dinet !
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