Algérie

ÉVOCATION




Souvenirs du cinéma Nedjma Les Kasbadjis se souviennent encore avec tendresse et émotion du fameux cinéma Nedjma. Située au c?ur même de La Casbah, cette salle de spectacle surplombe la rue Abderrahmane Arbadji. Ce lieu, jadis florissant et fièvreusement animé, nous fascinait. Gillo Pontecorvo filma une scène mémorable de sa prestigieuse Bataille d?Alger. Rouiched campa le rôle de l?ivrogne, harcelé par une nuée de gosses. C?était justement devant le cinéma Nedjma. Il faut reconnaître que la programmation était dense, diversifiée, soutenue. Cette salle ne désemplissait jamais. Elle fonctionnait au rythme de trois séances par jour. Dans une ambiance fébrile, agitée, provoquée par des bandes de jeunes et de gosses parfois survoltés, on donnait l?impression de communier dans une « chapelle » dédiée au spectacle cinématographique. Le prix des places était modeste. C?était suffisant pour pouvoir lâcher la bride à ses émotions. Pour les gosses, issus de familles modestes et pauvres, le Nedjma était l?unique moyen de divertissement qui suscita même par la suite des vocations, forgea des goûts, des penchants inéffables pour l?histoire antique, l?Ouest américain, l?Egypte ancienne, le désir d?en savoir davantage sur les destins exceptionnels de grandes figures universelles. Tout cela était servi comme sur un plat d?argent. Il peut paraître excessif de parler d?éveil culturel chez des enfants batailleurs en diable, querelleurs, grisés par l?aventure, le dépaysement à bon marché. Toujours est-il que la fréquentation assidue de cette salle suscita chez certains, au moins, une passion débordante, éternelle pour le 7e art. Il est étonnant de constater, aujourd?hui, avec du recul, qu?au milieu d?un quartier populaire par excellence, des ?uvres de Ford, Hawks, Barakat, Vidor et tant d?autres cinéastes prestigieux, furent diffusées avec la régularité d?un métronome. Bien sûr, beaucoup de jeunes ne furent pas aptes à saisir les messages, l?humanisme d?un Brooks par exemple. Pis encore, le héros, c?était « El Marikani » (l?Américain) pur, vaillant, courageux. L?idéologie fonctionnait à merveille. Elle faisait sauter de joie au massacre des Indiens. C?est un peu le revers de la médaille. D?autant que beaucoup d?adultes tombèrent dans le piège de la propagande. Mais cela est un autre sujet. Aujourd?hui, le cinéma Nedjma a disparu, emporté par la bêtise, l?inconséquence. La place est étrangement silencieuse, triste. Elle ne résonne plus depuis bien longtemps des bruits, de la fureur, des cris de ces enfants qui faisaient du cinéma Nedjma un lieu de prédilection, de réjouissance, de dévotion au 7e art. Et ce n?est pas un sacrilège.

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