Algérie - Revue de Presse

Etienne Dinet, peintre en Islam de François PouillonSur les traces du peintre orientaliste



Etienne Dinet, peintre en Islam de François PouillonSur les traces du peintre orientaliste
Publié le 22.11.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par MERIEM GUEMACHE

François Pouillon est ethnologue. Il est le fils de l’architecte Fernand Pouillon. Son enquête sur le peintre orientaliste Etienne Dinet a commencé en 1988 et s’est poursuivie jusqu’en 1993, coïncidant avec l’inauguration du Musée Nasreddine Dinet à Bou-Saâda.
Dans son livre Etienne Dinet, peintre en islam. L’Algérie et l’héritage colonial, réédité par les Editions Franz-Fanon, François Pouillon marche sur les pas du peintre depuis ses premiers séjours en Algérie jusqu’à la fin des années 1960. L’artiste orientaliste a consacré son temps à peindre des toiles évoquant la société arabe dans laquelle il vivait. «Jeu des enfants, danse des femmes, scènes de chasse, de guerre ou de sorcellerie, types indigènes nomades ou sédentaires, spectacles naturels des plateaux, des oasis et du Sahara, visions des rites culturels qui rassemblent les croyants de l’Islam.»
Etienne Dinet est né le 28 mars 1861 à Paris. Il effectue son premier voyage dans le sud de l’Algérie en 1884 ; plus tard, il choisit d’embrasser la religion musulmane. En mai 1929, il effectue le pèlerinage en Terre sainte à la Mecque. Il a alors 68 ans. Quelques mois après son retour, le 24 décembre 1929, il tire sa révérence.
«Il ne devait pas résister aux fatigues et aux émotions de ce long et pénible voyage, de cette bouleversante épreuve. Rentré à Paris, il ne tardera pas à succomber. Un service funèbre fut célébré à la mosquée de Paris, puis selon son vœu, son corps fut transporté à Bou-Saâda, où il repose sous la koubba de son jardin, à l’ombre des palmes de l’oasis, près du désert qui fut sa passion.»
Sa rencontre avec Slimane Ben Brahim, qui deviendra son alter égo, a lieu en 1888, à Bou-Saâda. De 10 ans son cadet, il deviendra une sorte de guide pour l’artiste peintre : «Serviable et avenant, l’artiste prend en sympathie ce jeune homme qu’il sollicite pour l’accompagner dans son travail (...) Slimane va donc s’attacher en premier lieu à sauvegarder la tranquillité du maître. Ecarter les importuns, les quémandeurs, filtrer l’accès à la maison constitue une tâche délicate qui exige du savoir-faire et une bonne connaissance des gens. Mais il connaît son Bou-Saâda sur le bout des doigts, et associé comme il l’est à toutes les activités sociales de Dinet, il sait jauger l’importance des visiteurs, et l’urgence.» Slimane Ben Brahim accompagnera même son ami à Paris et en Égypte.
La mère d’Etienne Dinet décède en 1922. Avec l’héritage qu’elle lui lègue, l’artiste acquiert une maison dans le quartier de Saint-Eugène à Alger. Baptisée le «Jardin de la brise» (Rawdhat en-nacim), elle devient sa résidence principale. L’artiste y aménage une galerie où il reçoit ses clients : «Il accepte de ‘réserver’ des toiles à l’avance. Avec la douzaine de toiles, rarement plus, qu’il exécute alors chaque année, c’est toute sa production qui est de la sorte écoulée d’avance.» Après la disparition de Dinet, son ami Slimane hérite de la résidence. Il la met rapidement en vente et rentre à Bou-Saâda.
Dinet avait précisé dans son testament établi en 1913 qu’il voulait des obsèques musulmanes. Il fait aussi construire la koubba où son corps reposera. «Si Dinet s’inquiète en effet des procédures de sa mort, c’est qu’il a fait de sa conversion un geste exemplaire. Il n’ignore pas l’importance des ultimes moments pour juger un destin. Il sait le pouvoir de la communauté d’origine, qui voudrait bien le voir revenir finalement dans la religion de ses pères.»
Slimane est le dépositaire principal du fonds d’Etienne Dinet. En 1942, ayant besoin d’argent, il met en vente la bibliothèque ayant appartenu à son ami.
«Un jeune étudiant, fils d’un cadi d’une commune voisine appelé à devenir plus tard un militant nationaliste de premier plan et un haut responsable de la culture dans l’Algérie indépendante, Mostapha Lacheref, allait s’en porter acquéreur. Il a sans doute fallu ces extrémités pour que Slimane finisse par se résoudre à brader ces livres. Pour une bouchée de pain sans doute, et c’est bien le mot, en ces temps de misères.»
De son vivant, Dinet tenait un livre d’or dans lequel ses visiteurs écrivaient un petit mot. Son ami Slimane perpétua cette tradition après la disparition de l’artiste peintre. Un jour de septembre 1947, il reçoit à Bou-Saâda un invité inattendu : «Un jeune cacique de la IVe république, qui vient d’être nommé ministre des Anciens Combattants, et semble promis à un brillant avenir : François Mitterrand. Homme soucieux d’écriture, il inscrit sur le livre d’or la note suivante : ‘’L’hospitalité dans la maison de Dinet et d’El Hadj Slimane Ben Brahim est une tradition. Elle signifie l’amitié fidèle dans l’étude et le respect du souvenir’’...»
François Pouillon est ethnologue, spécialiste du monde arabe, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales. Il est le fils de l’architecte français Pouillon.
Cet ouvrage a été publié la première fois en France en 1997. Pour cette édition, le texte a été mis à jour dans ses références et augmenté d’une postface.
Meriem Guemache
Etienne Dinet, peintre en Islam. L’Algérie et l’héritage colonial. éditions Frantz-Fanon. 2021. 330 p. 1 000 DA.

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