Algérie

El Alia et Skikda ou les crimes contre l?humanité


Retour sur les traces d?Aussaresses ... Pour les Algériens, El Alia est un haut lieu de la Révolution. Les anciens colonisateurs l?assimilent encore de nos jours à un « massacre commis contre des civils désarmés ». Sans faire dans le décompte macabre, il y a bel et bien eu un massacre. Un crime collectif contre l?humanité, mais lequel n?a pas été commis contre des « civils désarmés » mais plutôt contre des populations entières. Retour sur l?horreur, juste pour comprendre. Skikda devient une ville ouverte aux militaires et aux milices. Le carnage peut commencer. Les premiers qui en feront les frais sont les travailleurs du port, les résidents des dortoirs, les voyageurs de Sidi Okba. Sous l?effet de la surprise, ces derniers seront presque tous massacrés. Ne connaissant pas bien la ville, ils sillonneront dans une grande anarchie l?artère principale de Skikda sous les feux nourris. El Alia est un village minier perché sur les hauteurs graniteuses d?un immense massif, à moins de 30 km à l?est de Skikda. La route qui y mène prend naissance à partir des plages de Ben M?hidi pour graviter ensuite à travers un chemin sinueux. Une nette impression de vide et de silence emplit les lieux en ce mois d?août 2005. A mi-chemin entre Fil Fila et El Alia, les ruines et la ferraille de ce que fut la mine de fer sont encore là. Comme une solide interpellation. Ici, on est en plein c?ur des massacres du 20 août 1955. C?est aussi l?amorçoir morbide qui alla donner libre court à l?imagination destructrice, revancharde et sauvage de l?occupant. Au nom d?El Alia, El Halia, comme la nomment encore les Français, des milliers d?Algériens seront abattus froidement, brûlés vifs et jetés dans des fosses communes. Au nom d?El Alia, de véritables campagnes de chasse à l?arabe furent organisées à Guerbès, Fil Fila, Djendel, Dman, El Bagrat et dans les mechtas de la région, le tout encouragé par le discours haineux de Crevaux, maire de Skikda à l?époque, et aussi par l?instinct bestial d?un Aussaresses au summum de sa cruauté. L?appel au meurtre était devenu un mot d?ordre. Il fallait venger la mort des 30 Européens d?El Alia, alors on tua des centaines, des milliers d?Algériens. La justification des crimes On usa de la mort d?enfants européens pour justifier tous les crimes. Toutes les exactions. Que s?est-il réellement passé ce jour-là à El Alia et pourquoi tant de crimes ? Pourquoi tant de haine qui persiste encore chez certains adeptes d?une Algérie française à jamais révolue alors que le drame a été plutôt vécu par les Algériens ? Pourquoi continue-t-on de l?autre côté de la Méditerranée à placarder des photos d?enfants européens qui seraient morts lors de l?attaque ? Pourquoi tant de marchandage macabre, le tout synchronisé aux humeurs et aux allégations d?une France coloniale qu?on présente aujourd?hui comme une bienfaitrice ? Pourquoi ? Pour tenter de comprendre et de replacer les événements dans leur époque et à leur juste valeur, il fallait arpenter le chemin en flash-back. Revenir à El Alia en ce samedi 20 août 1955, il fallait un guide, un témoin. Il y en avait beaucoup, la région est en effet connue pour avoir enfanté tant de héros, les Maghlaoui, les Ayachi, les Hallaj, les Ouichaoui, les Bouhadja, les Tachi... tout un peuple. Il fallait un homme qui ait pris part à l?offensive et qui ait vu pour témoigner et raconter El Alia. Brahim Ben Ayach accepte de parler. Il s?apprête aussi à éditer un livre par devoir de mémoire et pour que nul n?oublie ce qui s?est passé à El Alia. Il a été le premier responsable de l?opération d?El Alia, en compagnie de sept autres moudjahidine : Youcef Bouhadja, Ali Bouhadja, Amira Ammar, Tachi Chraiet, Ouichaoui Brahim, Khezzouz Mohamed et Mokrane Mohamed. D?abord, il reconnaît que personne ne savait ce qui allait se passer : « Nous savons que les responsables de la wilaya II avaient décidé d?une opération après la réunion du Zamane. Mais personne ne savait ce qui allait se passer, ni où ni comment. On nous a juste demandé de nous préparer en collectant les armes et en préparant les habitants de la région. Il nous fallait aussi nous occuper des collaborateurs et des informateurs de l?occupant, ce qu?on a fait à El Alia ». Les archives rapportent qu?en date du 20 juillet 1955, trois collaborateurs ont été tués. Le parchemin du directeur de la mine rapporte également que « depuis la liquidation de X par les fellagas, aucune information ne nous parvient. Nous nageons complètement dans le vide ». Brahim Ayachi continue : « Notre mission essentielle était de collecter les explosifs utilisés dans les mines. L?ordre était clair : ??Ramenez autant d?explosifs et ne revenez pas les mains vides même si vous deviez y laisser des plumes??. Contrairement à ce qui se raconte, notre objectif n?était pas de tuer les Européens. On ne devait tirer que sur ceux qui portaient des armes. » Et ces civils européens tués, qui seraient une trentaine selon des sources françaises, ils ont bien été abattus ? Ayachi enchaîne : « Ecoutez, il faut dire la vérité même si des fois elle est difficile à raconter, mais permettez-moi de vous affirmer qu?Aussaresses ment. Il ment sur tout, juste pour se donner bonne conscience. C?est vrai que nous avons abattu des Européens et je pourrais même vous les nommer. C?est vrai que dans la bataille, des enfants ont été touchés mais il faut préciser une chose : tous les Européens, plus de 120, qui habitaient alors à la mine étaient armés. Même les femmes avaient des armes, des fusils de chasse pour être plus précis. Les hommes portaient des 8 mm, et même des 9 mm anglais. Ce n?était pas une population désarmée comme le prétendent certains, ils étaient mieux armés et plus nombreux que nous, il ne faut pas avoir peur de le dire. » Véritable chasse à l?homme Pour plus de détails, Brahim Ayachi va plus loin dans ses explications sans chercher de justificatifs. « Ecoutez, croyez-moi, nous disposions de beaucoup d?explosifs et nous aurions pu faire un grand carnage, mais nous ne l?avons pas fait. On dit que nous nous sommes attaqués aux innocents, c?est faux. Il y avait beaucoup de civils isolés ce jour-là et ils représentaient une proie facile. Nous aurions pu les tuer tous, mais on ne l?a pas fait. Je peux vous citer des noms et s?ils sont encore vivants, ils auront à témoigner s?ils le désirent. Il y avait un agriculteur qu?on appelait El Malti (le Maltais), un colon qui avait 5 ha d?arboriculture. Le chef de station de pompage avec ses enfants étaient dans leur maison, seuls. A Fil Fila, il y avait le directeur d?école, Raoul, sa femme, sa belle-mère et ses deux enfants, Bernard et Claudette. Il y a aussi le chef mineur, un Espagnol dénommé Crisobal, avec sa femme et ses deux filles. Le chef cantonnier, sa femme et sa fille. A l?Est vivait en pleine forêt Georges Cortes, sa femme et 3 enfants. A Oum El Ouard, il y avait un contremaître forestier avec sa femme juive et nous ne les avons pas inquiétés. On n?était même pas raciste. Tous ceux que je viens de vous nommer était sans défense et nous aurions facilement pu les liquider mais on ne l?a pas fait, alors, de grâce, qu?on arrête de nous accusés d?être des assassins, parce que nous n?étions que des révolutionnaires aux ordre de la nation ». Brahim raconte aussi, et dans le détail, l?opération. « A midi, El Alia était totalement isolée, nous avons pris soin de couper le câble du téléphone qui reliait la mine à la caserne située à Ben M?hidi (ex-Jeanne d?Arc). Nous étions répartis en quatre groupes. On devait s?occuper du dépôt pour les explosifs, la carrière de marbre pour la poudre noire. Nous n?avons tiré aucune balle, les groupes étaient répartis d?une façon à empêcher tout renfort. Les Européens nous ont vus et ont commencé alors à nous tirer dessus. Mon compagnon Amira a été touché. Un Français a eu jusqu?à l?arrogance de venir nous menacer avec un 8 mm, on l?a abattu pour découvrir qu?il était surarmé. Après ce coup, la bataille avait commencé et les Européens se sont retranchés dans leurs demeures pour nous tirer dessus. Nous avons fait de même. Nous n?étions que quatre hommes armés mais les youyous des femmes sétifiennes nous avaient encouragés. C?était une guerre, mais je peux vous assurer aujourd?hui que si ces Européens n?avaient pas ouvert le feu sur nous, nous ne les aurions jamais inquiétés. » Et après ? Après c?était un déluge de haine. Un massacre. On allait faire payer à des centaines de paysans le prix fort. Dans la caserne Péhau située quelques kilomètres d?El Alia, un déluge de feu allait être orchestré contre tout ce qui bouge. 200 soldats appuyés par des T 16, des avions d?attaque au sol se dirigent vers la mine. La suite, c?est l?horreur. Bilan de la première offensive meurtrière ; plus de 200 Algériens sont tués et une soixantaine emprisonnée. Ils seront froidement abattus par Aussaresses qui en fait l?apologie dans son livre Services spéciaux. En voici un passage : « J?ai fait aligner les prisonniers, aussi bien les fels que les ouvriers musulmans qui les avaient aidés. Au moment d?ordonner le feu, Bébé était nettement moins chaud (...) J?ai été obligé de passer les ordres moi-même. J?étais indifférent ; il fallait tuer, c?est tout, et je l?ai fait. » Mais Aussaresses n?évoque pas dans son livre les exécutions sommaires et les autres crimes de l?armée coloniale. Brahim Ayache témoigne : « C?était une véritable chasse à l?homme qui durera toute une semaine. On attaquait mechta par mechta, il fallait tuer tous les Arabes. Les habitants de Mechta Oued Ezzène à Fil Fila ont été capturés pour être torturés au tunnel de Bouabbaz à Skikda. La plupart ne sont jamais revenus. Les habitants de mechtat Ezzène ont été enterrés dans une fosse commune. Les paysans de mechtat Ec Chatt, ont été torturés puis jetés dans le puits de la carrière comme les habitants de mechtat Charaâ Allah. En une semaine, El Alia était devenu un village maudit où on sentait l?odeur de la mort. » Brahim Ayache temporise un instant puis reprend : « Pourquoi Aussaresses ne parle pas des familles sétifiennes ? Elles étaient plus de 300 qui habitaient dans la région. Elles ont fui pour leur majorité les massacres du 8 Mai 1945 pour tomber sur un autre massacre. Certaines familles ont fui à pied jusqu?à Sétif, d?autres ont été capturées à Azzaba et abattues. » Il témoigne également que « le lendemain, les militaires sont revenus pour faire croire aux quelques habitants apeurés qu?il ne leur arriverait rien. Aidé par un collaborateur habillé d?un burnous en plein été, ils les ont ramenés à leurs demeures, des gourbis de fortune, et leur ont demandé d?éviter à tout prix de sortir. Les pauvres Algériens se sont entassés dans leurs gourbis et c?est là que des lance-flammes furent utilisés. On brûla les demeures et tous leurs occupants. Des cris fusaient de partout. Pourquoi ne parle-t-on pas de ça ? Aussaresses a-t-il la mémoire si courte ? »
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