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Des frontières sud-est à Maghnia


Des frontières sud-est à Maghnia
Maghnia, il est un peu moins de 13h30 et le soleil de ce quatrième jeudi d'octobre laisse présager un été à rallonge. Les venelles, derrière la cité El-Izza, sont désertes, désertées pour reprendre l'explication de certains Maghnaouis, car au bout du bitume : le sentier qui mène vers oued Jorgi. Y pénétrer sans autorisation des maîtres des lieux peut vous exposer à des conséquences fâcheuses et vous trouverez toujours des initiés qui vous déconseilleront de tenter l'aventure. Au-delà du macadam, une piste poussiéreuse, porte ouverte sur le territoire des clandestins africains, qui la squattent en transit vers l'Europe via Melilla et Ceuta, les enclaves espagnoles au Maroc. L'actualité est brûlante, de la température d'Ebola que d'aucuns appréhendent à la lisière de cette forêt qui héberge actuellement les quelque 200 immigrés clandestins venus des lointaines terres d'Afrique. La crainte est là, presque palpable depuis quelques mois, mais tue, à peine chuchotée par les autochtones de peur d'être taxé de racisme. Le mot est lâché car évoquer le virus Ebola à l'intérieur des murs de Maghnia, c'est forcément prendre le risque de s'exposer à des raccourcis aussi inévitables que malheureux et prêter le flanc aux critiques acerbes des bonnes intentions qui peuvent voir dans le sujet une stigmatisation de la population africaine présente en Algérie. Pourtant, le risque d'affection, de l'avis de tous les acteurs maghnaouis, est présent malgré toutes les voix rassurantes, celle du ministre de la Santé en premier. Le discours officiel est bien rodé à propos de ce virus et toutes les questions trouvent réponse dans les instructions ministérielles, véritables balises préventives pour les structures sanitaires du pays.Néanmoins, entre le très officiel "pour le moment, il n'y a pas de cas d'Ebola en Algérie", lancé par le directeur de la santé de Tlemcen, et le "je ne connais pas Ebola", murmuré timidement par Smaïn, un Nigérien de 35 ans, rencontré sous les arcades derrière les bâtiments de la cité El-Izza, tout un fossé sépare les deux mondes. Si actuellement, les instances sanitaires nationales se reposent sur un dispositif construit sur une surveillance aux frontières, la réalité sur le terrain est éminemment différente, puisqu'il existe des paramètres qu'on ne peut pas aisément contrôler. Des imprévus qui échappent à ce maillage sanitaire qui prend naissance dans les aéroports et ports du pays et qui peuvent survenir particulièrement des frontières sud-est de l'Algérie. Pour Samir, appelons-le ainsi, médecin exerçant à Oran, "Ebola ne viendra pas forcément en avion ou par bateau", une manière de dire que malgré les caméras thermiques et les tapis désinfectants mis en place dans les infrastructures aéroportuaires, le danger viendra forcément des frontières terrestres au Sud. "Ebola viendra à pied ou par bus", dira-t-il, référence faite à l'exode massif clandestin des Subsahariens fuyant principalement le Mali et le Niger.Cette sensation de l'imminence du danger est renforcée par le premier décès d'une fillette au Mali terrassée par la fièvre Ebola.Le danger malienUn scénario catastrophe balayé d'un revers de la main par le ministère de tutelle qui estime que le pays est à l'abri d'une propagation du virus, citant des experts de l'OMS qui affirment qu'Ebola n'a pas de chance de survie en Algérie par rapport à l'eau, à la chaleur, à l'environnement, ainsi qu'au mode de vie ambiant. Le directeur de la communication au ministère de la Santé, Slim Belkacem, cité par la presse, se référera également aux experts qui estiment qu'une personne déjà malade ne peut voyager. Quant au porteur du virus pouvant entrer aux frontières, notamment celles du sud du pays, "il sera intercepté par les unités sanitaires aux frontières", ajoutera-t-il. Pourtant, ce premier cas à nos portes sud, dans un pays en proie à une instabilité chronique, a fait réagir les plus optimistes et les autorités commencent à se préparer à une éventuelle contamination. Cette nouvelle donne a changé radicalement la perception de l'Algérie face au danger viral et on s'éloigne peu à peu des certitudes d'Alger forgées sur les distances géographiques et le sentiment de sécurité que peut conférer un dispositif aussi élaboré soit-il. Le ministère de la Santé semble avoir oublié, en cours de route, que le risque zéro n'existe pas, alors qu'Ebola continue de faucher en gros des vies en Afrique de l'Ouest. Cette évolution dans l'approche, on la retrouve dans les propos du colonel Mohamed Khalafi, de la Protection civile, qui a déclaré que "l'Algérie risque d'être touchée" à l'ombre menaçante du cas malien. Loin des instructions ministérielles et des certitudes de la capitale, Maghnia focalise les intentions, les cristallise au point que le lointain virus est devenu une urgence quotidienne. Si rien ne transparaît, si la rue vit au rythme d'une ville frontalière avec ses codes et ses règles, les habitudes ont bel et bien changé. Inconsciemment, sans aucune concertation, les Maghnaouis ont pris leurs distances avec leurs fantomatiques "locataires". La communauté africaine n'est plus aussi visible dans le décor urbain, se disséminant dans les quartiers périphériques, dans les champs et les chantiers pour un labeur journalier ou une mendicité au féminin. Elle n'est plus tolérée. "Ils ont pris le travail des jeunes qui se retrouvent au chômage et on ne peut plus s'aventurer du côté d'oued Jorgi," de l'aveu d'un jeune restaurateur, derrière sa caisse enregistreuse, qui confirme, si besoin est, ce sentiment nouveau qui commence à faire son nid parmi la population locale. Un relent de racisme dans la voix de notre interlocuteur qui ne mâche pas ses mots en direction des Africains de Maghnia. "On a peur, certains sont des sauvages par nature." Des mots durs pleinement assumés et les informations sur le virus Ebola ne font que renforcer ce sentiment de défiance. Même si certaines voix tentent de minimiser la portée de telles déclarations affirmant que ce sont les jeunes Maghnaouis qui désertent champs et chantiers attirés par les mirages de l'Ansej, le mal s'installe peu à peu dans les consciences.La peur s'installeCe changement d'attitude n'échappe pas non plus aux actions de solidarité, puisque même les âmes charitables, qui d'habitude ramenaient de la nourriture aux familles africaines, ne reprennent plus les assiettes et les ustensiles de cuisine. C'est dire qu'un climat de suspicion s'installe insidieusement parmi les locaux, et le danger de ce virus ne fait que confirmer davantage cette cassure. Une source sécuritaire, ayant requis l'anonymat, nous renseigne sur ce degré d'appréhension qui commence à gagner les professionnels de tous bords en contact direct avec ces clandestins. "Ils sont entre 200 à 240 Africains présents à Maghnia. Parfois un peu plus, d'autres fois moins nombreux, une population en perpétuel déplacement qui vient du Mali, du Niger, du Cameroun, du Nigeria, du du Ghana ou encore du Burkina Faso", expliquera notre source qui, d'emblée, souligne le vide juridique existant dans le traitement du dossier de l'émigration clandestine. "Quand on les arrête, ils sont placés en garde à vue pendant deux à trois jours, avant d'être présentés à la justice qui les remet ensuite en liberté. On ne peut pas les reconduire à la frontière, puisqu'elle est officiellement fermée." Et c'est cette promiscuité dans les cellules qui fait peur à notre interlocuteur. "On voudrait bien disposer de masques chirurgicaux, de gants et de caméras thermiques dans l'exercice de nos fonctions pour mieux nous protéger contre d'éventuels risques de contamination", plaidera-t-il en absence de toutes instructions venues de la hiérarchie. La peur est présente dans le verbe et les regards. "Depuis quelque temps, j'éprouve cette crainte quand je reçois en consultation un ressortissant africain." L'aveu est lourd de sens de ce médecin rencontré à la polyclinique de Maghnia. "Je mets systématiquement un masque et des gants quand je dois consulter un Africain. Je prends mes précautions", ajoutera notre blouse blanche. Pourtant, une campagne de dépistage, en collaboration avec la Protection civile et les services de sécurité, a été menée par la DSP de Tlemcen en juillet dernier, et qui a concerné la population africaine, installée aussi bien à Maghnia qu'au chef-lieu de wilaya avec, au menu, examens médicaux, vaccination des enfants et distribution de médicaments. Au total, 304 consultations, 72 enfants de moins de 6 ans et 41 adultes ont été vaccinés. Une opération qui peut prendre toute sa mesure si la population ciblée est sédentaire, mais le problème des clandestins et des réguliers africains, c'est qu'ils sont en mode nomade. "C'est un perpétuel brassage, là-bas", nous dira un Maghnaoui en pointant son index en direction d'un point dans l'espace, considérant qu'il montre l'oued.Retour à El-Izza : les trois Nigériens rencontrés viennent tous du département de Maradi, au sud du Niger. Saïd, 35 ans, Ibrahim, 27 ans, et Smaïn, 35 ans, des réguliers qui portent tous les stigmates d'une scarification au visage, véritable signe d'appartenance tribale. Ils vivent en famille dans une sorte de campement à même le sol et leur périmètre est délimité par leurs effets personnels. D'Ebola, ils ne connaissent rien. Ils affirment être là depuis un mois, mais Saïd nous exhibe fièrement l'extrait de naissance algérien de son tout dernier enfant, Aminou Mohamed, né à l'hôpital de Maghnia, en août dernier, soit depuis un peu plus de deux mois. Ils ne cherchent pas à passer de l'autre côté de la frontière et affirment vivre en marge des Africains d'oued Jorgi. "On les évite, chaque communauté vit séparément et les musulmans et les chrétiens ne se mélangent pas", nous explique Smaïn. À propos du virus, il aura cette confidence : "La fièvre touche principalement les femmes et les enfants." Arrive Sekou Mohamed ? c'est comme ça qu'il dit s'appeler ? originaire du Cameroun. Âgé de 32 ans, il est accompagné d'un compatriote qui préfère éviter notre compagnie. Sekou nous prend pour des membres d'une quelconque ONG et nous ne faisons rien pour le corriger. Interrogé à propos d'Ebola, il répond qu'il en a entendu parler. "On m'a dit que c'est contagieux, alors on doit prendre nos précautions", dira celui qui est entré de l'autre côté de la frontière depuis six mois. "J'ai passé huit ans au Maroc et je suis entré en Algérie parce que je n'avais plus d'argent pour tenter le passage vers l'Espagne." A-t-il été concerné par la campagne de dépistage ' Il répondra par la négation, s'interrogeant sur ce que "notre" ONG peut faire pour lui. Quant à "sa" communauté dans l'oued, il préférera éluder le point d'interrogation en prétextant sa solitude. "Vous savez, je ne sais pas combien ils sont, je vis en retrait des autres." Il posera un dernier regard sur nous et s'engouffrera, nonchalamment, sur le sentier interdit.S. O.


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