Algérie - Revue de Presse

De l’enseignant en général au professeur en particulier : un regard sur les missions cardinales du professeur d’université



PUBLIÉ 13-06-2022 dans le quotidien Le Soir d’Algérie

Par le Pr Baddari Kamel(*)
L’enseignement supérieur est l’un des secteurs publics qui enregistrent le plus de satisfaction dans la société, car il est transparent et s’adapte aux changements et aux crises par une démarche méthodique, systématique et rigoureuse. Ce sont des qualités appréciées par le citoyen. Il aide à résoudre les problèmes de l’heure et assure la formation complète de l’étudiant comme citoyen et futur professionnel. Les missions de l’enseignant en général et du professeur en particulier ne devraient pas se limiter à la formation et à la recherche, mais s’étendre aux services, à la collectivité et à la coopération intellectuelle et culturelle à l’échelle nationale et internationale. Le professeur est tenu d’agir non seulement comme expert dans une discipline donnée, mais plus et mieux encore comme témoin et acteur de sa société et des valeurs qu’elle véhicule aussi bien scientifiques, intellectuelles, morales que socioculturelles. Ces séquences caractérisant les missions d’un professeur sont soumises à un risque de dévoiement, et ce, pour une série de raisons comme la préparation incomplète d’assumer ces missions, le déséquilibre entre l’enseignement et la recherche. Il est donc nécessaire de débattre de leur faisabilité ou de leur véracité. Notre propos ici n’est pas de porter un jugement, ni une appréciation sur les possibilités ou réflexes du professeur, mais seulement, au regard du développement effréné que connaît ce secteur, de voir comment devront être nuancées ses nouvelles missions aussi bien pédagogiques, scientifiques que culturelles ou humanistes, dont l’objectif de participer avec harmonie au développement de la société.
Les trois missions fondamentales de l’université
On a longtemps cru que, selon le célèbre modèle d'université conçu par Wilhelm von Humboldt au XIXe siècle, la recherche et l'enseignement étaient les principales fonctions de l’université. Si cela pouvait se concevoir en leur temps, de nos jours, cette perception, longtemps vue comme une réalité non négociable, a complètement changé.
En effet, l’université en tant que sujet de l’économie de la connaissance est constamment soumise à l’effort de s’adapter aux profondes mutations pour assurer avec efficacité et efficience ses missions.
Une mission intellectuelle qui comprend la fonction d’enseignement se fondant sur le développement du savoir, la transformation et la transmission de connaissances immédiatement applicables, et la fonction de recherche qui permet à la communauté de contribuer à l’avancement de l’économie et de l’érudition dans un climat de liberté et d’autonomie où l’évaluation et la critique sont des éléments essentiels.
Une mission sociale qui comprend la formation continue pour contribuer à la qualification des personnels d’entreprise, et la fonction de services qui fournit un éventail de services et d’expertises pour la vie économique et socio-culturelle de la société.
Enfin, une mission éducative qui comprend la fonction culturelle à même de former l’esprit et favoriser le plein épanouissement de chaque individu, et la fonction humaniste qui assure l’acquisition des concepts et des idées fondamentales nécessaires pour une formation générale, ainsi qu’une compréhension et une appréciation d’autres cultures, le partage, la tolérance...
Le professeur est-il préparé pour assumer ses missions d’enseignement et de recherche ?
Un des défis les plus importants pour l’enseignement supérieur se pose d’abord sur le plan de la qualité de ses programmes de formation et de la responsabilité collective qu’elle implique pour la communauté universitaire.
Cette dernière, sous l’impulsion du corps professoral, aura à formuler les objectifs des programmes de formation, structurer et organiser les connaissances pour les rendre transmissibles et assimilables par les étudiants et s’engager à répondre aux exigences de la formation à la déontologie. Ce sont là des dimensions importantes du leadership participatif associé au rôle professoral dans sa mission intellectuelle. Outre ces dimensions, le Professeur est tenu de proposer un service d’accompagnement aux étudiants et de s’adapter aux diverses situations d’enseignement (présentiel et distanciel), révélées notamment par la Covid. Ceci est d’autant plus intéressant au regard des étudiants qui font état de lacunes, principalement dans leur méthode de travail, sans pouvoir les identifier ni discerner les moyens d’y remédier, ce qui leur permettra de s’insérer avec plus d’aisance dans une situation d’apprentissage.
Le professeur, pour vérifier le degré d’atteinte des objectifs fixés pour son enseignement, ne se contentera pas que des notes des examens mais adoptera un processus continu d’évaluation en fixant dans une grille d’évaluation les critères qui fondent son jugement. Ce qui est attendu aussi de cet encadrement est qu’il favorise le développement de l’étudiant, non seulement sur le plan intellectuel, mais aussi sur les plans humain et social. Il deviendra de plus en plus autonome, avec un intérêt renouvelé et un sens accru de ses responsabilités.
Concernant la recherche menée par le professeur, qu’elle soit destinée à l’acquisition de nouvelles connaissances et au progrès du savoir, ou appliquée, ou de développement, elle permet à l’étudiant chercheur d’accéder à la rigueur de la pensée et de la méthode scientifiques, de cultiver les aptitudes propres au chercheur et d’intervenir ensuite de façon autonome dans le développement de son champ d’étude par la publication et la préparation d’une thèse, tout en le conduisant à la découverte. Il apparaît clair, que ce soit sur le plan enseignement ou celui de la recherche, la productivité du professeur en termes de formation, de recherche, d’encadrement, d’accompagnement, d’érudition et de participation à des services à la société doit être posée avec acuité et sans complaisance, car il y va de l’avenir de générations entières.
Le professeur est-il préparé pour assumer ses missions de services à la société ?
La responsabilité sociale du professeur découle de la responsabilité sociale de l’université censée l’encourager à fournir des services sociaux à sa communauté comme, par exemple, la participation dans des activités ou des pratiques sociales. Précisons d’abord que le professeur est libre, en sus de ses tâches professorales, de fournir ces services demandés de l’extérieur, mais leur reconnaissance institutionnelle sous une forme ou une autre permettra de réduire la fracture sociale, d’où son importance. Elle relève donc de la citoyenneté, voire du patriotisme.
En témoignant d’une conscience sociale plus significative pour la collectivité, le professeur interviendra dans ce cadre par des activités d’organisation, d’information et d’animation de groupes intra et extra muros. Il portera une attention particulière aux personnes démunies et participera aux actions propres à l’université telles que le volontariat, l’accompagnement pédagogique des enseignants primo-arrivants, qui en feraient la demande, la formation des personnels technico-administratifs... Ce référent de services susceptible d’être assuré par le professeur pour que celui-ci témoigne de sa solidarité envers sa communauté est un point cardinal qui consacre la responsabilité sociale de l’université. Une autre fonction du professeur qui revêt un caractère obligatoire est sa participation à différents niveaux à la gouvernance de la vie universitaire, qu’elle soit d’ordre pédagogique, technique ou administratif. Il peut être appelé à exercer sa participation dans des organes décisionnels ou consultatifs pour mener des activités institutionnelles, pédagogiques ou scientifiques.
Si ce référent n’est prévu qu’en partie par les textes institutionnels, ces derniers ne font aucun obstacle à ce que le professeur s’implique dans des actions extra pédagogiques ou scientifiques pour le développement harmonieux de la société en conformité avec les textes qui régissent les dimensions socio-économique et politique du pays.
Le professeur est-il préparé pour assumer ses missions de culture et d’humanité ?
Le professeur, de par sa formation disciplinaire, mais aussi transversale (culturelle et humaniste notamment), peut aider l’université à préserver et renforcer son identité et ses spécificités, et l’aider à maintenir son équilibre entre tradition et innovation. Ce n’est que sous cette condition que l’établissement d’enseignement supérieur sera tout à la fois garant de la tradition et catalyseur des changements qu’impose le développement tous azimuts. Le professeur devra élever le débat et susciter l’intérêt que soient enseignées dans toutes les disciplines certaines valeurs universellement reconnues comme fondatrices de la personnalité, à savoir la philosophie et la déontologie.
Ces valeurs tiendraient lieu de l’indispensable formation humaniste du professeur dont l’absence actuellement dans nos universités, il faut l’avouer, se fait cruellement sentir ; d’autant plus que leur apprentissage permettra une plus grande ouverture d’esprit et de s’assurer une meilleure défense contre les fléaux qui menacent l’esprit tels que l’intolérance. Connu pour être un «esprit libre», le professeur ne doit pas pour autant ignorer les mérites et les apports du développement durable ; comme il ne doit pas non plus ignorer que les générations actuelles se voient potentiellement confrontées à une forme récurrente d’ignorance que secrète et impose la société contemporaine qui menace les structures de la nation, si nous ne réunissons pas les conditions d’émergence d’idées qui leur valent d’atteindre leur émancipation et leur épanouissement intellectuel.
Conclusion
Cette prise de conscience par le professeur et de son rôle éminemment important dans le développement de la société ne vient pas ex nihilo, mais se développe par un processus en amont, durant le cursus universitaire, qui doit conduire le futur enseignant à considérer l’importance de certaines valeurs qui fondent l’éthique universitaire, telles que la tolérance, le respect de la vérité, le quête de l’objectivité, la recherche de l’excellence dans le but de contribuer à l’amélioration et au maintien d’une société juste, entreprenante et durable.
D’aucuns diront que l’accomplissement de ces missions est en lien avec la disponibilité de moyens. L’État a toujours prévu les ressources intangibles au service du professeur pour assurer convenablement ce à quoi il a choisi d’être. La possibilité d’ouvrir un laboratoire de recherche, le stage annuel à l’étranger, le congé sabbatique, le nouement de relations avec son environnement et à l’international sont autant de moyens offerts au professeur pour améliorer et renforcer son capital immatériel. Autrement dit, évaluer et enseigner qualitativement ainsi que se trouver en posture favorable à la recherche et à l’invention.
K. B.
Courriel : k.badari@mesrs.dz
(*) professeur des Universités. Université Mohamed-Boudiaf - M’sila

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