Algérie - Revue de Presse

En marche vers une école du futur !


En marche vers une école du futur !
Publié le 27-06-2022 dans le quotidien Le Soir d’Algérie
Par le Pr Baddari Kamel(*)
Si l’on se place sur la longue durée des mille dernières années, on distingue bien le fait qu’il n'y a eu que deux principales réformes de l’école. La première s’est faite lorsque Johannes Gutenberg a inventé la typographie qui a généré par la suite l’impression du livre. Deux processus qui ont considérablement facilité la diffusion des connaissances et notamment participé à l’apparition de l’école de masse conçue par Jan Amos Comenius. La seconde réforme mondiale a dû attendre plus de trois cents ans pour voir le jour. Celle-ci est associée à une explosion de l'information, lorsque tout a changé. Aujourd'hui, partout dans le monde, l'attention est portée sur les compétences du XXIe siècle. Mais il n'existe pas encore de modèle établi, complet et efficace qui puisse être emprunté et ce tout reste uniquement dans la sphère des idées. De même, le système de classe-leçon, qui a été inventé par Comenius, continue d'exister. Ainsi, l'enseignant est le maître du processus d'apprentissage, qui dit et dicte ce qu’il faut apprendre, sans négociation. Mais cette école, sous sa forme actuelle, basée sur la mémorisation, est malheureusement de moins en moins cohérente avec les temps qui courent.
Le système éducatif doit s’adapter à cette mutation et refléter le fait que les compétences essentielles recherchées à l’avenir seront différentes de ce qui a été enseigné dans le passé. Bon nombre d’emplois que les écoliers occuperont dans l’avenir n’existent même pas encore. Si nous admettons consciemment ou naïvement que l'école fait partie du monde VUCA (acronyme créé dans les années 80 pour les mots en anglais volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté), qui nous entoure, nous devons impérativement nous remettre alors à l’évidence que l'école a évolué et change, même si, souvent, nous ne remarquons pas ses changements.
Systèmes scolaires en Algérie et à l’étranger
L’Algérie consacre des ressources très importantes à l’école. L’accès à l’éducation est garanti pour tous, quelles que soient la situation familiale ou l’origine de l’élève. Le système scolaire est divisé en 3 grands paliers : préparatoire ; fondamental, regroupant l’enseignement primaire et l’enseignement moyen, et secondaire général et technologique.
Sur le plan linguistique, le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a ordonné, le 19 juin 2022, lors de la réunion du Conseil des ministres qu’il a présidée, d'adopter l’enseignement de la langue anglaise à partir du cycle primaire.
Cette nouvelle mesure a pour objectif le développement chez l’élève de compétences de communication opérationnelles plurilingues et de réflexes métalinguistique. En outre, l’introduction d’une nouvelle langue étrangère au niveau primaire devra offrir la possibilité de repenser les principes didactiques mis en œuvre dans l’apprentissage des langues en général et dans celui des langues étrangères en particulier.
Dans ces efforts d’orientations éducatives nationales, trois défis semblent importants et incontournables : celui de la qualité des programmes d’enseignement ; ensuite, l’évaluation des acquis des élèves ; enfin, la transformation numérique de l’école. Ces défis imposent une nouvelle démarche qui doit puiser des insuffisances du passé et du présent pour atteindre des objectifs de croissance fixés par la nouvelle orientation politique du pays.
Allons de l'autre côté. Aujourd'hui, le système éducatif finlandais est l'un des modèles éducatifs les plus efficaces au monde. Il est peu critiqué, même ses opposants admettent que son principal avantage est qu'il est souple et construit sur les principes de l’humanisme. L'objectif principal du système finlandais est d'amener tout le monde au niveau moyen. Et par conséquent, l'accent est mis sur l'aide de ceux qui sont à la traîne.
Singapour est l'un des meilleurs pays en matière d'éducation. Cela est dû en grande partie aux familles. Après l'école, les enfants ont un grand nombre de cours supplémentaires, ils sont très occupés. Les enfants des écoles de Singapour sont surchargés d'examens. Ils les réussissent au passage du primaire au collège, du collège au lycée. Pendant ces périodes, la charge de travail de l'enfant peut atteindre 12 heures par jour. L'éducation y est académique, l'accent est mis sur les mathématiques, les matières exactes et les langues. Entrer dans les universités publiques, qui ne sont pas si nombreuses, n'est pas facile.
Beaucoup de systèmes éducatifs étrangers offrent aux élèves une liberté : ils choisissent eux-mêmes les matières à étudier, annoncent leurs notes de leur plein gré, etc. Le travail par projet est l'un des nouveaux concepts du système éducatif. Il y a des écoles où les enfants apprennent à traiter leur propre vie comme un projet.
Voici venu le temps des alphas !
Parce que ceux à qui nous enseignons maintenant sont complètement différents. La cohorte démographique née après 2010 et avant 2025 est appelée, par le scientifique australien Mark McCrindle, la génération alpha (https://generationalpha.com/wp-content/uploads/2020/02/Understanding-Generation-Alpha-McCrindle.pdf). Selon M. McCrindle et E. Wolfinger, ce nom de génération se justifie par deux raisons. Premièrement, la fin de l'énumération des lettres de l'alphabet latin (Z) comme raison de se tourner vers le début d'autres alphabets (par exemple, arabe ou grec), et deuxièmement, le début de la naissance de la génération est marqué par l'apparition de l'iPhone, qui, selon les auteurs, s'accorde avec «Alpha». Pour satisfaire leur désir et leur besoin d'être informés, les enfants alpha entre 7 et 14 ans savent explorer internet pour trouver des réponses à leurs questions, pratiquer les jeux vidéo entre 7 et 15 ans, activer sur les réseaux sociaux TikTok et Facebook entre 12 et 16 ans, regarder des vidéos sur YouTube de dessins animés à partir de 3-4 ans, s’intéresser aux sites e-commerce à partir de 8 ans... En revanche, on estime que ces enfants alpha ne peuvent se concentrer que pendant une seconde — bien moins que les millenials, désignant ceux nés entre 1980 et la moitié des années 90, comme les publications sur les réseaux sociaux ou les vidéos TikTok. Ensuite, ils devront changer d'attention, puis revenir au sujet à nouveau. Plus le contenu est présenté de manière simple et claire, mieux c'est. En conséquence, ces enfants se fatiguent très rapidement ou s'épuisent et deviennent hyperactifs. La propriété très fondamentale de la génération alpha, à laquelle nous, adultes, ne prêtons souvent pas attention, l'indépendance et parfois même l'autosuffisance. Dès leur plus jeune âge, ces enfants se sentent à l'aise de parler à des assistants vocaux et de balayer l'écran de leur smartphone. Ils ne trouveront pas refuge dans la famille et la littérature, mais dans la réalité virtuelle. Ils ne voient pas la technologie comme des outils utilisés pour atteindre des objectifs, mais plutôt comme une partie profondément intégrée de la vie quotidienne. Les alphas transfèrent les mécanismes du jeu à la vie réelle, et par conséquent, de telles tendances peuvent être tracées dans leur comportement comme l'incapacité d'agir sans instructions et contrôle clairs, la réticence à faire quelque chose sans avantages évidents, ne pas se concentrer sur un résultat spécifique, mais sur le processus d'action, une tendance à reculer si quelque chose ne fonctionne pas. Souvent, la communication sur internet dans les réseaux sociaux implique de n'écrire que de petits messages texte, ce qui empêche les alphas d'exprimer leurs pensées, de construire des phrases complexes et de parler en public. De plus, la communication par internet est plus accessible que celle pratiquée dans la réalité puisqu’elle ne nécessite pas beaucoup d'efforts. Elle est donc souvent préférée à une communication réelle.
Par la suite, les alphas peuvent développer une peur du contact personnel, des difficultés à communiquer avec de vraies personnes. Une telle situation peut être qualifiée de paradoxale, puisque, d'une part, les alphas ont vraiment besoin d'une communication constante, ils sont enclins au collectivisme, facilité par la possibilité d'échanger des messages n'importe où via internet, et d'autre part, ils ne savent pas communiquer, exprimer leurs pensées. Le multitâche est une compétence essentielle pour eux. Ils sont capables de créer un contenu unique, de connecter les non-connectés et d'être multitâches. Leur activité repose davantage sur des motivations internes qu'externes.
L’école du futur devra viser à libérer le potentiel des élèves alphas, c'est-à-dire en latin educare, qui signifie, par extension, les accompagner pour révéler leurs aptitudes et épanouir leurs personnalités. C'est cette approche éducative qui contribuera à la formation d’apprenants capables de se développer dans les conditions de l'engagement numérique.
L'école du futur, un chemin à baliser
Malgré le développement rapide de la technologie moderne, la plupart des écoles du monde enseignent encore selon les méthodes nées à l’époque de la première révolution industrielle. En effet, le concept d'un enseignant debout devant une salle pleine d'élèves assis, face à l’avant, écoutant leur professeur livrer le contenu qu’ils sont censés mémoriser, appartiendra au passé. Dans cette optique, la salle de classe et l’amphithéâtre formels seront remplacés par des espaces d’apprentissage qui permettront aux groupes d’élèves de différentes tailles de collaborer, en présentiel ou à distance, sur des projets d’apprentissage et émerger dans un sujet. L’environnement virtuel sera non seulement porteur d’une énorme quantité d’informations éducatives, mais aussi espace des capacités instrumentales spécifiques. Une telle école devrait offrir des formations capables de répondre aux défis et aux risques de la société moderne, qui sont provoqués par l'effondrement rapide des institutions sociales existantes et des communautés établies de personnes, le processus intensif de fonctionnement et la formation de nouveaux types des communautés et des activités.
Notre propre concept d’une école du futur est celui de réviser non seulement certains aspects du processus éducatif, mais aussi la transformation d’aspects connexes liés à l’école, tels que son extérieur, les uniformes scolaires... Premièrement, le bâtiment de l’école devra attirer l’attention des élèves et suscitera leur désir d’apprendre et d’acquérir des connaissances. Deuxièmement, chaque élève disposera d’un espace individuel de travail, d’un tableau interactif, des ressources numériques et des outils tels que des tables équipées avec des surfaces tactiles, des studios virtuels... L’apprentissage par défis pour apprendre tout en résolvant des problèmes du monde réel, l’évaluation par score basée sur un algorithme sans aucune intervention humaine, les cours sous forme de gaming... seront mis en œuvre dans l’école du futur. L’élève peut travailler sur des projets dans des contextes virtuels avec d'autres élèves du pays à tout moment. Troisièmement, les salles de classe coexisteront en tant qu'espaces physiques et en ligne, renversant le modèle d'apprentissage actuel afin que les élèves puissent apprendre à la maison et passer du temps en classe à collaborer et à appliquer leurs connaissances à des problèmes de la vie réelle.
Les enseignants deviendront des facilitateurs de l'apprentissage plutôt que des fournisseurs de contenus et les élèves auront plus de contrôle sur leur propre parcours d'apprentissage. Les enseignants auront des plans d'apprentissage individualisés basés sur la personnalisation des cours par intelligence artificielle, ce qui permettra à chaque élève d'apprendre au rythme qui convient le mieux à ses capacités, de s'engager dans le contenu qui lui est le plus bénéfique et de permettre à la fin d’évaluer ses connaissances. Afin de maximiser le potentiel de progrès individuel, certains éléments de l'apprentissage traditionnel dirigé par l'enseignant et combinés avec les médias numériques en ligne resteront.
Et pour ne pas conclure
La forme que prendra l'école du futur est amorphe, mais la plupart des éducateurs et des observateurs s'accordent à dire que cette école deviendra numérique avec un grand N. Une chose est sûre : l'innovation aidera à apprendre et à enseigner, et le processus éducatif deviendra plus facile du fait que les outils numériques, la manipulation et le jeu compléteront le système existant. Le processus éducatif sera basé sur ce que chaque enfant peut et veut, et non sur des normes générales pour tous. Et pour cela, au préalable, il est nécessaire de former les enseignants à un monde nouveau, et de surtout aider les parents à changer leur regard sur leurs enfants. Dans notre pays, cela nécessitera des efforts et des moyens très importants.
B. K. 
(*) Professeur des universités
Université Mohamed-Boudiaf de M’sila
Courriel : k.badari@mesrs.dz



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