Algérie

Cinéma algérien, Tariq Téguia : Roma walla n’touma, Alger dans l’œil du cyclone




Qu’est-ce qui rapproche Manoel de Oliveira, cinéaste portugais né en 1908 à Porto, et Tariq Téguia, cinéaste algérien, né à Alger en 1966 ? Tous deux étaient présents dans la décorum sophistiqué du Lido de Venise où chacun présentait un film.

Mais quel gouffre entre les deux générations ! Cependant, on peut parier que le plus jeune des cinéastes s’accommoderait très facilement de l’œuvre étrange et secrète de son grand aîné : Manoel de Oliveira a filmé dans Belle toujours une suite à l’histoire de Belle de jour, de Luis Bunüel. Et vice-versa : le vétéran portugais aurait apprécié le talent à l’œuvre dans Roma walla n’touma, également fiction aussi étrange et secrète. On y voit deux jeunes personnages à la dérive qui tournent en rond, mécaniquement, mélancoliquement dans les labyrinthes d’une banlieue d’Alger, Aïn Benian où rares sont les bâtiments achevés. Zina et Kamel font du surplace, dans une angoisse silencieuse, dans un décor consciencieusement vide, abandonné, inachevé. Ils sont coincés pendant la nuit par le couvre-feu. C’est l’époque où Alger vivait dans l’œil du cyclone. Chaque nuit, la ville blanche est totalement étouffée. Il ne se passe rien, mais avec une incontestable virtuosité (dans la mise en scène), on sent à chaque image que la tension monte. Il y a comme un malaise dans le désordre des choses. Zina et Kamel veulent partir, mais n’ont aucun papier. Leur problème est tortueux comme les labyrinthes de Aïn Benian. La mise en scène de Tariq Téguia combine une esthétique pure, un détachement serein, une certaine distance. Quasiment aucun cri, aucune action violente. Son film se tait au lieu de trop dire. Il y a quelques condensés de beaux effets visuels de la mer sous la lumière d’Alger. Il y a aussi quelques repères sur des lieux précis : le boulevard du Télemly et ses multiples tournants que Kamel parcourt sans hâte. Comme lui, Zina se hâte très lentement. Elle a adopté la méthode zen. Elle pourrait vivre dans la tradition chinoise. Mais c’est à Alger qu’elle vit et veut coûte que coûte partir. Tariq Téguia tire son parti avec élégance dans cette histoire. Le cinéma algérien souvent « surdramatise » les années noires dans ses fictions. Téguia privilégie au contraire une sorte de vision en creux, une sensibilisation visuelle intérieure du drame qui se joue. Le danger est ici faussement abstrait. N’empêche qu’il est réellement ressenti par le spectateur.Cette œuvre originale, bien accueillie à la Mostra de Venise (section officielle Orizonte), montre bien les désarrois individuels dans l’Algérie des années sombres. Mais c’est aussi une histoire d’amour. Saluons le beau travail de Nacer Medjkane et Hacène Aït Kaci à la photo. Toute la partie technique est fort réussie. Les deux fringants jeunes héros s’en tirent avec brio, soutenus par d’autres acteurs qui imposent leur présence, comme l’apparition forte et muette de Khadra Boudehane, l’âme vivante de la Cinémathèque d’Alger. Hachemi Kerfaoui a fait une musique originale qui colle bien avec le rythme du film, avec des ajouts de Archie Shepp, cheb Azzedine, Ornette Coleman. Ce film a été fait avec très peu de moyens, mais une volonté tenace de Tariq Téguia et son frère Yacine. C’est une petite coproduction Algérie-France-Allemagne. Avec le soutien en France de l’INA et de Conseil régional du Val de Marne. Dans l’ambiance chic et très estivale du Lido de Venise, il y avait de grands films à voir. Tariq Téguia a incarné en quelque sorte le profil actuel du cinéma algérien qui essaye d’émerger après une si longue absence.


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