Algérie

Chetali : «On n'a pas le droit d'échouer quand on a un Belhadj dans son équipe»


Chetali : «On n'a pas le droit d'échouer quand on a un Belhadj dans son équipe»
«J'en suis témoin : les Algériens ont bien été agressés au Caire.»
Dans cette deuxième partie de la longue interview que l'ancien sélectionneur de la Tunisie, Abdelmajid Chetali, nous a accordée, il évoque les événements du match du Caire dont il a été témoin, ainsi que le Mondial-78 qui avait, d'une certaine manière, ouvert la voie à la participation algérienne à la Coupe du monde 1982.
Comment avez-vous vécu les événements ayant précédé le match d'Omdourman '
J'ai été témoin de ces événements parce que je me trouvais au Caire à ce moment-là pour les besoins de mon travail à la chaîne Orbit. Je me souviens que la sélection égyptienne s'était déplacée en Zambie sans réel espoir de ramener la victoire. Or, les Egyptiens avaient réussi à vaincre les Zambiens grâce à ce tir de Hosny Abd Rabo. Juste après ce match 'je m'en souviens très bien-, le battage médiatique a commencé. A croire que les chaînes de télévision égyptiennes s'étaient préparées à cela. Dans la soirée même, il y en a qui avaient rediffusé le match de la victoire 5-2 de l'Egypte contre l'Algérie, pour bien montrer que la sélection égyptienne peut très bien gagner l'Algérie par 4 ou 5 buts d'écart. De tous ceux qui intervenaient dans les émissions pour donner leur avis, il y a eu un seul seulement, un ancien international égyptien dont j'ai oublié le nom, qui disait que gagner par 3 à 0 était possible, mais pas par 5 à 0. C'était le plus sage de tous dans cette frénésie. La presse, quand elle citait l'ambassadeur d'Algérie au Caire, écrivait : «Essafir el haqir qal...» (L'infâme ambassadeur a dit...). C'est pas possible ! Il y a eu des incidents incroyables. Et puis, il y a eu cette histoire invraisemblable de joueurs algériens qui se seraient blessés eux-mêmes ! Et des Egyptiens ont gobé cette histoire.
Vous étiez donc témoin '
Oui, j'étais au Caire à ce moment-là. Il y a eu des incidents graves et ce n'était plus du sport. C'était de la haine. Heureusement que les Algériens se sont qualifiés pour le Mondial. C'était le minimum de justice. A présent, même les Egyptiens ont reconnu leurs torts.
Qu'en est-il de la prestation de l'Algérie dans la Coupe du monde '
Moi, je l'ai dit durant le Mondial-2010 et même durant la CAN-2010 : l'Algérie a atteint son objectif à Omdourman en réussissant à se qualifier pour la Coupe du monde. J'étais déçu par les résultats de l'Algérie durant cette compétition, surtout qu'elle n'avait pas donné la pleine mesure de son potentiel. Elle avait joué ses matches sur 80 mètres seulement. Dans les 30 mètres devant le but adverse, il n'y avait rien : pas d'attaques massives, pas d'espaces, pas quelqu'un qui vient de loin... Je le dis en toute fraternité. Mon frère Rabah Saadane a entraîné chez nous, en Egypte, et je lui ai dit que la sélection algérienne avait mis toute son énergie et sa concentration dans le match d'Omdourman. A la CAN et au Mondial, les joueurs étaient vidés. J'aurais aimé que les Algériens prennent plus de risques dans les matches qu'ils avaient disputés dans ces compétitions.
Ne pensez-vous pas que vous avez du mérite dans la participation algérienne au Mondial-82 puisque c'est la bonne prestation de la Tunisie au Mondial-78 qui avait amené la FIFA à octroyer une deuxième place à l'Afrique '
Vous savez, au cours de la Coupe du monde en Argentine, nous subissions des pressions multiples, à commencer par celles des Tunisiens, le Président Bourguiba en tête, et de toutes les autorités tunisiennes afin de ne pas subir des défaites par 5 buts d'écart. Lors du précédent Mondial en RFA, l'ex-Zaïre (aujourd'hui République démocratique du Congo, ndlr) avait perdu 9-0 contre l'ex-Yougoslavie et cela avait traumatisé tous les Africains. Le jour de notre premier match contre le Mexique, tout le bureau exécutif de la CAF était venu à notre hôtel. La veille, ses membres avaient assisté à l'assemblée générale de la FIFA au cours de laquelle ils avaient réclamé que l'Afrique bénéficie d'une deuxième place en Coupe du monde. Il leur a été répondu que le monde a bien vu la faiblesse du représentant africain au Mondial-74, l'ex-Zaïre. Après d'âpres discussions, la FIFA a décidé d'attendre de voir le comportement de la Tunisie au Mondial-78 pour trancher la question. C'est pour cela que les dirigeants de la CAF étaient venus nous voir : ils nous ont supplié de faire de notre mieux pour que l'Afrique puisse bénéficier d'une deuxième place au Mondial-82. Je ne vous parle pas des pressions subies par les pays du Golfe afin de représenter dignement la nation arabe. C'était lourd, lourd, lourd comme pression ! Au premier match, nous avons battu le Mexique qui était plus fort que nous car il participait presque à toutes les phases finales, vu que son groupe de qualification, celui de l'Amérique du Nord, était facile. Justement, à propos du Mexique, son entraineur était venu nous superviser à Tunis. Il avait vu une seule mi-temps de notre match et il a déclaré : «On me fait venir du Mexique pour voir ça '» C'était mauvais de sa part. Alors, quand nous avions battu les Mexicains 3-1, j'avais dit lors de la conférence de presse d'après match : «Notre victoire est un simple accident !» (rire)
Comment avez-vous géré votre troisième match contre la RFA '
A la mi-temps, le score était de 0 à 0. J'avais dit à mes joueurs dans le vestiaire : «0-0 contre les Allemands à la mi-temps, c'est quelque chose. Si on perd au final par un ou deux buts d'écart, ce ne serait pas une honte. Donc, attaquez !» Au final, nous avons fait match nul 2-2. Cela dit, je dois souligner que nous avons été aussi victime d'un match arrangé. Comme la RFA et l'Autriche avaient combiné pour éliminer l'Algérie, la RFA et la Pologne avaient également combiné dans notre groupe, mais c'était au match d'ouverture. Je me rappelle que j'étais dans la tribune officielle à suivre le match. Il y avait pas loin de moi le patron du football européen. Au bout de 20 minutes de jeu, il avait dit à celui qui était assis à côté de lui : «Le match se terminera sur un nul.» Les deux sélections avaient décidé, par prudence, de faire un nul lors de leur premier match. C'était moins flagrant que RFA-Autriche, mais ça avait contribué à priver la Tunisie du deuxième tour.
La performance de l'Algérie lors du Mondial-82 vous a-t-elle procuré de la joie '
C'était même une fierté pour moi. J'étais à Sousse, une ville touristique où, à cette période, il y avait beaucoup de touristes allemands. Ce n'était pas seulement un match RFA-Algérie, c'était devenu chez nous RFA-Tunisie. Je n'arrivais pas à croire en voyant le premier but de l'Algérie, puis le deuxième but. J'avais sauté de mon siège. Je m'en souviens comme si c'était maintenant. Le but de Madjer, il fallait le mettre ! C'est d'ailleurs pour ça qu'il est devenu plus tard un grand footballeur : il avait la lucidité de faire le geste qu'il faut. D'ailleurs, au cours de l'Euro-2012, lorsque l'Anglais Welbeck avait marqué d'une talonnade contre la Suède, un confrère étranger a crié à l'exploit, mais je lui ai rappelé que ce n'était pas un exploit car un joueur avait fait ça avant lui et ce geste était devenu sa marque de fabrique. Quand quelqu'un inscrit un but d'une talonnade, on dit une Madjer. C'est une immense fierté pour nous.
La Tunisie avait eu une belle génération dans les années 70 et l'Algérie lui a succédé avec une génération dorée dans les années 80. Ne pensez-vous pas que cette génération algérienne aurait pu donner encore plus '
Je pense surtout que la génération actuelle de joueurs algériens pouvait donner plus. Je l'ai dit à tout le monde, à commencer par Rabah Saadane : quand on a un Belhadj dans son équipe, on n'a pas le droit à l'échec. Même avec mon ami Abdelhak Benchikha, je n'ai pas été d'accord l'autre jour. Je lui ai dit que ce n'est pas normal qu'un joueur comme Belhadj soit mis sur la touche à 28 ans. Il m'a expliqué qu'il y avait actuellement à son poste un défenseur meilleur que lui et je lui ai répondu que Belhadj pouvait très bien être utilisé comme milieu gauche ou carrément comme ailier. J'ai commencé à suivre ce joueur lorsqu'il jouait à Portsmouth et je ne savais plus s'il était défenseur ou ailier gauche ! Il montait jusqu'au poteau de corner pour centrer, puis on le retrouvait à sa place en défense quelque instants plus tard. C'est pour ça que je dis qu'on n'a pas le droit, quand on est entraîneur, d'échouer avec un Belhadj. Il y a quelqu'un de mieux que lui comme défenseur gauche ' OK. Qu'on le mette comme milieu gauche. Il a un pied gauche qui peut te mettre le ballon où tu veux : au premier poteau, au deuxième poteau, à ras de terre, à mi-hauteur, en lob... Il me plaît vraiment. Ziani, en revanche, m'a beaucoup déçu. Je trouve qu'il est un peu limité, comme Valbuena en équipe de France. J'attendais plus de lui dans les grandes occasions.
Qu'est-ce qui a freiné, selon vous, le passage du football algérien à un niveau encore plus important '
Je pense que le plus grand problème a été celui des infrastructures. Pendant de longues années, l'Algérie n'a eu que des terrains en tartan. Le tartan, c'est du béton recouvert d'une moquette. Cette surface engendre de nombreuses blessures et accidents. De plus, sur tartan, ce n'est pas le même rythme que sur du gazon. Même le stade du 5-Juillet était recouvert de tartan lors des années 70. Je pense que ça a été une grande erreur commise par mes frères algériens et cela leur a fait perdre beaucoup de temps.
Un mot sur vos pairs algériens, Rachid Mekhloufi et Mahieddine Khalef, qui avaient conduit la sélection d'Algérie au Mondial-82, et Rabah Saadane, sélectionneur de l'Algérie au Mondial-86 et au Mondial-2010 '
On ne présente plus Mekhloufi, surtout avec son charisme. D'ailleurs, il réside chez nous en Tunisie. Il continue à recevoir ses amis, il se déplace beaucoup à l'étranger car il est invité un peu partout, même parfois par la FIFA. C'est un symbole et une légende. Khalef continue de faire valoir son expérience sur les plateaux de télévision. Etre très sollicité à son âge renseigne sur sa valeur. Ses avis sur les évolutions techniques et tactiques des matches sont vraiment très appréciées du public. Quant à Saadane, c'est un très bon ami. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'on se voit tous les jours, mais nous nous rencontrons très souvent. Il a entraîné chez nous, à l'Etoile du Sahel. Je l'ai vraiment pris en sympathie. Même quand il est critiqué, je lui dis : «Tu dois remercier Dieu car la victoire contre l'Egypte vaut trois titres de gagnés !»
Puisque vous suivez le championnat d'Espagne, quelle appréciation faites-vous de Sofiane Feghouli '
En vérité, j'entends parler de lui, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le voir jouer. Il faudrait que je tombe sur un Valence-Real Madrid ou un Valence-Barça pour pouvoir le regarder jouer. Certes, je suis consultant en football, mais je ne vous cache pas que je ne peux pas regarder tous les matches.
Et Mesbah, vous le connaissez '
Lui, je le connais. Je l'ai suivi dans ses matches en Serie A et en Ligue des champions avec l'AC Milan. Déjà, le fait qu'il soit dans ce club est révélateur de son talent. Qu'il joue dans n'importe club italien est déjà méritoire. Vous n'allez tout de même pas me dire que le championnat d'Algérie est meilleur que le championnat d'Italie ! Vous savez, il y a une certaine presse, même chez nous, en Tunisie, qui est partisane du football local. J'aimerais bien que le football local soit performant, mais la réalité est autre. Un attaquant peut dribbler quatre fois un défenseur local, mais s'il joue en Italie, ce serait déjà beaucoup s'il arrivait à dribbler un défenseur une fois. Ce n'est pas la même qualité.
Il y a justement un débat en Tunisie sur l'opportunité ou pas de privilégier les joueurs locaux par rapport aux joueurs évoluant en Europe, surtout qu'il y a de très bons joueurs dans le championnat tunisien...
Il y a de l'exagération dans les éloges faits aux joueurs locaux tunisiens car, parmi ces derniers, seuls ceux disputant régulièrement la Ligue des champions africaine ont le niveau. Quand on est joueur à l'Espérance de Tunis et qu'on a chaque année une série de matches contre le Zamalek, le TP Mazembe, le Raja ou à la JSK, c'est vrai qu'on acquiert une expérience du haut niveau. Cependant, si un joueur local se contente uniquement des matches du championnat de Tunisie, il est impossible pour lui de progresser. Actuellement, les clubs tunisiens prennent des joueurs algériens, mais on ne sait pas vraiment ce que ces joueurs valent dans les grandes compétitions. Djabou, par exemple, sera très attendu, surtout qu'il a fait faux bond à l'Espérance de Tunis pour signer chez le grand rival, le Club Africain. Tout le monde l'attend au tournant.


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