Algérie

Cheikh Abdelkader Mahdad de Tlemcen : Le premier inspecteur d'académie d'avant l'indépendance




Cheikh Abdelkader Mahdad occupa, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le poste de professeur d'arabe au collège de Mostaganem. Quelques années après, il fut nommé professeur d'arabe au lycée Pasteur d'Oran avant d'enseigner «intra muros» à Tlemcen, au collège De Slane puis au lycée Dr Benzerdjeb. C'est à ce titre et à la faveur de la célébration de la journée mondiale de l'enseignant coïncidant avec le 5 octobre que nous avons tenté de brosser son illustre portrait à titre de devoir de mémoire.

«En suivant le cortège funèbre qui se dirigeait vers le cimetière Sidi Senouci en ce jour du 20 mai 1994, l'image de M. Abdelkader Mahdad me revenait à la mémoire. Je le revoyais au soir de sa vie cheminant en silence rue de France et chaudement vêtu d'un complet veston noir et coiffé de son éternelle chéchia. Je me rappelais la dernière fois où je l'avais rencontré il y a bien longtemps à Tlemcen. De sa voix douce et posée et tout en rengainant ses paroles, il me parle de l'histoire de Tlemcen qu'il avait rêvé d'écrire et que seule la force des événements l'en avait empêché...», témoignera Me Rachid Benblal.

«L'Algérie sera une République», c'est en ces termes que cheikh Abdelkader Mahdad conclura la lecture de son éloquent discours devant l'Assemblée nationale française en 1947, dont il était alors vice-président. Coiffé de son fès traditionnel, signe distinctif d'authenticité, il fera un véritable plaidoyer des 2000 ans d'histoire de l'Algérie. Fils de Mohamed et Zohra Haddam, cheikh Abdelkader Mahdad naquit le 21 novembre 1896 à Derb Sidi El Yeddoun en face de la mosquée éponyme dans la vieille médina (Medress) au sein d'une ancienne et noble famille de la petite bourgeoisie tlemcénienne. Cet ancien élève de l'école coranique de Sidi El Djebbar deviendra un professeur agrégé de langue et littérature arabes. Il enseignera tour à tour au collège de Mostaganem puis au lycée Pasteur d'Oran avant d'exercer dans sa ville natale au collège De Slane puis au lycée Dr Benzerdjeb. Par ailleurs, il fut le premier inspecteur d'académie d'avant l'indépendance (1960-1961), poste qu'il occupera pendant deux ans après l'indépendance (1962-1964). Cheikh Abdelkader Mahdad figure sur les statuts du Cercle des jeunes littéraires (1929). Il fut également l'un des fondateurs de l'association des Ulémas musulmans (1936) dont il cosigna l'acte de dissolution (1964).

Spécialiste en français de l'oeuvre d'Ibn Saïd El Maghribi «Unwân el Muqiçât wa'l Mut'ibat» (modèle de vers «à danser et à rire», texte arabe traduit avec avant-propos, notes, index et table de remise). Evoquant ce monument de l'éducation et de la culture, M. Mohamed Baghli, chercheur en legs universel, citera dans ce contexte les deux branches de la civilisation universelle incarnées par Abou Bekr Sefouane Ettadjibi et Ibn Saïd El Maghribi dont «s'inspira» cheikh Abdelkader Mahdad «qui a été formé avec les meilleurs orientalistes qui ont laissé dix volumes sur la civilisation musulmane».

Une de ses anciennes élèves, en l'occurrence Mme Oufriha née Bouzina Fatima, professeur à l'université d'Alger, brossera pour sa part, un portrait (de son maître) des plus élogieux, dénotant une sensibilité à fleur de peau, débordant de nostalgie. Un vibrant hommage au cheikh illustré d'un témoignage émouvant sur son riche parcours : «Comment évoquer Mahdad ? Il m'est difficile d'en parler tant l'émotion me saisit à sa seule pensée... Cheikh Mahdad fut un père spirituel pour moi, un père dont je me réclame plus volontiers... mais celui dont le souvenir me trouble profondément, car je fus fidèle et infidèle en même temps à sa pensée... Comment lui expliquer cela maintenant qu'il est mort ?». Selon sa disciple, cheikh Mahdad était un spécialiste d'Ibn Hazm et de son oeuvre maîtresse «Le collier de la colombe» qu'il commentait souvent devant ses élèves avec brio. «Les mille et une nuits» est une autre facette universelle (orientale) de la monographie de Hadj Abdelkader Mahdad. Nonobstant, il enseignait à ses élèves beaucoup d'histoire de l'Algérie et du Maghreb. Et pour cause. «En ce temps-là, qui était encore celui de la colonisation et de ses programmes officiels, il fallait le faire !», soulignera l'universitaire.

Cette façon subtile et raffinée de dire tout haut son nationalisme, par des voies détournées, par des voies intellectuelles élaborées, nous rappelle «pédagogiquement» (l'histoire se répète) le personnage de l'instituteur, monsieur Hassan, et sa leçon de morale titrée «La patrie», décrit par l'illustre Mohamed Dib dans «La Grande Maison». A propos de patriotisme et selon un témoignage de M. Abdelmoumène Layachi, libraire à Oran, des propos répercutés par El Hadj Merzouk Khaled, écrivain, chercheur dans l'histoire du mouvement nationaliste, cheikh Abdelkader Mahdad fit partie de la délégation qui se rendit auprès du préfet d'Oran pour exiger la libération de deux délégués de l'AML arrêtés dans le cadre d'une mission suite aux massacres du 8 Mai 1945. Pétri d'humanisme et imbu de modestie, profondément enraciné en une culture savante et raffinée, mais largement ouvert sur le monde extérieur, cet illustre pédagogue jouissait d'un profil polyglotte, puisqu'il maîtrisait, outre l'arabe et le français, l'espagnol, le latin, le turc et le persan. «La Turquie l'a toujours fasciné par la grandeur de son histoire et la beauté de ses villes. En 1963, il exauça son désir en s'y rendant. Il devait y séjourner durant plusieurs années. En 1987, il retourna à Tlemcen où il mourut sept ans après, à l'âge de 99 ans. C'était le 20 mai 1994...», selon Me Rachid Benblal. A noter qu'une école à Bursa (Brousse, un «eden» que Claude Maurice «jumela» avec Tlemcen à travers un poème) en Turquie porte son nom ainsi que la salle des actes de la maison de la culture Abdelkader Alloula de Tlemcen où, faut-il le rappeler, une table ronde avait été organisée en 2000 autour de la vie du cheikh, qui s'inscrivait dans l'optique de la construction d'une biographie qui sera insérée dans «Le Jardin des savants de Tlemcen» (El Boustan d'Ibn Mariam). A ce titre, le site web de l'université Abou Bekr Belkaïd comporte trois précieux documents, à savoir une introduction du cheikh en arabe, une autre en français et «Les quelques souvenirs de Fatima-Zohra Bouziane». Si Mustapha Daïdj, un consultant international, que Mme Oufriha avait rencontré un jour chez Mahdad (qui habitaient tous les deux Derb Sidi El Yeddoun à El Medress), expliqua à la future universitaire que «L'économie menait le monde et que le sort des pays à l'époque moderne pouvait tenir entre les mains d'une banque...». Qu'aurait bien pu dire cheikh Abdelkader Mahdad à propos de la mondialisation et son corollaire la globalisation ? A quand la baptisation de lycée ou d'institut au nom de ce grand homme de culture et de lettres ? Ne dit-on pas que nul n'est prophète en son pays ?




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