Algérie

Campagne électorale sur fond de tribalisme dans les Ziban



Les palmeraies ne croient plus aux dattes Tolga, la capitale des Ziban, généreuse productrice de dattes par excellence. Plus de 80% de la production sont exportés vers l?étranger, notamment vers la France, la Belgique, l?Espagne, le Canada, la Suisse ou le Maroc. Biskra. De notre envoyée spéciale De loin, Tolga apparaît comme une grande île verte, entourée d?une mer de sable. Ici, comme à Ouled Djellal, Sidi Khaled, Sidi Okba, les jardins s?étalent à perte de vue et « richement décorés », les arbres plus grands, plus fiers, plus métalliques aussi. Un don du ciel. La datte muscade, la meilleure du monde, Deglet Nour, ou « doigt de lumière », charnue, blonde, si savoureuse, d?une qualité si rare que les planteurs n?ont même pas à se préoccuper de la présenter sur les marchés. On en demande sur les lieux-mêmes où elle a lentement mûri. Mais le paradoxe, l?incroyable contradiction, fait que toutes ces bourgades, distantes du chef-lieu de wilaya, Biskra, d?environ 50 à 100 km, sont aujourd?hui complètement déshéritées, et leur population vit dans le dénuement presque absolu. « Nous sommes pauvres et misérables, les oubliés de la houkouma », se plaint un septuagénaire. L?oisiveté tue à petit feu les jeunes dont le seul souci est de fuir vers d?autres cieux qu?ils croient plus cléments. Mais alors, à quoi sert cette richesse dattière dont la réputation dépasse nos frontières, après le pétrole, serait-on tenté de se demander. « A rien. Sincèrement rien », nous a-t-on répondu à l?unanimité ou presque. Femmes, hommes, analphabètes ou intellectuels locaux. Tous partagent le même constat. La population de Tolga et celles des communes limitrophes sont loin d?être choyées par les autorités et ne sont pas du tout les heureux bénéficiaires de ce don du ciel que représente le fruit du palmier. Pourtant, ces derniers jours de novembre, toutes ces villes et villages qui les entourent vivent au rythme de la zorna et des youyous. En réalité, deux événements focalisent l?attention de la population et alimentent l?actualité locale : les élections du 29 novembre et les récentes émeutes de Ouargla. Une ville qui a la réputation d?être encore plus riche, parce que pétrolière, mais non moins confrontée à l?épineux problème du chômage, à l?instar de toutes les régions du sud du pays. On vote pour l?honneur du arch Escale à Tolga. De prime abord, la ville s?offre au visiteur dans un décor des plus désolants et des plus désagréables. La saleté partout. Les amas de détritus à perte de vue. Chose inattendue et inhabituelle dans une région où l?homme essaie de préserver le moindre espace vital face à l?avancée inexorable du désert. Les ordures jonchent la ville, spectacle navrant, accompagné d?odeurs nauséabondes. L?on apprend que les éboueurs ne sont pas passés depuis dix jours. C?est apparemment courant à Tolga, croit-on savoir, surtout en l?absence de responsables assumant pleinement leurs charges. Mais en dépit de cette situation, la population compte quand même aller voter jeudi prochain. De bout à l?autre de la ville, plusieurs permanences de cinq partis ont été installées, dès le coup d?envoi de la campagne électorale. Les candidats aux élections municipales et leurs « supporters » se disputent à couteaux tirés dans l?espoir de remporter la présidence de l?APC. Ici, rares sont les indifférents à cet événement non pas parce qu?ils « croient » en « leurs » candidats et au changement, mais plutôt par défi. C?est une question de « nif », honneur oblige ! « Je vote afin que le candidat désigné par notre arch (tribu) soit élu », explique Mohamed qui tient à suivre à la lettre l?instruction donnée par les sages de sa tribu. Mohamed déteste la politique. La preuve, il ne sait même pas à quel parti appartient le candidat choisi par sa tribu. « Je ne connais pas la couleur politique de ce candidat, on m?a demandé de voter pour ce monsieur, j?obéis, c?est tout. Je n?ai rien à perdre, et d?ailleurs, je n?attends rien en contrepartie », lance innocemment Mohamed. Conscient sans doute que sa commune est, et restera en queue de peloton en matière de développement tant que ces pratiques persistent dans notre pays, il continue au moins à voter de « manière mécanique ». Saïd, architecte en chômage, ne votera pas par contre. Par ce geste, il entend sanctionner les responsables, à tous les niveaux, pour leur incompétence. Saïd ne croit plus aux promesses sans lendemain des candidats toutes tendances confondues. Il sait et ce n?est plus un secret, que les candidats se « serviront généreusement » et sans gêne dès leur élection. « Il y a quelques années, j?ai donné ma voix à un candidat qui connaissait parfaitement mon cas et celui d?autres diplômés sans emploi. J?ai espéré naïvement. Lorsqu?il a été élu, je lui ai rappelé sa promesse. Il m?a répondu sur un ton méprisant et sans scrupule qu?il n?avait pas la bague magique de sidna Souleymane », peste Saïd, qui continue dans sa lancée : « Pourtant, durant les semaines qui ont précédé le vote, ce candidat hypocrite criait sur tous les toits qu?il transformera la région en un petit paradis et qu?il portera assistance, s?il venait à être élu, aux catégories les moins favorisées », lance Saïd, échaudé et qui a décidé de tourner le dos à la politique. Pessimiste sans doute, il n?écarte pas l?éventualité d?une explosion sociale dans la région. Le mal est profond et le réveil sera fatal. De son point de vue, toutes les régions du Sud sont totalement délaissées, l?aide aux agriculteurs reste insuffisante et la marginalisation des jeunes diplômés est une bombe à retardement. Dans une commune où le taux de chômage parmi les jeunes avoisine les 100%, la datte reste la seule source de revenus pour les ménages. Contrairement aux jeunes, Rachid ne rechigne pas au boulot. Il fait partie de cette espèce en voie de disparition que sont les grimpeurs de palmiers. Il monte dans l?arbre, récolte la datte, fait le tri du fruit, le tout pour une maudite somme de 500 dinars par jour. Des conditions de travail extrêmement difficiles. On grimpe à mains et à pieds nus le long d?un tronc de plusieurs mètres. On s?écorche jusqu?au sang. D?ailleurs, tous les grimpeurs viennent d?ailleurs et ne sont pas de la région. Ils sont de plus en plus rares et très demandés. « Je ne suis pas assuré et les moyens de protection sont inexistants. En dehors de la saison de récolte de la datte, le travail se raréfie. Nous n?avons pas d?usine. Durant le reste de l?année, je fais du bricolage. Tous ceux qui se sont succédé à la tête de la commune connaissent cette réalité, mais aucun effort n?a été fait pour un changement qu?il soit minime », se plaint Rachid, qui nous demande de plaider sa cause auprès des autorités nationales... M. Bensalah, premier responsable de l?ex-office national de la datte, énumère d?un air amusé les noms des ministres originaires de la région, et qui une fois au règne des commandes, ont tout bonnement oublié l?endroit d?où ils venaient. Allusion faite entre autres à Saïd Barkat, ministre de l?Agriculture. M. Bensalah nous invite à écouter attentivement son récit pour mieux comprendre pourquoi la région de Tolga figure parmi les dernières de la classe, comme il dit. La commune a été gérée par un élu FLN. Après deux « mandats catastrophiques » et un séjour en prison, celui-ci n?abandonne pas la partie, il se représente en 2004 sous la coupe du parti Ahd 54, et comme par miracle, il a été élu une fois de plus maire de Tolga. Résultat de son mandat actuel : trottoirs éventrés, réseau d?assainissement pas du tout efficace, etc. « Depuis cinq ans, il n?y a pas eu une goutte d?eau dans les robinets, nous achetons l?eau chez les commerçants. Les arbres sont mal entretenus, aucun investissement n?a été réalisé pour sortir la population de Tolga de son marasme... La liste des incohérences est malheureusement très longue », rapporte M. Bensalah qui, sans détours, révélera que le maire a entretenu sa propre image et fait profiter quelques-uns parmi ses proches. M. Bensalah nous réserve cependant le meilleur pour la fin : ce candidat miraculé démissionne du parti Ahd 54 et retourne au « vieux front », il s?inscrit sur la liste des candidats aux élections législatives de mai dernier. « Ce personnage énigmatique est aujourd?hui député à l?APN. Incroyable mais vrai ! », s?est exclamé avec dégoût cet ancien cadre du secteur public. Voici le fond du problème en Algérie : « Nous ignorons qui tire les ficelles et pourquoi la médiocrité prime sur tout le reste. » La population de Tolga se répartit sur douze tribus, et à l?occasion des élections, chaque notable fait appel aux gens de son « arch » pour arriver à ses fins. Dans ces villages éloignés, les avis sont partagés sur l?élargissement des prérogatives de l?élu. Certains sont pour, d?autres s?y opposent catégoriquement. L?argument avancé est justifié. Pour eux, la gestion des affaires publiques locales doit revenir à l?administration, car il n?y a pas de neutralité et il est difficile de parvenir à un équilibre entre les différents groupes de la population et satisfaire de manière juste et équitable leurs besoins. Il y a quelques années, se remémorent les citoyens, lorsque l?APC affichait la liste des bénéficiaires de logements, c?était l?émeute au sens propre du terme. L?administration a alors décidé de reprendre la gestion de ce dossier pour couper court à la magouille et évidemment à la contestation. Seule une usine de gypse? Notre deuxième escale nous conduit vers une autre région qui est bien gâtée par la nature, mais négligée par l?homme : Ouled Djellal. Située à la jonction de deux oueds : Oued Djeday et Oued El-Issel, issus des eaux pluviales du nord du pays, l?économie locale est basée exclusivement sur l?agriculture, en particulier les dattes Deglet Nour, les figues, les grenades, le raisin. On compte plus de 210 000 palmiers dattiers dont 120 000 de la variété très prisée des « Doigts de lumière ». La région est également productrice d?ovins. Néanmoins, la seule entreprise d?importance que renferme la région est l?usine de gypse, située à l?extérieur de la ville. Elle fait vivre quelques dizaines de familles de la région. Mais la grande majorité de la population en âge de travailler est confrontée au spectre du chômage et de ce que beaucoup appellent communément « la hogra ». « Les élus qui se sont succédé à la tête de la municipalité n?ont apparemment pas pris connaissance du contenu de la charte régissant leur fonction », fait remarquer un vieillard. L?élu sortant était du parti d?El Islah, mais à Ouled Djellal, on parle beaucoup plus de tribu. L?élu fait partie du arch Harkat, et c?est cette tribu qui est aujourd?hui remise en cause par de nombreux citoyens, parce qu?elle a « misé sur le mauvais cheval ». Il y a eu une régression sur tous les plans, s?accordent à dire les citoyens qui nous invitent à parler de l?absence de l?éclairage public. A la proche de la nuit, Ouled Djellal sombre dans l?obscurité. Dans cette région, tout le monde se plaint, les fellahs, les universitaires, et surtout les jeunes en quête d?une barque de fortune dans l?espoir d?opérer une traversée via la mer pour une vie meilleure... C?est apparemment la contagion. A la question de savoir si les élections sont importantes pour l?avenir, la réponse ne s?est pas fait attendre : « Nous voterons pour le nôtre », cette phrase vaut son pesant d?or. Ils connaissent tous le nom et la fonction de leur candidat. Virée vers une autre destination au sud-est de Biskra, la plus célèbre des oasis porte un nom prestigieux de l?Islam : Sidi Okba. Au centre de la grande mosquée, à l?abri d?une admirable porte de cèdre, le tombeau de ce conquérant missionnaire, construit voici plus de treize siècles, est un lieu de pèlerinage étonnant. En 2001, le président de la République, M. Bouteflika, a inauguré le plus grand complexe renfermant notamment une « madrassa coranique ». En 2004, le chef de l?Etat s?est déplacé sur le même lieu et a inauguré un autre espace, alors que la madrassa n?a jamais été opérationnelle. Il a vu défiler des personnalités de haute classification, mais sans conséquence. Pourquoi ? On ignore chez nous que les élections n?ont aucune signification. « Ils sont nés sur cette terre, ils sont devenus députés, ministres, mais en vain pour la région... » La population locale réclame la réfection des routes, le transport scolaire, l?électricité agricole, un hôpital, un complexe sportif, une piscine, une banque et une agence Sonelgaz. En somme, la région a besoin des éléments les plus vitaux pour sa survie. Beaucoup de commodités manquent dans une ville où la poésie est presque un parler. Sidi Khaled est l?une des villes les plus importantes de la wilaya de Biskra. Elle se caractérise par ses oasis sur les côtés de l?oued Djedi. Le nom de Sidi Khaled serait historiquement lié à Khaled Ben Sounan El-Abssi, considéré par certains comme un wali, et comme prophète par d?autres. Les élections c?est une partie de plaisir qui occupe au passage et en un laps de temps la communauté. Imad, Khaled, Zahir, tous des universitaires, tous les trois chôment depuis leur obtention de diplôme. Les autorités ont pris connaissance de cette situation depuis bien longtemps, mais elles n?ont rien fait et aujourd?hui, elles osent appeler la population à voter... Sans commentaire.



Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)