Algérie

Béjaïa. Le Fleuve détourné au théâtre : Les planches contre l’amnésie



Le roman, construit sur le mythe récurrent du retour, sans doute le plus foisonnant et le plus marquant de l’auteur disparu, donne les avantages de la fable bien tournée, de celle dont doivent théoriquement raffoler les dramaturges, pour les possibilités de transformation qu’elle permet même si elle impose un exercice de composition dramatique ardu en raison de la complexité de sa structure et de la superposition des espaces narratifs.

C’est dans ce registre d’ailleurs qu’étaient attendus, « plus à tort peut-être qu’à raison », diront les spécialistes, le travail de réécriture fait par Omar Fetmouche et celui de mise en scène effectué par Hamida Aït El Hadj. D’une certaine façon, la pièce est condamnée à avoir deux sortes de publics : ceux qui ont lu le roman avant de voir la pièce et ceux découvrant l’œuvre par le truchement de son adaptation. Jeudi dernier, pour sa première représentation au théâtre régional de Béjaïa, producteur du spectacle, il s’en est trouvé des spectateurs qui ont jugé que le texte de Mimouni aurait pu être mieux exploité, dans ce qu’il recèle comme métaphores, comme épaisseur « dramatique » propre, comme dialogues et situations. L’écueil du double espace narratif ayant été surmonté par le choix fait par l’adaptation de ne s’intéresser qu’à la quête du revenant dans l’Algérie post-indépendance, restait à réussir la conversion vers les exigences des planches. Pour libre qu’elle peut se revendiquer, l’adaptation, qui se veut aussi un hommage à l’écrivain, réitère, par diverses attaches, son lien avec le texte de Mimouni, à commencer par la reprise du titre du roman, et une certaine fidélité poussée à la substance des dialogues. Les libertés prises l’ont été avec la greffe plus ou moins heureuse de tableaux, dont celui traitant de la condition féminine, avec comme cadre spatial une zaouïa aux vertus apaisantes, puis une fin ouverte sur une sorte d’optimisme lyrique, au propre plus qu’au figuré, qui a tendu à adoucir un peu la violence du texte mimounien. La distribution, qui a pris le risque de faire appel à des figures certes connues de la scène artistique, mais qui font là leur baptême des planches, à l’image du rappeur Lotfi Double Kanon, du chanteur chaâbi Réda Doumaz et de l’acteur Mourad Khan, réussit quant à elle à dépasser le soupçon du casting inspiré par le seul souci de mettre des atouts supplémentaires pour attirer un public plus large, tentation légitime s’il en est. Le rôle du fils sied au personnage de Lotfi Double Kanon, rappeur représentant une génération qui ne tait pas ses questionnements et ses remises en cause, par rapport au poids de l’histoire, même si l’adaptation s’est globalement bornée à restituer les thématiques dominantes jusqu’aux années 1980. Les dialogues s’en sont trouvés par ailleurs enrichis par la diversité des accents linguistiques servis par une palette de comédiens, pour la majorité amateurs, venant de différentes régions du pays. A saluer également un décor dont la fonctionnalité et les possibilités de mouvement ont été bien exploitées par la mise en scène, hormis quelques relents de hiatus qui marquent un peu l’embrayage entre les tableaux. Le Fleuve détourné, produit dans le cadre de la manifestation Alger, capitale de la culture arabe, est encore en représentation à Béjaïa jusqu’à demain.
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