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Baba Sissoko et le tamani enchantés



Baba Sissoko et le tamani enchantés
Respecter et entretenir ses traditions ancestrales n'est pas pour autant synonyme de conservatisme. C'est le sens que le griot malien Baba Sissoko entend donner à son message à travers sa musique.Le chanteur et joueur de tamani, qui a longtemps fait chemin commun avec son compatriote Habib Koite avant de relocaliser sa carrière en Italie, sort un nouveau disque, baptisé Tchi Wara. Il a donné à son nouvel album le nom d'un petit masque bambara qui est attribué en récompense à la fin de la saison des pluies à celui qui a mieux travaillé que les autres aux champs. «Ce jour-là, le nouveau détenteur du trophée invite tout le village pour une fête qui peut durer trois jours», conte Baba Sissoko, chez qui les références aux traditions ne sont jamais plus loin que le bout de la phrase qu'il est en train de prononcer. Le griot veille, mais le gardien de l'histoire ? et des histoires ? n'est en rien recroquevillé sur le passé. Le quinquagénaire se fait l'apôtre du changement et tient à en préciser sa définition: «Souvent, les gens pensent que ça veut dire tout jeter. Non, changer, c'est rencontrer le monde.» En musique comme dans la vie, sachant que pour lui les deux sont intimement liées, la démarche de ce Malien installé depuis 1998 en Calabre, au sud de l'Italie, semble avoir été guidée par ce principe. Le côté rock de certaines chansons de Tchi Wara, avec des guitares électriques qui se déchaînent, en est une illustration. Tout comme son envie de faire chanter en français ou en anglais une partie de son texte ici ou là, pour mieux se faire comprendre. Riche et variée, sa discographie ne dit pas autre chose, que ce soit sous son nom ou pour d'autres : avec les jazzmen vétérans du Art Ensemble of Chicago sur Reunion en 2003, avec la fanfare belge de Moucourt pour Mali malien 2007, en famille pour Baba et sa maman en 2013, ou encore aux côtés de Dee Dee Bridgewater dont il se dit «le griot personnel» sur Red Earth en 2007... Et si une telle ouverture d'esprit évoque l'attitude de son compatriote suractif Habib Koite, en permanence aux quatre coins du monde sur des projets aussi divers qu'inattendus, cela n'est guère étonnant : Baba est un membre original du groupe Bamada fondé dans les années 80, qui animait les nuits bamakoises, passant d'un club à l'autre, avec lequel Habib s'est fait connaître. L'époque était à la «révolution musicale», avec un rôle inédit donné à la basse, à la batterie dans la musique malienne. Lui était au ngoni et au tamani, ce tambour parlant (talking drum) aux sonorités si caractéristiques auquel il a voulu rendre hommage sur son premier album Tama Kan, «le son du tamani», enregistré en 1995 dans son pays. Passé par le prestigieux ensemble instrumental national du Mali, «que les papas de Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko ont créé» et où lui-même avait succédé à son propre père lorsque ce dernier était parti en retraite, Baba Sissoko a d'abord fait son apprentissage sur le terrain, durant l'enfance : «On voyageait avec trois chevaux : un pour le grand-père, un autre pour moi et le troisième pour les instruments et le manger : la viande sèche, du couscous sec, de l'eau et du lait. Quand on arrive dans le village, avant de descendre de cheval, d'abord le grand-père chante pour le chef de village. Et moi, je joue le tamani. Tout le monde sort pour nous accueillir. Une fois devant le chef de village, on met le pied à terre et la première chose qu'il offre, c'est de l'eau, puis des chaises pour nous asseoir. Et ensuite, il offre un b?uf pour le commencement de la fête !» Et puis il y a les nuits dans la forêt, à écouter son aïeul jouer du ngoni et raconter des histoires qu'il ne devait pas oublier, car «la tête, ça doit être une bibliothèque» pour les griots. Avec délectation, il plonge dans la marmite des souvenirs et en ressort quelques anecdotes qui semblent appartenir à une autre époque. «C'est comme un film», réalise-t-il soudain dans un éclat de rire, conscient que les images qu'il suscite ont un fort pouvoir évocateur.


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