Algérie

Après le révisionnisme, le négationnisme


Aux larmes, citoyens ! Tant que les criailleries et autres objections, hélas irrésolues, clameurs insignifiantes des anciens « indigènes », n?agitaient que ces rives-ci de la Méditerranée, les parlementaires français de la majorité présidentielle, à l?origine de ce qu?un journaliste a appelé « l?amendement y a bon », autrement dit l?article 4 de la loi qui consacre la colonisation « positive », n?en avaient cure. « Quand un peuple perd ses m?urs, il fait des lois. » Aristote Que cela mette en péril le traité « d?amitié » algéro-français que, selon la formule d?usage, « les présidents Bouteflika et Chirac appelaient de tous leurs v?ux », après tout, les deux pays sont habitués, depuis de longues années, à ce type de grippe saisonnière. Les diplomates et autres opérateurs économiques d?Algérie et de France ont cette coutume de manipuler avec une étonnante adresse le yo-yo politique. Mais les 44 députés de la majorité présidentielle étaient loin de deviner que d?avoir courtisé de trop les anciens coloniaux, particulièrement les rapatriés d?Algérie et les harkis, pour quelques voix de plus, ils soulèveraient une tempête dans les Caraïbes. Le 10 février 2005, dans un hémicycle clairsemé, ils votaient, sans opposition aucune - la gauche comme un seul homme ayant été insuffisamment « vigilante » - pour reprendre les termes du président du groupe socialiste, M. Ayrault, pour que les « programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l?histoire et au sacrifice des combattants de l?armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Après que le puissant ministre de l?Intérieur, déjà dans les starting-blocks pour la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, qui, par ailleurs, exhorte à ce qu?il appelle « l?arrêt de la repentance généralisée », eut été vertement tancé par le poète, champion de la négritude, le nonagénaire Aimé Césaire, qui lui a fermé les Antilles, c?est le Premier ministre, Dominique de Villepin puis le Président Jacques Chirac en personne, qui montent au filet pour sauver ce qui reste. Les voici, l?un et l?autre, déjà ébranlés par les émeutes qui ont secoué les banlieues, durant le mois de novembre, qui rament pour tenter de colmater la digue. « Il n?appartient pas aux politiques d?écrire l?histoire », martèlent-ils depuis quelques jours. N?était-ce pas de Gaulle qui conseillait de « noyer » les problèmes en les confiant à des commissions. Gaulliste comme il se doit, il a donc créé une commission pour étudier la question. Vu de loin, cela ne paraît pas, mais le « coup » qui embarrasse les autorités françaises était mijoté de longue date. Même si ce ne sont pas nos oignons (quoique...), car la votation des parlementaires français ne regarde qu?eux et leurs électeurs, lesquels soit dit en passant, à en croire les sondages, seraient 64%, à approuver l?article 4, brandon de discorde. Depuis mars 2003 déjà, une proposition de loi parrainée par une centaine de députés, dont l?actuel ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy (les rapatriés étant nombreux dans sa circonscription), « positivait » le colonialisme. En fait de loi, c?était un simple article qui appelait à reconnaître publiquement « l??uvre positive de l?ensemble » des Français « qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française ». Remarquez qu?on ne parle pas de « colonisation » ni de « domination » encore moins de « joug », de « férule », « d?oppression » ou de « tyrannie ». Ce sont des vues de notre esprit éberlué. Ainsi, les Français en Algérie ont été tout simplement « présents », tout juste si nous ne les avons pas conviés. Quoi qu?il en soit cette disposition, aïeule de l?article 4, aurait fini dans la corbeille d?une commission. C?est le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin qui relancera le projet en demandant un « rapport visant à parachever l?effort de solidarité nationale envers les rapatriés » et à « promouvoir l??uvre collective de la France d?outre-mer ». Ne faisant pas dans la dentelle, les auteurs du rapport se lancent dans un véritable panégyrique des « soldats laboureurs » du maréchal Bugeaud. Voici en effet un morceau choisi de ce qu?écrivent les rapporteurs : « La France avait demandé à ses fils les plus intrépides d?assurer son rayonnement par-delà les mers avec courage, avec enthousiasme, avec ténacité, ils l?ont fait. Les maladies ont été combattues, une véritable politique de développement a été promue. » Cela n?est pas un texte du XIXe siècle, même si dans le fond autant que dans la forme, il en rappelle les élucubrations grotesques. Au passage, selon la presse française, les éditeurs de livres scolaires qui se sont aventurés à évoquer la guerre d?Algérie ou les tortures et ceux qui n?ont moufté mot sur « les massacres des harkis » après 1962, en ont pris pour leur grade. Les associations des rapatriés ont demandé au ministre de l?Education de sévir. Autrement dit de censurer. Un an après l?invention du « positivisme colonial », c?est la ministre de la Défense, Mme Michèle Alliot-Marie, qui en remet une couche en vantant les apports de la France en Afrique du Nord. Elle souligne que « reconnaître l??uvre positive de nos compatriotes sur ces territoires est un devoir pour l?Etat français ». Elle voulait ainsi appuyer un autre projet de loi « portant reconnaissance de la nation » en faveur des rapatriés. Trois mois plus tard, en juin 2004, Hamlaoui Mekachra, ministre délégué aux Anciens combattants loue la sagesse de l?assemblée, et précise que « les rapatriés, et notamment les harkis, sont souvent légitimement émus de la manière dont sont traitées la présence française outre-mer et la guerre d?Algérie dans les manuels scolaires ». Un député de la majorité a justement son idée sur la question, puisqu?il propose que « les manuels scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer notamment en Afrique du Nord ». Ainsi d?amendements en sous-amendements, l?article 4 prend sensiblement la forme qu?on lui connaît aujourd?hui. Il est ensuite placé en stand-by. Il sera voté, en première lecture le 10 février 2005 par 44 députés, passera allégrement le cap du sénat où les socialistes ont voté pour et sera promulgué le 23 du même mois par le Journal officiel. Cette intrusion par effraction dans un domaine réservé en principe, mais pas toujours, aux historiens va entraîner une levée de boucliers d?environ un millier, parmi ces derniers et des universitaires, en général, lesquels vont pétitionner dru. L?opinion pour sa part ne va pas s?émouvoir outre mesure. Que le colonialisme ait été positif ou négatif, cela semble loin de la préoccuper et ça ne peut être après tout que le problème des colonisateurs et des colonisés, même si, à choisir, on préfère encore le deuxième. D?autant que les spécimens de « zoulous » et autres « bougnoules », survivances du temps béni des colonies, qui peuplent les banlieues sont par trop bruyants, « sans parler des odeurs », viennent durant tout un mois de manifester leur différence dans les cités des banlieues. Il n?en faut pas plus pour qu?un Français sur trois approuve le texte de l?article 4, selon les sondages. L?opposition avec tout ce qu?elle compte d?opposants avec tout ce que leur arc-en-ciel comporte de couleurs, allant de l?extrême rouge de la ligue communiste, au rose des socialistes en passant par le vert des écologistes, a bien essayé de faire abroger le satané article, la majorité n?en démord pas. Ce qui fait dire dans les coulisses que c?est une manière de montrer à M. Chirac les limites de son autorité. D?autres affirment que c?était la parade pour empêcher la signature du traité d?amitié qui se préparait entre Alger et Paris. C?est d?ailleurs d?Alger, et d?aucune autre capitale anciennement colonisée, que viendra la première réaction, puisque c?est le Président Bouteflika qui monta au créneau le 29 juin 2005 pour déplorer l?attitude des politiques français et affirmer qu?« il est difficile de ne pas être révolté ». Le 28 août, il subordonnera la signature du traité au « respect mutuel » appelant à « la clarification des choses ». Les Algériens, qui par ailleurs suivent attentivement ce qui se passe dans l?ancienne métropole, chose somme toute normale quand on sait l?importance de l?émigration et le nombre de Français d?origine algérienne, ont pour coutume de commenter certes, mais de ne pas s?ingérer dans ce qu?ils considèrent comme les problèmes internes à ce pays. Après tout, qu?on leurre les petits Français, qu?ils soient issus de l?Auvergne, du Languedoc, de Kabylie ou des Hauts-Plateaux sétifiens, du Mali, du Vietnam ou encore de la Guyane (la liste est longue), cette France qui se veut multiethnique et multiculturelle est libre de leur apprendre que la colonisation, c?est le rêve effondré des damnés de la terre. Les parlementaires français sont tout aussi libres de voter toutes les lois qu?ils considèrent utiles pour leur pays. Ils ne sont redevables que devant leurs électeurs mais il semble, et ce n?est qu?un commentaire, que cette même France devrait chercher ailleurs les arguments qui fondent sa grandeur, car le colonialisme est définitivement mort et profondément enterré quelque part entre Diên Biên Phû et Alger.


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