Algérie

Algérie - ENTRETIEN: “NOUS SOMMES DANS UNE SITUATION DE SÉCHERESSE ALARMANTE”


Algérie - ENTRETIEN: “NOUS SOMMES DANS UNE SITUATION DE SÉCHERESSE ALARMANTE”

MALEK ABDESLAM
INGÉNIEUR HYDROGÉOLOGUE ET DIRECTEUR DU LABORATOIRE DES EAUX DE L’UNIVERSITÉ DE TIZI OUZOU


Cela fait longtemps que le pays n’a pas connu une situation de stress hydrique comme c’est le cas cette année. Malgré les assurances des autorités quant à la disponibilité du précieux liquide même pendant l'été prochain, certains spécialistes se montrent plutôt sceptiques. Malek Abdeslam, qui est également directeur du Laboratoire des eaux de l’Université de Tizi Ouzou, va jusqu’à tirer la sonnette d’alarme. Dans cet entretien, il appelle les autorités, statistiques à l’appui, à restreindre l’alimentation en eau potable, afin de préserver les modestes réserves existantes. Il regrette même que ces restrictions n’aient pas été décrétées depuis longtemps déjà. Pour la wilaya de Tizi Ouzou, il estime que la situation s’annonce critique pour la période estivale.

- Liberté: Nous sommes au mois de mai, et force est de constater qu’hormis les mois de novembre et de décembre derniers, nous n’avons pas enregistré de grands épisodes de précipitations cette année. Comment évaluez-vous cette saison?

Malek Abdeslam: Effectivement, cette année, depuis le mois de septembre, on enregistre un déficit. Si on prend ce déficit de septembre jusqu’à début mai, tout en sachant que les deux mois de novembre et de décembre étaient excédentaires, on est, à Tizi Ouzou, avec un déficit de 32%, et si on comptabilise à partir de janvier, nous sommes à 62% de déficit. C’est-à-dire que nous n’avions même pas eu la moitié de ce que nous devions recevoir: 150 mm contre près de 400 mm. Avec un tel déficit, nous sommes, bien entendu, dans une situation de sécheresse alarmante.

Là, je rappelle que la sécheresse s’évalue de deux manières: soit par rapport à la production agricole, soit alors par rapport au stock que l’on a dans les barrages et dans les nappes. Si, à la surface, nous avons de la verdure et une bonne production agricole, c’est parce que nous avons eu de petites pluies très régulières puisqu’on a eu beaucoup de jours de pluie (40 jours), mais il n’y a pas eu assez d’eau qui coulait pour remplir les barrages ou s’infiltrer pour remplir les nappes. Preuve en est, le niveau du barrage de Taksebt ne s’est pas relevé et, pis encore, cela ne fait que diminuer puisque nous pompons plus qu’il n’en arrive dans sa cuvette.

On a espéré voir des pluies arriver, mais elles sont tombées très brusquement sur certaines régions et ont fait de gros dégâts et même des victimes, comme à Beni Slimane, à M’sila et à Boussaâda, mais ces épisodes-là sont rares et très limités dans le temps et dans l’espace. Ce n’est pas parce qu’il y a eu de grosses inondations sur un petit espace qu’il y a eu beaucoup d’eau qui est tombée. Et le fait que cela se soit produit dans une période où il fait chaud, cela s’évapore beaucoup. La bonne période pour remplir les réserves, c’est fin novembre, décembre, janvier, février et mars. Avant et après, il fait tellement chaud que l’évaporation accapare plus de 50% de ce qui tombe, et ce qui arrive dans les barrages et les nappes est de 20 à 25% de la pluie.

- Le manque de précipitations cette année vient, pour rappel, compliquer la situation déjà héritée de l’année dernière en ce qui concerne les réserves d’eau dans les barrages et peut-être même des nappes phréatiques. Qu’en est-il de la situation des réserves aujourd’hui?

Les réserves sont très basses. Il y a eu assez d’eau pour assurer une bonne production végétale mais pas pour renouveler les réserves. Si l’on remonte jusqu’à janvier 2020, tous les mois étaient déficitaires à l’exception de novembre et de décembre, soit 14 mois de déficit. Ce qui fait qu’au barrage de Taksebt, principale source d’alimentation dans la wilaya, nous sommes aujourd’hui à moins de 25% de son remplissage. Il suffit d’emprunter la RN30 pour voir son niveau baisser chaque jour un peu plus, et c’est la même chose pour les autres barrages de l’Algérois, comme Koudiat Acerdoune, Beni Amrane, et Kedara. Même les autorités ont annoncé que leur niveau était très bas. Malheureusement, il devait y avoir d’autres ouvrages qui devaient apporter un plus comme le barrage de Souk n Tleta qui aurait pu stocker 100 millions de m3 mais qui n’est pas au rendez-vous et, aujourd’hui, le fait qu’il n’apporte pas sa part se fait sentir. Il y a aussi le déficit de production des stations de dessalement qui ont fait que le barrage Taksebt soit plus sollicité.

Concernant les nappes phréatiques, elles sont, tout comme les barrages, alimentées par la pluviométrie. Et comme il y a un déficit en pluviométrie, il n’y a pas eu assez d’eau dans les nappes souterraines. Cela ne se voit pas mais elles sont très basses.

- La situation s’annonce-t-elle vraiment critique pour cet été?

Absolument! La situation s’annonce vraiment très critique. Là, les autorités ont choisi d’alimenter de manière très régulière et presque abondamment pour la période du Ramadhan, or, à mon avis, même durant ce mois, il fallait restreindre la distribution. Il vaut mieux distribuer cette eau chichement pour la préserver pour les mois qui viennent que de passer un Ramadhan avec une abondance d’eau, puis en payer les conséquences dans les mois à venir. Il fallait décréter les restrictions depuis déjà un bon moment. En tout cas, ce n’est pas trop tard, il faut restreindre les alimentations.

- Il y a quelques années, beaucoup de bruit a couru concernant les réserves souterraines du massif du Djurdjura. Celles-ci ont été même estimées à 60 milliards de m3. Si ce gisement existe réellement, n’était-il pas temps justement de l’exploiter?

Concernant cette histoire de 60 milliards de m3 dans le Djurdjura, il faut définitivement enlever cette idée de la tête des gens. Cela n’existe pas! Les gens qui avaient annoncé cela n’avaient ni les informations, ni les études, ni la spécialité pour se prononcer. Nous travaillons sur le Djurdjura comme le Sébaou depuis des dizaines d’années; nous sommes même rentrés sous terre en spéléologie et nous savons comment cela fonctionne. Nous divisons ce chiffre par 100; il n’y a même pas un milliard de m3 même lorsque c’est stocké au maximum. Déjà en profondeur, le réservoir est plus serré, il y a moins de vide pour que cela puisse être capacitif et stocker de l’eau qui est toujours plus minéralisée, donc salée.

- En janvier dernier, vous avez suggéré de récupérer les eaux de l’oued Sébaou et de les réinjecter dans le barrage Taksebt qui constitue la principale source d’alimentation pour 80% de la population de Tizi Ouzou. La suggestion a trouvé écho chez les autorités qui ont mis en œuvre cette solution début avril dernier. Peut-on savoir où en est-on à présent avec cette solution? Autrement, quel a été son apport jusque-là?

Ce projet, nous n’étions pas les seuls à l’avoir défendu. Toutes les personnes qui passent par la région voyaient beaucoup d’eau qui coule dans le Sébaou, parfois des millions de m3 par jour, et en même temps le barrage Taksebt qui est vide, alors tout le monde rêvait de prendre cette eau et de la stocker. Le concept existait déjà, et c’est ce que les Américains appellent le water-banking, dans les barrages ou en souterrain. On a vu que la faisabilité du projet était évidente, alors on l’a proposé, et il suffisait d’avoir une décision volontariste, et c’est ce qui a été fait par les services du ministère. Une grosse entreprise a été mobilisée et l’eau est arrivée à Taksebt en moins d’un mois. Reste que ce n’est pas ce que nous espérions en volume puisqu’on est à moins de 60.000 m3 par jour, alors qu’on pourrait en tirer plus. Il faut pomper en permanence tant qu’il y a de l’eau dans le Sébaou. Là, on pompe entre 30.000 et 40.000 m3/j, avec des arrêts. Dommage, avec le Ramadhan, les horaires ne sont pas adéquats, alors que le volume d’eau diminue chaque jour dans l’oued. Depuis janvier nous avons mesuré le débit du Sébaou, y compris l’eau qui arrive à la mer; c’étaient plusieurs millions par jour et actuellement il y a un million de m3 qui arrive en mer par jour. Donc, c’est une véritable course de vitesse car l’eau n’attend pas et les autres solutions sont plus coûteuses.

Avec cette solution, si elle est pérennisée, on peut en réalité pomper et transférer à partir du Sébaou beaucoup plus d’eau, au minimum le double de sa capacité. La station de traitement du Taksebt a une capacité de 600.000 m3/j, et si elle fonctionne avec ses capacités toute l’année, il faut pomper l’équivalent de 220 millions de m3. Or, le Taksebt est d’une capacité de 180 millions de m3, donc il ne suffit pas, alors il faut pomper du Sébaou au moins 180 millions de m3 par an pour pouvoir avoir le barrage Taksebt toujours à ras-bord même en été, tout en préservant les besoins des parties en aval. Pour cela, il faut néanmoins qu’un ouvrage pérenne soit bien conçu et ambitieux, avec des conduites adéquates de soit deux fois 1.200 mm, soit d’une conduite de 1.500 mm, en plus des deux conduites actuelles de 600 mm chacune. Ce qui permettra d’avoir un barrage qui fonctionne au double de ses capacités et qui pourra alimenter constamment plus de régions et de population dans la wilaya et dans les wilayas limitrophes en quantités suffisantes et soulager les barrages qui sont déficitaires dans l’Algérois comme Kedara et Beni Amrane. De surcroît, cette solution est beaucoup moins coûteuse et plus rapide que la réalisation d’un autre barrage et elle permettra de rentabiliser l’oued Sébaou où il n’y a, en premier lieu, pas de site pour réaliser un barrage et qui, en second lieu, compte tout autour des terrains beaucoup très nobles pour les sacrifier pour la réalisation d’un autre barrage.

- Lors d’une récente rencontre au siège de la wilaya, les autorités ont annoncé que des mesures drastiques pouvant aller jusqu’à une réduction de 50% des volumes d’eau distribués aux consommateurs sont envisagées pour cet été à Tizi Ouzou. Est-ce là une solution qui permettra de tenir jusqu’à la prochaine saison?

Malheureusement, il n’y a pas d’eau, donc il faut la rationner. Mais il faut commencer à la rationner dès maintenant, il ne faut pas attendre l’été. Il faut commencer par tous les usages qui ne sont pas urgents, comme le lavage et l’arrosage. Il faut que ces mesures soient décrétées dans l’immédiat, puis les élargir au fur et à mesure durant l’été. Ayons donc le courage et la sincérité de les décréter pour avoir l’adhésion de la population. Les gens savent qu’il n’y a pas eu suffisamment de pluie et qu’il faut donc la consommer de manière rationnelle et reprendre les habitudes d’économie. On a habitué les gens à avoir le robinet qui coule tout le temps, mais ils doivent à présent s’habituer à le voir couler quand on en a besoin uniquement.

- À la même occasion, le lancement de campagnes de sensibilisation autour de l’économie de l’eau a été annoncé, mais sur le terrain nous n’avons pas encore vu d’actions du genre. Ne considérez-vous pas justement que c’est dans ce domaine et aussi dans le domaine de la lutte contre les fuites qu’il y a lieu d’agir?

Malheureusement, nous avions eu le Ramadhan qui est arrivé et les autorités ont jugé nécessaire de freiner cette campagne de sensibilisation et surtout les restrictions. Mais cela sera inévitable. Il faut donc expliquer à la population qu’elle aura de l’eau mais rationnée, et il faut aussi que sa distribution soit équitable pour toutes les localités.

Il faut également mener la guerre aux fuites car les pertes d’eau dues aux fuites son énormes; elles dépassent les 50%. Et en parlant des fuites, il y a un secteur qui est très consommateur d’eau et que l’on peut considérer comme des fuites, c’est les collectivités, les écoles, les universités, les mosquées et tout autre établissement public à grand regroupement où généralement il y a énormément de gaspillage d’eau. Puis il y a les fuites dues aux casses, à l’état des canalisations et aussi aux piquages illicites, y compris sur de grosses conduites qui génèrent de grosses pertes, car généralement ceux qui recourent au piquage illicite ne mettent même pas de robinet, voire laissent couler l’eau dans leurs puits.

- Les autorités ont également annoncé la remise en service incessamment de la station de dessalement d’eau de mer de Tigzirt et de plusieurs forages et la réhabilitation de nombreuses sources. Cela permettra-t-il, à votre avis, d’atténuer un tant soit peu le stress hydrique qui guette la région de Kabylie cet été?

Bien entendu, chaque goutte d’eau en plus dans les réseaux est la bienvenue. La station de dessalement de Tigzirt a une capacité de 2.500 m3/jour, c’est à peine l’équivalent d’un bon forage dans le Sébaou, soit 30 l/s. Donc ce n’est pas énorme, c’est un bon apport pour Tigzirt pendant la période hivernale mais qui reste insuffisante en été où son apport ne va pas beaucoup se voir. Même concernant les sources, il ne faut pas espérer un volume en plus de ce qu’elles donnent déjà. En Kabylie, et pratiquement dans toute l’Algérie, toutes les sources sont captées. Si on peut améliorer les captages, c’est bien, si on peut améliorer les adductions, c’est mieux puisque cela permet de diminuer les pertes pour espérer qu’elles vont donner plus. Concernant les forages, par contre, cela serait une excellente chose que de les reprendre. Beaucoup de forages ont été abandonnés suite à la mise en service de la station de traitement de Taksebt. C’est vrai qu’il est plus facile de manœuvrer une vanne pour envoyer de l’eau d’un réservoir à l’autre que d’exploiter les forages car il faut de l’énergie, de l’entretien et du gardiennage. Mais s’ils venaient à être repris on aurait de l’eau à tirer là-dedans. Justement, les digues que nous avons proposées tout au long du Sébaou, c’est pour recharger les nappes dont le niveau de remplissage est très bas. Donc le fait de mettre en place ces digues tout le long du Sébaou jusqu’à la mer permettra de limiter l’eau qui va vers la mer et de réalimenter les nappes, et là les forages pourront donner beaucoup plus d’eau et d’excellente qualité parce que l’eau va être filtrée naturellement par la nappe.

Malheureusement, pour le moment, à l’exception de la dérivation réalisée pour transférer l’eau du Sébaou vers Taksebt, aucune des digues que nous avons proposées n’est réalisée. Nous avons proposé six digues à réaliser de Boubhir jusqu’à l’embouchure avec la mer, mais rien n’est fait. Pourtant, ce n’est pas difficile à faire, ce sont des ouvrages rustiques qui permettront de récupérer des volumes insoupçonnés. Par champ captant, on peut récupérer jusqu’à 10.000 m3 par jour, et comme nous avons une dizaine de champs captants, on peut récupérer 100.000 m3/j facilement. C’est près de la moitié de ce qui est pompé actuellement du barrage Taksebt. L’autre avantage est aussi de réduire la possibilité à la mer de rentrer dans l’oued. Il faut savoir que l’exploitation du sable et aussi la dynamique naturelle des oueds ont fait que le lit de l’oued s’est beaucoup abaissé et par conséquence l’eau de la nappe est drainée vers l’oued puis vers la mer. Donc il faut lutter contre ce phénomène, ce qui est facile avec ces digues. À hauteur de Baghlia, par exemple, le lit de l’oued s’est abaissé d’une dizaine de mètres, donc toute la nappe qui est sur les berges se vidange dans l’oued, et c’est pour cela que les volumes qui arrivent à la mer sont importants. Il faut régénérer ces nappes.

- À plus ou moins long terme, les autorités envisagent la réalisation d’une autre station de dessalement d’eau de mer à Iflissen. En raison de la récurrence des épisodes de sécheresse, sinon de déficits en pluviométrie, l’avenir n’est-il pas dans le dessalement d’eau de mer pour éviter de dépendre seulement de la nature? Sinon, y a-t-il d’autres mesures qui peuvent être envisagées à moyen ou long terme pour pallier les aléas de la nature?

Effectivement, il faut diversifier l’origine des ressources. Il y a la pluviométrie, mais quand il y a des pluies il faut pouvoir les stocker. Nous avons des nappes intéressantes et il fallait les préserver, mais malheureusement on a laissé le sable partir et elles se sont détériorées. Aujourd’hui il faut les régénérer de façon à stocker de l’eau quand il y a de la pluie. Concernant le dessalement, c’est une excellente chose. De gros projets ont été déjà réalisés sauf que la manière de les exploiter pose problème actuellement dans la mesure où les usines en question ne sont pas exploitées aux débits qui étaient prévus. On n’est pas à 100% de leur capacité : il y a des pannes, des problèmes de courant électrique, des problèmes de management et aussi des problèmes de prise d’eau, malheureusement, certaines d’entre elles commencent à avoir plus de 15 ans donc il faut penser à manager tout ce qui est entretien, renouvellement, etc. Aussi, il faut revoir leur mode de fonctionnement, parce qu’avec les contrats de leur réalisation même si elles ne produisent pas il faut payer. Quand elles ne produisent pas, c’est à eux de payer ou de compenser les volumes manquants. Maintenant, pour réaliser de nouvelles usines de dessalement, il faut savoir que leur construction est coûteuse et prend du temps, mais il faut l’envisager tout comme il faut envisager d’étendre celles déjà existante. De petites stations, en cours de montage, autour d’Alger vont être d’un bon appoint. À Iflissen, le projet existe depuis très longtemps mais, malheureusement, le barrage Taksebt a toujours masqué les déficits et souvent on a oublié ces projets, comme celui de la station d’Iflissen qu’il faut absolument lancer. Par contre, il faut savoir que les eaux dessalées ne sont pas minéralisées donc il faut de la minéralisation et souvent c’est le mélange des eaux souterraines ou de barrage avec l’eau dessalée qui permet d’avoir une eau plus ou moins équilibrée en éléments minéraux.

Quant aux autres ressources, il est vrai que les pouvoirs publics y travaillent mais pas avec suffisamment de volontarisme pour, entre autres, récupérer les eaux des stations d’épuration (Step) qui constituent des volumes très importants puisqu’il y a plus de 1 milliard de m3, soit l’équivalent de 30 à 40% du volume des barrages, sur le littoral, qui va vers les oueds et la mer. Il est vrai que c’est une piste qui est prise en charge mais pas suffisamment, puisque toutes les stations d’épuration sont conçues pour effectuer un traitement primaire et secondaire, ensuite on rejette l’eau dans la rivière et elle rejoint rapidement la mer toute proche. Quand le rejet est à l’intérieur des terres, l’eau retourne dans le cycle naturel de l’eau et une autoépuration se fait dans les oueds au final. Or, il faudrait un traitement tertiaire plus une désinfection pour pouvoir les utiliser dans l’agriculture mais aussi l’injecter dans les nappes ou encore les renvoyer dans les barrages.

- Nous avons entendu beaucoup de responsables dire que l’Algérie est déjà un pays semi-aride et que les changements climatiques risquent de compliquer davantage la situation hydrique à l’avenir. Justement, ce que vous préconisez ne revêt-il pas aujourd’hui un caractère des plus urgents?

Cette histoire de changements climatiques, de pays aride, pas aride, etc, il faut la regarder de différentes manières. Si on ne regarde que les pluies, l’Algérie est un pays chaud où il pleut beaucoup. Mais que fait-on de cette eau? Le problème, c’est qu’on ne commence à se préoccuper que quand il n’y en a pas. Il faut se préoccuper quand il y en a de façon à la stocker, dans les barrages et en souterrain. Quant aux changements climatiques, il faut savoir que le climat méditerranéen n’influe que sur les températures et non pas sur la pluviométrie. Les températures, effectivement, s’élèvent, donc l’évaporation est importante et les quantités de pluies qui tombent aussi, mais où sont ces quantités? Là où il y a un barrage elles se voient mais ailleurs elles coulent dans la mer. En résumé, nous avons toujours un problème de stockage, surtout en souterrain. Stocker en périodes d’abondance et puiser en période de disette avec une régulation interannuelle. Les barrages de Taksebt et de Koudiat Acerdoun ont joué leur rôle de stockage durant plus de 2 ans, soit 27 mois, de février 2019 à aujourd’hui et encore quelques petits mois. La Mitidja et les autres nappes sont sollicitées sans cesse donc elles baissent continuellement mais sans les aider à se reconstituer, sachant que le danger de leur salinisation est relevé.

- Récemment, vous avez évoqué une éventuelle nécessité de recourir à l’importation d’eau pour pouvoir répondre au besoin en la matière. Cette éventualité n’est toujours pas à écarter...

Acheter de l’eau ou ramener de l’eau par bateau se fait dans beaucoup de régions du monde. La ville de Barcelone, par exemple, a construit beaucoup d’usines de dessalement mais elle continue à importer de l’eau. Les îles italiennes et grecques sont également alimentées par bateau. L’eau est une marchandise comme une autre.

Chez nous aussi on peut en importer de l’étranger mais on peut aussi en ramener des bassins excédentaires. Actuellement, l’est du pays a enregistré plus d’eau que la moyenne. Les barrages de Beni Haroun et de Tabelout sont pleins à 100%. On peut donc entrevoir de là-bas jusqu’à un port proche et les acheminer vers les régions déficitaires, par exemple à partir de Djenden vers Alger, Oran et autres.

Cela peut également se faire à partir de l’étranger, il suffit de planifier les choses pour acheter de l’eau au meilleur coût, parce qu’il y a, certes, un coût psychologique et politique, mais au final c’est un problème de coût économique et sanitaire. Mais il ne faut pas regarder combien coûte le m3 d’eau, mais plutôt son apport en termes de confort, comme un produit vital et comme un produit qui évite beaucoup de maladies. Même la Covid est une maladie des mains sales.




Photo: Malek Abdeslam, Ingénieur hydrogéologue et Directeur du laboratoire des eaux de l'Université de Tizi Ouzou. © Liberté

Interview réalisée par : SAMIR LESLOUS
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