Algérie - Législation

Ahmed Mahiou. Professeur agrégé et ancien doyen de la faculté de droit d’Alger: «Un autre mandat ou la prolongation de l’actuel aura de graves conséquences»


Ahmed Mahiou. Professeur agrégé et ancien doyen de la faculté de droit d’Alger:  «Un autre mandat ou la prolongation de l’actuel aura de graves conséquences»




Ahmed Mahiou, professeur agrégé des facultés de droit et ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, directeur de recherche émérite au CNRS, répond aux questions brûlantes de l’actualité politique nationale. Il insiste sur l’éthique, la morale et le droit qui doivent garantir l’organisation d’élections propres, une libre concurrence entre les candidats et surtout le respect du choix du peuple.

Le professeur Mahiou affirme que «si le chef de l’Etat obtient dans son état actuel une prolongation de mandat ou un mandat complet, cela aboutira à un scénario invraisemblable, celui du prolongement du blocage du système politique, avec toutes les graves conséquences et implications qu’il est difficile d’évaluer tant sur le plan national qu’international». La situation du pays inquiète plus d’un. L’ancien doyen de la faculté de droit et directeur émérite au CNRS avise sur le danger que cela représente et éclaire l’opinion sur ce qu’autorise le droit et ce qu’interdisent la morale et l’éthique.

- Il y a une polémique autour d’une éventuelle prolongation de l’actuel mandat présidentiel de deux ans par le biais d’une révision constitutionnelle. Est-ce, du point de vue constitutionnel, possible?

Une révision constitutionnelle est toujours possible juridiquement, dès lors que l’on respecte les formes prévues pour une telle opération, c’est-à-dire le passage par un vote soit par référendum, lorsque la révision est importante, ou par le vote des deux Chambres du Parlement, si la révision est d’une moindre importance. Il reste l’aspect relatif à l’opportunité politique d’une telle opération, notamment si l’objet de la révision se limite à la prolongation du mandat du Président de deux ans. Sur ce point, chacun peut avoir son opinion pour soit soutenir, soit s’opposer à une telle opération. Le problème essentiel est, en fait, de savoir si l’opération de vote va se dérouler dans la transparence et la liberté qui s’imposent pour être crédible, ou si le vote va être manipulé, comme cela a été le cas jusqu’à présent pour toutes les élections qui ont eu lieu en Algérie. Ces manipulations portent aussi bien sur le pourcentage de participation que sur la répartition des voix entre le oui, le non, l’abstention ou le vote blanc, s’agissant des référendums, la répartition des voix entre les candidats s’agissant des élections présidentielle, parlementaires et locales.

- Ne pensez-vous pas que c’est quand même trop, à tous points de vue, de vouloir réviser la Constitution à deux reprises, rien que pour rester au pouvoir?

Nous quittons là l’aspect juridique pour l’aspect politique. De mon point de vue, la réponse est assez simple : toute révision ayant pour objectif de prolonger le mandat des gouvernants au-delà du terme fixé par la Constitution est regrettable et contestable, car elle va à l’encontre d’un principe démocratique revêtant deux aspects, d’une part celui de la rotation des personnes aux postes de responsabilité et, d’autre part, celui d’une possible alternance des forces politiques en concurrence pour l’exercice du pouvoir.

- Même pour un quatrième mandat, la loi exige que le candidat présente un bulletin de santé, et vu la maladie du Président, ce projet, contrairement à ce qu’essayent de faire admettre ses partisans, est matériellement impossible. Quel est votre point de vue?

Le candidat à l’élection présidentielle, quel qu’il soit, doit remplir les conditions légales requises par la Constitution et les autres normes régissant l’élection présidentielle. Il appartient au Conseil constitutionnel de vérifier le respect de ces conditions et d’officialiser les noms des candidats qui les remplissent, y compris au regard du bulletin de santé. Pour cela, le Conseil se base sur le bulletin de santé établi par les personnes dûment habilitées à le délivrer. Il y a donc l’avis de ces personnes, puis l’évaluation que va en faire le Conseil constitutionnel.

- Est-ce qu’à votre avis, ce qui se passe actuellement — la volonté de Bouteflika ou de son clan de se maintenir à la Présidence — n’est pas une confirmation que la révision de la Constitution intervenue en 2008 a réellement déséquilibré les pouvoirs et chamboulé l’ordre institutionnel et le fonctionnement du pays?

Sur cette question, j’ai déjà eu l’occasion de prendre position à plusieurs reprises dans la presse et je ne ferai donc que rappeler cette position. Il est clair que la révision constitutionnelle de 2008 a changé la nature du système instauré par la Constitution de 1989 ; celle-ci a essayé de tempérer les pouvoirs présidentiels en instaurant une sorte de bicéphalisme de l’Exécutif ; tout en maintenant la prééminence du Président, elle a mis en place un chef du gouvernement ayant quelques pouvoirs propres – même s’ils sont limités – et une certaine autonomie dans leur exercice. La révision de 2008 a opéré un sérieux recul, en mettant fin à ce dualisme, en centralisant tous les pouvoirs aux mains du Président, et en faisant du chef du gouvernement une sorte de premier des ministres, c’est-à-dire sans aucun pouvoir propre et sans aucune autonomie vis-à-vis du chef de l’Etat. Cela explique en partie pourquoi le système politique est actuellement dans une situation de blocage, du fait que le Président soit dans l’incapacité d’exercer, effectivement et normalement, les importantes prérogatives que lui reconnaît la Constitution.

- Dans le cas où le chef de l’Etat déciderait de prolonger le mandat actuel de deux ans, ou de se présenter pour un quatrième mandat, quelles seraient, selon vous, les répercussions d’une telle situation sur le fonctionnement de l’Etat et de ses institutions?

Si le chef de l’Etat obtient dans son état actuel une prolongation de son mandat, que ce soit pour deux ans ou pour un mandat complet, cela aboutira tout simplement à un scenario assez invraisemblable, celui du prolongement du blocage du système politique, avec toutes les graves conséquences et implications qu’il est difficile d’évaluer tant sur le plan national qu’international.

- Quelles seront, selon vous, les conséquences d’une telle décision sur le plan institutionnel et du droit?

Les conséquences sont plus politiques que juridiques. En effet, sur le plan strictement juridique, si la révision pour prolonger des gouvernants au pouvoir se déroule démocratiquement, c’est-à-dire dans des conditions loyales et crédibles, il n’y a pas grand-chose à dire.
En revanche, sur le plan politique, il y a les conséquences indiquées dans la réponse à la question précédente : le détournement ou l’empêchement de la rotation et de l’alternance dans l’exercice du pouvoir qui font partie de tout système réellement démocratique ; on peut y ajouter aussi le rajeunissement de génération du personnel politique, surtout dans un pays où la majorité de la population est très jeune et où il peut se produire une coupure entre les gouvernants et la société.

- Est-ce que le droit, la morale politique et l’éthique ne consisteraient pas à assurer une alternance au pouvoir par des élections libres et propres ? Le contraire consacrera un véritable coup de force contre la Constitution et l’Etat de droit…

C’est une évidence que le droit, la morale politique et l’éthique commandent l’organisation d’élections libres et propres auxquelles se présenteraient tous les candidats remplissant les conditions, car le principe démocratique de base exige qu’il y ait une concurrence véritable et que le peuple se prononce souverainement et librement pour désigner ses gouvernants.

- L’article 9 de la Constitution interdit «les pratiques féodales, régionalistes et népotiques». Le président Bouteflika vient de nommer de nouveaux ministres, celui de la Justice et de l’Intérieur, ainsi que le président du Conseil constitutionnel et bien d’autres qui sont de Tlemcen. Un commentaire?

S’agissant plus précisément de la nomination des ministres, la révision de 2008 a introduit un changement très significatif : alors qu’auparavant il appartenait au chef du gouvernement de proposer les ministres pour nomination par le chef de l’Etat, désormais il appartient à celui-ci seul de les nommer et le Premier ministre est simplement consulté. Cette liberté totale du chef de l’Etat est néanmoins soumise aux interdictions que vous mentionnez ainsi qu’aux limitations découlant de l’esprit de la Constitution qui est normalement celui du pluralisme. Si ce pluralisme est bafoué, il est loisible de conclure que la lettre et l’esprit de la Constitution ne sont pas respectés.

Said Rabia

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