Algérie

A petites gorgées


Ecrit érotique, dans le sillage du fameux « Jardin parfumé » de Nefzaoui, (XVIe siècle), didactique comme tant d?autres livres sur le même sujet, ou tout simplement texte littéraire dans lequel son auteur se vante de sa maîtrise de la langue arabe ? « Rachf al-zoulal » du grand polygraphe, Djalal Eddine Suyuti (1455-1505), demeure encore inclassable dès lors qu?il n?a jamais eu la chance de connaître une large vulgarisation. A peine le titre énoncé, le doigt de l?inquisiteur pointe, réprobateur et menaçant, comme cela est le cas pour les livres qui ont donné du fil à retordre aux rigoristes et aux puritains de toute espèce. Tout d?abord parce que, clame-t-on très haut, ce livre ne pouvait pas avoir été écrit par un savant aussi pieux que Suyuti, et en second lieu, parce que c?est un écrit de débauche, ni plus ni moins ! Le même rabâchage depuis des siècles accompagné d?une note plaintive : on propose aujourd?hui, au sein d?Al Azhar, de donner 80 coups de fouet au journaliste qui commettrait un acte de diffamation ! De quoi est-il question dans ce livre ? Métaphoriquement, d?une eau limpide à prendre à petites gorgées, comme l?auteur le dit dans son titre ronflant à la manière des écrits littéraires de son époque. Ce sont donc vingt séances (maqamat), dans le style d?Al-Hamadani (968-1008) et d?Al-Hariri (1054-1122), un style rimé et bien assonancé qui ne fait plus l?enchantement dans le monde des lettres arabes. Afin d?éviter à ses jeunes élèves de fréquenter les lieux de débauche ou, encore, de fantasmer, un enseignant, tout ce qu?il y a de plus ouvert dans une société soumise à tous les interdits, leur demande de prendre épouse et de consommer leur mariage la même nuit, et il leur propose en même temps de rendre compte, par écrit, de leur expérience nuptiale. Les élèves, ayant déjà une très bonne connaissance des branches de la culture classique, sont enchantés par la proposition de leur maître. Ainsi, prosodie, philologie, grammaire, rhétorique, exégèse coranique, mathématique et astronomie sont associées avec bonheur à cet écrit de haute voltige littéraire qui, du reste, ne peut être que l??uvre d?un polygraphe aussi érudit que Suyuti n?en déplaise à tous les rigoristes, anciens comme modernes. Il y est fait étalage d?un savoir linguistique qui n?a d?égal que celui d?Al Djahiz (776-868) ou d?Ibn Hazm (994-1064). Une grande finesse dans le choix et l?usage des vocables et des expressions métaphoriques au point qu?il serait possible, à partir de ce texte, de compiler tout un lexique de l?érotisme en littérature arabe classique. Ce n?est pas là le seul livre de Suyuti à être frappé d?interdiction. Kitab Errahma qui est une compilation de tout le savoir médical pratiqué à son époque, semble, lui aussi, né pour l?infortune puisque les rigoristes le considèrent comme une ?uvre de charlatan en raison de quelques recettes médicales entachées d?ésotérisme. Et dire que ce livre a été, durant les cinq derniers siècles, la première référence pour tous ceux qui cherchaient quelque médication en Afrique du Nord, tant dans les grandes villes que dans les campagnes ! Est-ce à dire que nos puritains sont les seuls à jouir de l?infaillibilité en ce bas monde ? Suyuti, auteur de plus de 500 ouvrages, ne pouvait-il pas avoir le droit de participer de l?être humain, d?avoir de la passion, et même du plaisir ?
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