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A charge, à décharge




A charge, à décharge
Trois essais, intéressants à plus d'un titre, s'illustrent par leur défense de la littérature et explorent par la même occasion les habitudes de lecture et relecture chez les gens.Tout d'abord avec William Marx qui signe aux éditions de Minuit «La haine de la littérature». Ouvrage d'histoire littéraire qui nous rappelle que ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'appellation «Littérature» est apparue pour désigner l'ensemble des arts poétiques, qui va du roman à la poésie, en passant par le théâtre.Sinon, avant toute cette période on ne parlait que de «lettres». Pour étayer ses propos, l'auteur reprend dans le détail tous les procès faits à la littérature à travers les siècles. Le but des réquisitoires incessants est de la faire taire ou pire, de la réduire à néant. Les griefs retenus contre la littérature sont nombreux et variés, mais ils restent constants à toutes les époques. L'essayiste identifie quatre sortes de procès. Les accusateurs se présentent cachés sous les habits de la société, de l'autorité, de la morale et de la vérité.Dans son plaidoyer pour défendre la littérature, William Marx se soucie peu de la chronologie et met en avant surtout la capacité de résistance des lettres à toutes les charges. Pour mieux comprendre les enjeux de ce harcèlement, il nous parle de la genèse de la littérature qu'on doit aux Muses qui ont inspiré aux poètes des vers enchanteurs, captivant les âmes des êtres humains.Cet émerveillement irrite le philosophe Platon qui le considère comme un dévoiement des citoyens de saRépublique et décide de les exclure car, à ses yeux, ils n'ont aucune utilité et ne sont capables que d'escamoter la vérité. Platon va plus loin et oppose à la poésie la philosophie, plus utile et capable de faire progresser l'homme sur le chemin de la vertu.Le Moyen-âge et son corollaire, l'Inquisition religieuse, voient dans la littérature une hérésie qui ruine l'âme du croyant. Elle est souvent accusée d'être immorale ou carrément obscène par les images qu'elle charrie et propage sans oublier les émotions qu'elle peut susciter chez le lecteur. Les pères de l'Eglise ont, à partir de là, concocté pour leurs ouailles des listes de livres à lire, d'autres à proscrire et surtout des auteurs à bannir. Cette haine de la littérature s'est poursuivie jusqu'à l'époque moderne avec les célèbres procès faits à Baudelaire pour Les fleurs du mal et son compère Flaubert pour Madame Bovary. Cette anti-littérature endémique continue à faire florès même au XXe siècle.William Marx relève cette concurrence malsaine qu'on veut instaurer entre la culture scientifique et la culture littéraire dont l'un des chantres est l'universitaire anglais de Cambridge, Charles Percy Snow, au moment de la guerre froide. Pour cet universitaire, la science est seule capable de changer les choses, alors que la littérature n'est que futilité. William Marx conclut son essai en disant que plus les adeptes de l'anti-littérature s'acharnent sur la littérature, plus cette dernière se régénère et trouve en elle-même les ressources de son inscription dans une éternité heureuse et imperturbable.De son côté, dans la logique de la permanence de la littérature, Laure Murat propose d'explorer les arcanes de la lecture. Car c'est cette activité qu'on doit pratiquer au quotidien qui assure à la littérature sa pérennité en la mettant hors de portée de ses détracteurs. L'auteure publie d'abord Flaubert à la Motte-Piquet qui est un essai consacré à la lecture. Pendant quatre mois dans le métro, elle a réalisé une enquête empirique d'observation. Histoire de voir ce que lisent les usagers de ce moyen de transport à Paris. Il en ressort que sur cette durée, elle n'a recensé que 178 titres, donc une maigre moisson de lectures dans le métro.Le premier constat est que ce sont les femmes qui lisent le plus et que l'auteur le plus lu reste de loin Flaubert, tandis qu'elle constate que, désormais, les gens donnent la priorité à la consultation des smartphones. Son deuxième essai, intitulé Relire, une enquête sur une passion littéraire, s'intéresse aux lecteurs professionnels. Elle a ainsi sondé un panel de trois cents personnes constitué d'universitaires, d'écrivains, d'acteurs et d'éditeurs.Toute cette catégorie est unanime pour affirmer qu'une première lecture ne suffit pas car notre approche première du texte laisse en friche toutes les richesses qu'il recèle. Et c'est dans ce sens qu'on garde les livres dans nos bibliothèques, avec la perspective de les relire un jour ou quand le besoin se ferait sentir. Mais la relecture comporte des dangers, surtout lorsque l'on est passé par l'université, car selon le professeur de littérature Louis Jeannelle, relire fait perdre «la naïveté, la fraîcheur, l'enthousiasme».D'autres personnes du panel voient dans l'activité de relecture un moyen de jouir plus amplement du texte. Certains romans ou essais ont un sens inépuisable. Enfin, quel que soit le sens que l'on donne à la relecture, c'est-à-dire répétition, reprise, redécouverte, réinterprétation ou refuge, l'idéal dans cette société moderne envahie par les écrans serait de lire un peu plus.Des questions qui interpellent notre société et qui mériteraient sans doute l'intérêt de la recherche universitaire tant notre connaissance des habitudes de lecture des Algériens et Algériennes demeure nulle ou subjective. William Marx, «La haine de la littérature», Les éditions de Minuit, 2015/ Laure Murat, «Flaubert à la Motte-Piquet» et «Relire, une enquête sur une passion littéraire», les deux chez Flammarion (2015).





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