Alger - Revue de Presse

Roshd Djgouadi : «J?ai tenté de donner une tribune à ceux qui sont oubliés»


Ecrivain et cinéaste, Roshd Djgouadi vit entre Strasbourg, Paris et Alger. L?enfant de Khemis Miliana vient de terminer un film qui ne laissera personne indifférent. « Des Ailes brisées » est une oeuvre cinématographique attachante, touchante, lucide qui donne des émotions fortes. C?est l?histoire d?un enfant de la décharge publique de Oued Smar que le malheur n?arrête pas de poursuivre. C?est le jeune Adel Harrat qui interprète de manière géniale ce rôle si difficile. C?est à Paris que j?ai vu ce film dans une projection privée. C?est aussi à Paris que Roshd Djgouadi nous parle de cette fiction à voir, à tout prix. Nous pouvons l?écouter. Le Quotidien d?Oran : Racontez-nous la genèse de votre nouveau film, « Des Ailes brisées » ?Roshd Djigouadi: Ce premier long métrage m?a été inspiré par une vision cauchemardesque au début des années 90, plus précisément en 93, dans le cadre d?un reportage pour un quotidien concernant ceux qui travaillent et vivent dans la décharge de Oued Smar. Des enfants, des jeunes et moins jeunes vivent, ou plutôt survivent au coeur même d?une misère insupportable et d?une odeur épouvantable, bravant les maladies et les rats. Un an plus tard, je suis retourné avec une équipe de tournage afin de réaliser un reportage pour l?émission télévisée « Tranches de vie ».Ces deux «visites » m?ont marqué, je dirai même blessé ; j ai été blessé en tant qu?Algérien de voir d?autres Algériens survivre en gagnant leur pain quotidien au milieu de tas d?immondices. D?aucuns m?ont rétorqué que c?est un lieu qui existe comme dans d?autres pays du tiers monde. Ma réponse est : C?est un lieu ... ou plutôt des lieux qui n?ont pas à exister en Algérie. Ce qui a été le plus dur lors de la réalisation de ce reportage télévisé, c?est de voir des enfants se ruer vers un camion alors que je tentais de les interviewer ! Notre équipe était une sorte de récréation. Ils revinrent à leur dure réalité une fois que la benne eut vomi ses ordures. Je crois qu?à ce moment là, j?ai senti que ces images allaient me suivre à vie. Ce qui est le cas... Il fallait alors trouver le moyen d?exprimer cette état de fait autrement, puisque ni un reportage pour la presse écrite ni des images diffusées à la télévision ne semblaient ébranler les bonnes consciences ( la mienne également avant de voir cette réalité crue en face !) qui empruntent l?autoroute ou les pistes de l?aéroport, à quelques centaines de mètres de cet enfer quotidien. Le déclic a eu lieu avec le chanteur MohKG2 qui a accepté de co-écrire ce scénario; achevé en 1997. Q.O.: Traiter du thème de l?enfance n?est pas chose aisée. Pourtant vous arrivez adroitement à filmer une histoire attachante et émouvante. Quel est le secret de cette réussite ?R.D.: Merci pour le terme réussite. Je ne sais pas s?il y a un secret, peut être une détermination à essayer d?être le vecteur d?une histoire positive bien que le lieu qui a vu naître cette histoire suscite la désespérance. J?ai tenté de donner une tribune à ceux qui sont oubliés dans des lieux comme la décharge de Oued Smar ou sur les trottoirs de la capitale. Le but était de raconter une histoire dont le héros, un enfant de cette décharge, essaie de s?en sortir même si le destin semble l?avoir définitivement rangé dans le camp des perdants. Mehdi cet enfant de 12 ans qui tente d?aider son père adoptif à sortir de la fange, c?est également à mon sens, une manière de croire en l?avenir. C?est prendre en charge, jeunes et moins jeunes, même si l?avenir paraît aussi brumeux que les perpétuelles brumes qui entourent Oued Smar.Mais cette production n?a été possible -évidemment- qu?avec la volonté d?une équipe et d?un producteur, Mouzahem Yahia qui a cru à ce scénario; mais également aux différentes commissions (FDATIC et Alger 2007, capitale de la culture arabe) qui ont dépassé le tabou concernant cette plaie béante dans le flanc de la capitale. Au sein du Ministère de la Culture et au niveau du CNCA nous avons été encouragés à aller au bout de cette production cinématographique. Il fallait également trouver la clé de voûte de l?édifice: l?acteur qui allait incarner l?enfant Mehdi ; et Adel Harrat a été à la hauteur de nos espérances. Pour résumer je dirai que patience et passion sont peut être les « secrets » qui ont permis à cette oeuvre d?aboutir. Reste la diffusion de ce film. J?espère que nous trouverons le soutien nécessaire pour qu?il rencontre le plus large public. Q. O.: Est-ce qu?il est facile d?être en même tant écrivain et cinéaste?R. D.: Ce sont des vocations éminemment différentes, bien sur, bien que l?essence soit la même : partager des émotions, véhiculer des rêves, des espoirs, des doutes. Mais la difficulté d?accéder au 7ème art en Algérie est telle que les embûches - sommes toutes normales - rencontrées lors de ma quête décennale pour réaliser le scénario « Des ailes brisées » m?a obligé à puiser en mon tréfonds d?autres ressources pour extérioriser le trop plein de douleur accumulé durant la « décennie rouge ». En 2001 je me suis donc lancé dans l?écriture romanesque et les éditions Chihab ont accepté d?éditer « Il aura pitié de nous », en 2004. Cette stagnation cinématographique a été un déclic pour une vocation littéraire que je compare à une implosion dont font les frais les pages blanches, alors que sur un plateau de cinéma, j?ai plutôt tendance à exploser. Le métier de cinéaste est, de plus, très physique et disons le obsessionnel; et donc pendant la période de tournage et de montage, l?image éclipse hélas momentanément l?écriture. Une fois le montage du film terminé, j?ai pu retourner aux corrections de mon second roman, « Nuit blanche », paru depuis chez APIC. Q.O.: Quels sont vos projets artistiques?R.D.: Les projets sont divers: continuer à écrire bien que la société algérienne n?ait plus vraiment le goût de lire, la lecture étant reléguée au rang de luxe durant cette période difficile ou le livre est hors de prix. J?essaie également d?être partie prenante du renouveau cinématographique en cours, un défi qui doit être mené par les professionnelles de concert avec le Ministère de la Culture pour qu?une politique cinématographique ambitieuse se dessine, afin que les projets de nombre de cinéastes voient le jour, ce qui permettra l?émergence d?une nouvelle génération de réalisateurs. Le Directeur du CNCA l?a souligné en insistant sur « le besoin d?une relève ». Pour ma part, je travaille actuellement sur un scénario adapté de mon premier roman. Peut être est-ce là une manière de faire fusionner mes deux passions. J?ai également en projet l?adaptation de « A quoi rêvent les loups », l?oeuvre très forte de Yasmina Khadra, pour lequel j?ai un grand respect. Le directeur du CCA m?a encouragé dans ce projet en me mettant personnellement en contact avec sa maison d?édition. J?espère également réaliser un jour un film sur Eva de Vitray-Meyerovitch, française convertie à l?Islam, qui s?est abreuvée aux sources du mysticisme de Roumi, qui a vécu le soufisme et a aidé à le faire connaître.
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