Alger - Enceintes (Sours), Portes (Bibanes ), Tours (Bordjs)

Les quatre portes d'Alger


Les quatre portes d'Alger

Quatre portes racontent l’histoire entière du vieil Alger. Certains puristes pourraient s’offusquer de cette simplification historique, mais le texte qui suit offre une perspective fascinante méritant réflexion.

Les portes et leurs récits

L’histoire d’Alger se concentre autour de ses quatre portes, chacune située à un point cardinal des remparts de la ville. Ces portes portent inégalement le poids du passé d’Alger, car les chapitres de son histoire ne se répartissent pas uniformément sur leurs seuils. La fortune, les revers, la prospérité, les triomphes et les désastres n’ont pas frappé de manière égale au Nord, au Sud, à l’Est ou à l’Ouest.

Chaque porte pourrait être nommée porte de la victoire ou de la défaite, de la vie ou de la mort, car chacune semble liée de manière singulière à l’une ou l’autre. Cette circonstance exceptionnelle mérite d’être soulignée. La porte de l’Est, face au soleil levant, appelée la « Porte de la Mer », n’a jamais subi l’affront d’un assaut. Ses chemins résonnaient des plaintes des captifs et des voix des porteurs déchargeant le butin arraché aux navires européens. C’est la porte de la prospérité et de la vie.

À l’opposé, la « Porte Neuve », à l’Ouest, ainsi nommée car elle fut la dernière ouverte dans les remparts, n’a jamais connu ni siège, ni assaut, ni angoisse, ni panique, ni délivrance par la victoire. Pourtant, son destin fut de sceller celui d’Alger : après l’explosion du Fort l’Empereur et la reddition d’Hussein, c’est par cette porte que les soldats du roi Charles X entrèrent dans la ville blanche le 5 juillet 1830. C’est la porte du désastre.

Entre ces deux extrêmes, entre la porte de la vie et celle du désastre, se trouvent la porte de la mort et celle du triomphe : Bab-el-Oued et Bab-Azoun, les deux portes les plus célèbres d’Alger.

La Porte d’Azoun : le triomphe légendaire

La Porte d’Azoun est entrée dans la légende le 25 octobre 1541, lors de l’assaut mené par Charles Quint. Ce jour-là, sous une pluie battante, l’eau éteignit les mèches, gâta la poudre et rendit les arquebuses inutiles pour l’armée espagnole chargeant les Maures aux abords de la porte. Les chevaliers de Malte, menés par Ponce de Balaguer, porteur de l’enseigne de l’ordre, se distinguèrent par leur bravoure. Leur audace faillit renverser la ville, mais, en infériorité numérique, ils renoncèrent. Hassan, retranché avec ses hommes, ferma la porte, abandonnant nombre d’Algériens à la merci des assaillants. C’est alors que le chevalier de Savignac, tenant l’enseigne d’une main, enfonça son poignard dans la porte de l’autre, un acte héroïque qui stupéfia les assiégés. « Nous reviendrons ! » cria-t-il, prophétisant une conquête future. Près de trois siècles plus tard, en 1830, les soldats de M. de Bourmont, vêtus de rouge comme les chevaliers de Malte, entrèrent dans Alger, réalisant cette prédiction.

Ce soir-là, une tempête d’équinoxe ravagea la flotte de Charles Quint, et ni l’héroïsme des chevaliers, ni la présence de figures comme Ferdinand Cortez ou Doria, l’amiral renommé, ne purent empêcher la déroute. La Porte d’Azoun, glorifiée par la qualité de ses vaincus, devint la porte du triomphe.

Bab-el-Oued : de la mort à la vie

La porte du Nord, Bab-el-Oued, pourrait être appelée la porte de la mort, car elle s’ouvrait autrefois sur les cimetières. Pourtant, en terre d’Islam, ces nécropoles ne sont pas des lieux de tristesse comme en Europe. Les vivants y côtoient les morts dans une familiarité quotidienne, les jeunes femmes y emmènent des enfants en habits de fête, et des musiciens s’adossent aux tombes pour jouer. Par un paradoxe curieux, c’est sur ces cimetières effacés qu’est né le quartier le plus vivant de l’Alger moderne.

Le destin de Bab-el-Oued était inscrit dans le plan de la ville. Sur une arête rocheuse, Alger s’étage selon une hiérarchie sociale : en haut, le Dey dans son palais ; au centre, bourgeois et commerçants ; en bas, marins et esclaves. Au-delà de la Porte d’Azoun s’ouvre l’amphithéâtre aristocratique de Mustapha, avec ses villas luxueuses. Au Nord, au-delà de Bab-el-Oued, s’étendent les basses terres, dépotoirs et terrains vagues où coule l’oued qui donne son nom à la porte et au faubourg.

En 1830, l’arrivée des Français bouleversa cet équilibre. Les soldats s’installèrent dans les bagnes libérés, les généraux dans les villas de Mustapha, tandis que cabaretiers et truands rejoignirent les coupe-jarrets au-delà de Bab-el-Oued. Ainsi naquit le faubourg, bientôt peuplé d’émigrants méditerranéens. La porte de la mort devint celle de la vie, au grand désespoir d’un noble Maure qui déplorait : « Il ne nous restera bientôt plus de place, ni pour vivre, ni pour mourir ! »

Alger, île insoumise

On a souvent comparé l’Afrique du Nord à une île, isolée entre les vagues fossilisées du Sahara et les houles vivantes de la Méditerranée. Pourtant, cette « île » n’a jamais été conquise par des marins. Les flottes européennes – espagnoles, anglaises, françaises, hollandaises, génoises, américaines – se sont brisées contre les remparts d’Alger, incapables de pénétrer par le port. Seuls les cavaliers d’Okba et les fantassins de M. de Bourmont ont forcé ses portes.

Les quatre portes, symbole d’Alger

Fès est la ville aux cent mosquées, El-Oued celle aux mille coupoles, comme Constantinople. Alger, elle, est la cité aux quatre portes. Bien que les remparts comptaient peut-être six portes selon les anciens, c’est le symbole qui prime. Les quatre portes – Porte de la Mer (prospérité et vie), Porte Neuve (désastre), Bab-Azoun (triomphe), et Bab-el-Oued (mort devenue vie) – incarnent l’histoire d’Alger, où chaque seuil porte un destin unique.

Texte extrait par Théo Bruand d’Uzelle dans « Alger-Revue n° de l’été 1956 », sous la signature de Jean Sayme.

Question contemporaine : Face à l’urbanisation galopante d’Alger depuis 1956, a-t-on retrouvé une place pour mourir ?


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