Ain Témouchent - Beni Saf

BENI SAF: Un quartier misérable abandonné


BENI SAF: Un quartier misérable abandonné
«Le temps et l'usage rendent l'homme sage » Proverbe
Jadis, le minerai de fer de Béni Saf était une richesse qui a pu, par la force des bras, la résolution et la volonté de ses enfants, engendrer tout un bled baptisé Béni Saf. L'installation de la société, l'entreprise ou la compagnie des minerais de fer «Mokta El-Hadid», qui a eu seule le privilège en 1875 d'avoir la concession lui permettant de réaliser des travaux tant économiques pour l'extraction, l'acheminement et l'exportation de cette ressource, tout en édifiant pour longtemps et pour toujours le port de Béni Saf, une infrastructure hautement créatrice de valeur ajoutée et de croissance, d'art et de culture ancienne, nouvelle et également tout ce qui se rapportait au bien-être matériel et spirituel humain. Cette richesse verra naître la ville de Béni Saf dans toute sa splendeur que la loi n°06-06 du 20 février 2006 portant orientation de la ville a bien repris les principes généraux de la politique de la ville, de son cadre et de ses objectifs tant urbanistiques, sociaux, économiques, culturels et sportifs, ou cet espace de vitalité fortement marqué par une recherche sans précédent du bien-être social et des valeurs ajoutées de tout type de vie.
Les premières bâtisses ont été surnommées les «corons», elles furent érigées pour abriter en premier les mineurs. Des abris de proximité étaient nécessaires et utiles pour mieux et bien exploiter le trésor ferreux, pour un meilleur rendement.
C'était les corons situés sur la partie basse de «Sidi Boucif» un saint maraboutique. L'arrivée des colons suivie de l'exploitation à outrance du minerai de fer nécessitait dans le même temps des travaux de titans pour une éventuelle urbanisation intégrée de la ville. Des terrassements étaient effectués pour constituer des banquettes utiles et propices pour la construction sinon la naissance de la ville. Dans ses premiers débuts, Béni Saf était composé de quelques petites bourgades des «Ouled Bouhmidi» actuellement nommée «Sagla» ou bien «Boukourdan», ainsi que le village de «Ghar El-Baroud» connu de sa superbe mosquée en mosaïque qui garde à ce jour sa sardanapalesque.
La première et grande rue de la république représentait le centre-ville de Béni Saf où cinémas, cafés, bars, restaurants, coiffeurs, photographes, librairies et diverses commerces cohabitaient et prodiguaient une ambiance bon enfant où le culturel, le social, l'économique et le sportif se coalisaient pour faire jaillir la joie, le bonheur et la belle vie de Béni Saf, ou, pour le passe-temps, on se donnait des rendez-vous dans cette rue pour ne plus s'en retourner d'où l'on venait, pour ne plus en quitter le lieu.
On y laissait ce qui était beau en nous et l'on dégustait la joie que nous procurait cette superbe rue culturelle de Béni Saf. On y perdait notre âme et notre esprit, tellement ce lieu ressemblait à des songes qui nous soulageaient, d'où un bonheur nous usurpait. Cette rue était, jusqu'à aujourd'hui, bordée sur ses deux côtés par de jolies et superbes maisons dont chacune présentait sa propre forme, sa propre splendeur, son propre style qui faisait la beauté de la rue, avec ses ficus (arbres) qui étaient taillés en blocs carrés et qui étaient habillés d'une robe blanche. C'est aussi la rue où se jettent toutes les ruelles de la ville en pente par des escaliers qui font les vaisseaux de la ville.
«Bien dire fait rire, bien faire fait taire» Proverbe
En face de ce joli panorama amphithéâtral, un autre mont semblable à celui de la ville incarne, lui aussi, un faubourg appelé «Boukourdan» où vivaient des marins dans sa globalité géographique. Il était nommé aussi «Sagla», nom donné par les authigènes à ce site qui ne ressemble guère aux corons d'en face. C'est un quartier pauvre et misérable d'hier et d'aujourd'hui où l'indigence dominait d'une façon criarde. Ce quartier s'était développé en dehors de tout essor économique de la ville, de toute urbanisation et échappant volontairement à toute réglementation de l'époque et celle d'aujourd'hui. Le centre minier avait fait émerger des corons sur une partie de la montagne du saint «Sidi Boucif» où vivaient en majorité des mineurs. Le port de pêche faisait vivre l'ensemble des pêcheurs et leurs familles issues de ce faubourg «Sagla» ou «Boukourdan» en attendant le troisième nom qui apparaîtra avec l'actuelle génération. Dans ce même quartier, gitait un marabout appelé «Sidi Brek». Deux populations distinctes, mais bien différentes, travaillant l'une dans la ressource minière très valorisante, et l'autre avec une autre ressource aquatique, sardine oblige. Chacune de ces deux populations a son coin ou quartier, sa propre culture, ses propres comportements sociaux. Les premiers vivaient culturellement à partir de la fin des après-midi jusqu'au tard le soir, après leur labeur de mineur et autres services. Ceux d'en face (Sagla ou Boukourdan), le soir était leur moment propice pour simplement exister et prendre la galère de la haute mer.
Ces deux quartiers, situés l'un en face de l'autre, séparés par le grand chargeur de la mine de fer circonscrit bien la vision culturelle hétérogène de la ville de Béni Saf.
«Avec de l'argent, on fait parler les morts; sans argent, on ne peut pas faire taire les muets » Proverbe
Le quartier «Boukourdan» ou bien «Sagla» était et est toujours un quartier misérable, démuni de règles urbanistiques, un quartier désorganisé compromettant les chances et les efforts de développement de ce lieu. La fontaine publique de naguère, les a contraints d'avoir un comportement «saglaoui», propre à ce quartier. Les maisons précaires ressemblent à une enceinte rectangle en mur de pierres couverte de tôle en fer et parfois de tuiles pour abriter toute une pauvre et misérable famille. Point de ruelles sinon de petits passages sans impasses en cul-de-sac, parfois ces allées nous entraînent à l'intérieur même de maisons habitables. Ce sont des endroits malfamés et des lieux obscurs que les rayons de lumière n'osent point pénétrer, préférant plus l'obscurité. Ces espaces sont jusqu'à aujourd'hui le miroir de la misère, de l'inculture, de toutes les passions des despotes menés par leurs convoitises devant les échéances électorales car ce quartier représente le réservoir des voix du salut local (APC), régional (APW) et national (APN) pour plus de surprises les actes de bienfaisances s'absentent devant les promesses creuses et lâches.
Ce quartier ne possède pas à ce jour d'équipements d'éclairage. Le réseau d'assainissement fait peur à la santé publique, les odeurs pestilentielles, les saletés dégoutantes, les vestiges des habitations font peur. Ce calice, non ! Cette mortification, non ! Cette douleur, non ! Ce supplice, non ! C'est une misère, oui ! Quartier misérable, oui !
C'est tout, ils n'avaient point besoin, ces pauvres misérables marins puisqu'ils ne vivaient pas la nuit dans ce quartier. Ce quartier n'était pas fait pour eux car la journée pour ces pêcheurs c'était déjà la nuit, ils dormaient pour ne pas voir cette misère destructible, vivre est un bonheur pour eux, exister c'est tout ce qu'il leur reste de leur misérable vie.
Au bas du quartier «Boukourdan ou bien Sagla», c'est la rue de la poudrière. Cette rue avait marqué l'histoire de la révolution armée à Béni Saf. La poudrière n'était pas un nom, mais une action armée réfléchie et très bien préparée. Une action qui a fait un événement révolutionnaire très important. Cet événement historique était perpétrée en 1956 en plein mois d'avril et de ramadhan. Cette action avait permis d'embusquer une quantité importante de baroud, dynamite et munitions pour ceux qui faisaient la gloire de la grande révolution armée. L'arsenal de guerre de l'armée française était dissimulé et stocké dans un tunnel blindé situé en dessous du chargeur du minerai de fer. Il était surveillé par deux gardiens que les moudjahidine avaient pris contact avec eux. Après le forfait, ils étaient ligotés pour leur épargner tout soupçon. Belhanni, un forgeron, était désigné avec deux autres compagnons, Kabdani Mohamed et Mohamedi Moussa, pour éventrer et forcer la porte blindée du tunnel contenant le stock de l'arsenal de guerre. C'était pendant une nuit d'avril, Belhanni fit son travail avec du matériel appartenant à Ferdinand (colon), forgeron de métier, pour fausser la piste en cas de recherche.
Dans l'équipe qui avait préparé le coup, il y avait le chahid Benslimane Mohamed dit Si Khider appelé également «Kebdani»; il était entré courageusement dans un accrochage avec l'armée coloniale qui effectuait un ratissage le 12 février 1958 à Sidi Mehdi, un lieu mémorable situé aux abords de la Tafna, à une dizaine de kilomètres de Béni Saf. Kebdani était mineur de son état, chef de la région de Béni Saf au sein de l'ALN en 1956.
Il avait organisé plusieurs opérations dont celle de la «Poudrière» où il était un des principaux instigateurs. Lors de cette opération «Poudrière», il s'est embusqué avec ses compagnons d'armes au quartier «Boukourdan» où il livra une mémorable bataille à l'ennemi et réussit avec art à charger trois voitures en munitions. Les chauffeurs des voitures étaient Nairi, Benykhlef Hamida et Benykhlef kaddour. Le lendemain matin de l'opération la «Poudrière», la légion étrangère de Sidi Bel-Abbès ainsi que les tirailleurs sénégalais ont bouclé le quartier où chaque maison du quartier fut visitée sauvagement et brutalisée.
Hadj Abderrahman Brahim, membre actuel de l'APC, nous rapporte un témoignage vécu: il avait 10 ans à l'époque de la «Poudrière». Lors de la visite acharnée des soldats français le jour après cette opération, sa propre maison fut malmenée bestialement; la seule image qu'il avait gardée, c'était bien ce grand sac contenant de la semoule que les soldats ont arrosé volontairement avec de la javel (likhya), du pétrole (le pétrole était la matière pour faire fonctionner le réchaud) et l'eau.
Ce quartier misérable mais frondeur et rebelle avait fait les plus belles histoires de la Révolution de la ville de Béni Saf. Il faut dire que même les enfants de ce quartier qui fréquentaient jadis l'école primaire «Ibn Badis» (ex-Paul Langevin) avaient eu cette maturité pour faire une grève contestataire en 1958. La grève avait duré plus d'un mois. Même les colons ont été ébahis devant le courage, la résistance, la discipline et la patience des mômes. Chaque habitant de ce quartier misérable possède une bibliothèque dans son âme, remplie d'événements historiques qui ont fait la gloire, l'auréole, la consécration, la fierté, l'honneur, l'illustration, l'orgueil, le respect, le triomphe et la vertu de la ville et du pays.
Cette rue de la «Poudrière» avait abrité aussi des conserveries de poisson et des salaisons d'anchois qui se situaient en face du chargeur de la mine de fer. L'histoire de cet événement ne fait plus partie de la nouvelle morale avilissante et mortifiante, tellement l'endroit est répulsif, ordurier ,et ignominieux. Jadis, ce quartier non urbanisable, n'était pas sale, ni dégueulasse, il était tout simplement délaissé par la commune de Béni Saf.
Du haut de sa belle et sale falaise, un panorama poétique extraordinaire de coucher du soleil, du port, de la plage du Puits, de l'île de Rachgoun, l'île du Pain de sucre, des îles Abbibas et de la haute mer. Béni Saf s'était développé au niveau de son centre-ville avec son jardin public, sa maison des jeunes, sa salle des fêtes, ses cinémas, son hôpital… Et de l'autre côté, parlant de «Boukourdan», elle s'était précarisée au fur et à mesure que le centre de la ville s'en épanouissait.
«Il est trop tard pour s'incliner quand la tête est tombée» Proverbe
Apres l'indépendance, Sagla ne voulait rien dire, encore moins «Boukourdan», on préférait la rebaptiser en «Haï Enahda», signifiant un quartier en plein essor. C'était un rêve pour les «Saglaouis», les «Boukourdanais» sinon les «Nahdaouis»… Mais ne mélangeons guère rêve et réalité, la précarisation prenait encore plus d'ampleur. Le taux démographique des habitants de ce quartier était très important, et ne pouvait faire face devant la crise de logements. Cette situation engendra encore plus la désurbanisation avec une occupation irrationnelle et anarchique de tout espace, suivie de la saleté et tout paramètre dégradant. Le système d'enlèvement des ordures posait bien problème devant cet état de fait, pour attirer l'attention des responsables de la commune, afin de leur signifier que le quartier a besoin d'un peu plus d'attention pour faire ce qui lui a été avancé comme promesses.
Malheureusement les paroles et les actions sont deux notions qui ne se conjuguent pas au même temps et au même mode dans cette commune. «Haï Enahda» est devenu un quartier mort, vivre et exister n'ont plus de sens. C'est pour cela que les habitants de ce quartier protestent par un cri de rage tout en parachutant les sachets bleus pleins d'ordures par la falaise de «Sidi Brek» pour traduire leur horreur des laissés-pour-compte et être les dindons de la farce, en terme d'emploi, d'habitat, de culture et de cadre de vie.
Le paysage de la falaise de «Sidi Brek» est navrant, affligeant, consternant et attristant; la couleur bleue à Béni Saf représente le sachet bleu qui signifie saleté à gogo !!! «Sidi brek», un saint marabout, se situe devant une montagne d'ordures, c'est peut-être de sa malédiction que «Sagla» restera «Sagla», «Boukourdan» «Haï Enahda», pour rire ou pleurer, c'est plutôt pour se moquer de ce bon peuple qu'on n'a pas su faire de lui de bons citoyens pour que «Haï Enahda» devienne une nouvelle ville digne de son nom.
Jadis, on baptisait les avenues, les boulevards, les rues et ruelles par les noms des grandes personnalités françaises ou de renom universelles. Les avenues, rues et ruelles reflétaient bien la consistance (propreté-respect-urbanistique-badigeonnage-contexte sain et vert…) de sa qualification, aujourd'hui les noms de nos martyrs sont trahis par la saleté et le délabrement sur toutes nos avenues, boulevards, rues, ruelles et quartiers.


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