Algérie - Actualité littéraire

Yasmina Khadra: haro sur les «charlatans de la discorde»



Yasmina Khadra: haro sur les «charlatans de la discorde»
Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessenhoul, a été choisi pour présider le Salon international du livre de Québec, qui se tient du 10 au 14 avril. L’auteur algérien de 63 ans, dont les œuvres ont été traduites dans une cinquantaine de pays (Les hirondelles de Kaboul, Ce que le jour doit à la nuit, L’attentat, Khalil...) s’est toujours posé en vif adversaire du fanatisme religieux. Le Soleil s’est entretenu avec lui de son travail, de la situation politique dans son pays, mais aussi de l’intolérance grandissante de l’Occident à l’égard de l’islam.
Q Votre dernier roman, Khalil, met en scène un terroriste belge fictif, responsable des attentats de Paris en novembre 2015. Comment avez-vous vécu ces événements dramatiques? Comment vous est venue l’idée d’en faire un livre?

R Je vis les attentats de la même façon, avec colère et dégoût, car tous nous renvoient à la bêtise humaine et à la barbarie. Khalil est un roman nécessaire pour lutter contre les discours insidieux et séditieux qui ont tendance à squatter les esprits. Pour moi, tous les intégrismes, qu’ils soient d’ordre idéologiques, religieux, syndicalistes ou racistes, se valent. Un islamophobe ou un antisémite ou un fasciste sont des frères siamois. Le monde doit s’éveiller au discernement, car tout amalgame est un appel forcené à la violence et à la stupidité meurtrière.

Q Les médias ont annoncé récemment l’annihilation de Daech et de son califat autoproclamé en Syrie et en Irak. Que nous réserve la suite des choses? Êtes-vous optimistes? Que faire des djihadistes étrangers partis combattre là-bas et qui veulent maintenant rentrer dans leur pays?


R L’Histoire nous a prouvé que toutes les barbaries sont faites pour être vaincues. Celles de Daech ne dérogent pas à la règle. Je ne suis pas optimiste, pas défaitiste non plus. Je reste vigilant. Quant aux djihadistes, ils n’ont aucune patrie désormais en dehors des prisons.

Q Que faire contre la radicalisation islamiste?


R La lutte contre la radicalisation réside dans l’aptitude des nations à se construire sur le socle de la citoyenneté, et non sur celui de l’identité ou de la couleur de la peau.

Q Le nouveau gouvernement québécois vient de déposer un projet de loi sur l’interdiction du port de signes religieux pour les personnes en position d’autorité. Par la bande, le voile est particulièrement visé et fait l’objet de vifs débats. Que pensez-vous de cette décision?


R Le voile est devenu une contagion à la suite de sa diabolisation. Dans certains pays, il est tellement devenu banal qu’on ne le voit presque pas. Je crois que la liberté est en danger à chaque fois que la stigmatisation dame le pion à la présence d’esprit. Il ne faut criminaliser que les faits avérés, et non les apparences.

Q Que répondez-vous à ceux qui sont convaincus que le monde musulman dissimule un plan afin d’envahir l’Occident et lui imposer ses lois?

R A-t-on vu des chars musulmans sur les frontières? Il suffit de sauter dans un avion et de se rendre au Maroc, en Algérie, en Malaisie ou à Dubaï pour s’apercevoir que les musulmans, comme tous les peuples du monde, sont des gens hospitaliers et attachants. Il ne faut pas ramener toute une communauté aux agissements d’une secte que personne, croyant comme athée, ne supporte.

Q Depuis l’attentat à la mosquée de Québec, la crainte des musulmans s’est amplifiée ici. L’intolérance augmente, dans certains médias, sur les médias sociaux, dans la société civile. Dans ce contexte, quel message livrez-vous aux Québécois?


R Avant, on divisait pour régner? Aujourd’hui, on terrorise pour assujettir les masses. Les criminels ne sont pas forcément ceux qui se font exploser au milieu de la foule, mais ceux qui rendent la barbarie possible. Tout individu qui s’inscrit dans le rejet systématique d’une communauté est un vecteur nocif. J’ai écrit Khalil pour dénoncer ces charlatans de la discorde qui essaiment sur les plateaux télé pour semer la haine dans les cœurs et dresser la nation contre elle-même.

Q Vous avez déjà déclaré que vous étiez «profondément féministe». Votre nom de plume vous a d’ailleurs été inspiré des deux prénoms de votre épouse. Observez-vous des avancées dans la condition des femmes dans le monde arabo-musulman, dans la foulée du mouvement #MoiAussi?

R Je n’observe aucune amélioration dans la condition de la femme, ni en Orient ni en Occident. La femme mérite plus de visibilité et plus de gratitude partout dans le monde. C’est parce que nous ne savons pas la mériter que nous passons à côté de notre histoire.

Q Impossible de passer sous silence la situation politique en Algérie. Est-ce que vous aviez vu venir le soulèvement populaire visant à destituer le président Bouteflika? Vous avez été candidat aux élections de 2013. Comptez-vous vous présenter à nouveau un jour?

R Non, je n’ai pas venu venir le formidable soulèvement du peuple algérien. Par moments, j’avais commencé à désespérer. Mais j’ai toujours gardé, au fond de moi, la foi de voir notre nation s’éveiller à ses responsabilités. J’avoue que je suis agréablement surpris par la maturité et le sang-froid dont font preuve les Algériens aujourd’hui. En 2013, j’avais parcouru 10 000 km par route, lors de ma précampagne présidentielle, et j’avais constaté un mal profond. Le peuple algérien paraissait se complaire dans son statut de convalescent après la décennie noire. Puis, d’un coup, le voilà qui assume et qui assure. C’est fantastique. De mon côté, je ne compte nullement m’asseoir sur le siège présidentiel. Je suis sur mon nuage de romancier et je suis très bien ainsi.

Q Est-ce que vous habitez Paris en permanence? Retournez-vous souvent en Algérie?

R Je retourne souvent en Algérie. J’ai construit ma maison à Oran et je compte rentrer définitivement chez moi dans deux ou trois ans. Je suis resté à Paris pour ne pas perturber les études de mes enfants qui ont connu l’école algérienne, puis l’école mexicaine. Il leur fallait se stabiliser.

Q Vous avez été choisi président d’honneur du Salon international du livre de Québec. Quels sont vos souvenirs reliés à la capitale?

R Être le président d’un salon littéraire est une marque de confiance et d’estime. J’ai présidé d’autres festivals, notamment en France, et cela m’engage à plus de responsabilités. Il ne s’agit pas seulement d’un privilège, mais surtout d’une mission importante pour soutenir le livre, le lecteur et l’écrivain dans un monde en perte de repères. Le livre permet de préserver notre libre arbitre de la pensée globale qui n’en finit pas de nous rendre étrangers à nous-mêmes. J’ai déjà participé au Salon du livre de Québec, il y a une dizaine d’années. J’en garde un excellent souvenir. Bien sûr, je n’ai pas eu le temps de mieux connaître la ville, mais j’ai réussi à m’y faire des amis.

Q Quel genre de lecteur êtes-vous? Quels sont vos auteurs préférés, vos récents coups de cœur?

R Avant mon opération de la cataracte en 2017, je ne pouvais pas m’endormir sans un livre ouvert sur la figure. Je lisais toutes sortes de romans, persuadé qu’il n’existe pas de genres et que tout repose sur le talent de l’écrivain. J’aime autant la littérature russe qu’américaine et j’ai toujours cherché dans un livre de quoi m’instruire davantage. Mes auteurs préférés sont légion. Si je dois n’en citer que quatre, je dirais Jack London, Gogol, Saint-Exupéry et Taha Hossein.

Q Des projets? Un nouveau roman en chantier?

R J’ai un roman qui sort le 2 mai. Il s’intitule L’outrage fait à Sarah Ikker. C’est mon premier roman marocain. Je compte créer un personnage récurrent pour la Tunisie aussi afin de faire voler en éclats les frontières qui fracturent le Maghreb. Je suis un fervent militant d’un Maghreb uni.

Yasmina Khadra participera à une rencontre d’auteurs au Salon du livre le mercredi 10 avril (16h), le vendredi 12 avril (17h30) et le dimanche 14 avril (10h). Il sera également de deux tables rondes, le samedi 13 avril (12h30 et 15h).
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