Algérie - A la une


C'est l'été ! Déjï Oui, il est là, même si ses couleurs, si vives d'habitude, sont ternies par le virus et le confinement... Et, pour ne rien changer à nos habitudes, voici venu le temps des republications de certaines vieilles chroniques qui paraissent ici, chaque jeudi, depuis le 27 février 2003. Dix-sept années déjà !
Dans le silence de la nuit, des pleurs. Des sanglots entrecoupés par des mots étranges. Je quittai ma chambre à la recherche de l'origine de ces gémissements qui m'intriguaient. Je passai devant la chambre de Meriem. Rien. Et puis, de toutes les façons, c'était la voix d'un homme. Les ronflements du pied-noir résonnaient dans tout le couloir. Restait le robot ! Se pouvait-il que Yimchi Wahdou fût à l'origine de ces lamentations, lui, un être d'acier et d'électronique dépourvu de tout sentiment humain ' Pourtant, il fallait bien se rendre à l'évidence. Les bruits provenaient de la chambre de notre ami le robot.
Quand il m'ouvrit la porte, il avait l'air pitoyable. Je ne lui connaissais pas cette aptitude à modifier son look aussi facilement. Durant tout le temps où il nous a accompagnés, il avait le même visage fermé. Il était quasiment impossible d'y lire la moindre réaction. Les ingénieurs chinois qui le créèrent avaient pris toutes les précautions du monde pour éviter qu'une quelconque réaction de type humain puisse le détourner des tâches pour lesquelles il avait été créé. Pourtant, cette mine abattue, cet air triste, cette moue d'écoeurement disaient bien que le gars avait changé. Enfin, le gars...
Il tenait à peine debout. Je l'aidai à regagner le lit où il était couché. Il balbutiait des mots que je ne comprenais pas. Je m'installai sur le fauteuil qui faisait face au lit. Un nouveau sanglot le secoua. Des larmes coulaient sur ses joues. Incroyable ! Des larmes ' Mais comment avait-il pu produire des larmes ' Et l'adrénaline ' Où s'était-il procuré cette hormone ' Cette dernière est générée en principe par un état de stress. Comment, diantre, un robot peut-il être stressé ' Il n'avait ni rythme cardiaque, ni coeur, ni pression artérielle, ni bronches, ni pupilles ; alors d'où venait cette épinéphrine '
J'essayais de lui poser des questions pour savoir ce qui lui arrivait. Peut-être que tout cela était dû à l'état de la batterie.
« Non, répondit Yimchi Wahdou. J'ai acheté une carte d'Al Jazeera et mon masochisme a joué le rôle de chargeur. Ma batterie a été remplie.
- Ah bon ! Je croyais que c'était une blague... Alors qu'as-tu au juste '
- Je suis stressé. Depuis ma sortie du laboratoire de Sidi Abdallah, tout marchait bien. Jusqu'à cet après-midi. Des indications, contenues dans les disques durs qui me servent d'estomac, montrent pourtant que tous les robots de la même génération n'ont jamais connu ce genre de problèmes ! J'ai là, la liste de 148.000 androïdes dont 120.000 ont été construits en Chine et le reste ici. Jamais un problème pareil n'a été signalé.
- Quel problème '
- L'amour !
- Quoi ' Que racontes-tu lï
- Je suis déprimé parce que la flamme qui brûle mes entrailles a pour nom Meriem. Je l'aime comme je n'ai jamais aimé auparavant. D'ailleurs, pour être franc, je n'ai jamais aimé et aucun autre robot dans le monde n'a éprouvé ce sentiment !
- Tu dis n'importe quoi, Yimchi Wahdou ! Seul un être humain, fait de chair et de sang, peut aimer...
- C'est justement ça le problème ! J'aime comme n'importe quel être humain. J'étais bien, fort, la tête sur les épaules et je trouvais ces petits penchants sentimentaux bien minables ! J'étais un être de raison. Me voilà prisonnier d'une passion que je trouvais ridicule hier matin !
- Ecoute, Yimchi Wahdou ! Pas Meriem ! C'est mon amour à moi et je suis bien content que tu ais éliminé l'émir barbu qui la voulait pour lui. Il reste ce pied-noir, également amoureux fou de Meriem. Mais lui, je ne veux pas l'éliminer physiquement. C'est mon pote ! Je veux pousser Meriem à me choisir... Et si tu te mets de la partie, ça va compliquer les choses ! Meriem, c'est l'Algérie...
- J'aime Meriem! J'aime Meriem! J'aime Meriem! Et aucune force au monde ne pourra me détourner d'elle! Et si vous ne vous retirez pas, je vous écraserai ! »
Je réalisai soudainement que le robot ne rigolait pas. J'avais vu ce qu'il fit des terroristes du Chenoua et ne voulais pas le contrarier... Fichtre alors ! Un robot amoureux ! Quand je raconterai ça dans les colonnes du Midi de Sidi Cagliari, personne ne me croira. Pour le moment, il fallait gérer la situation. Yimchi Wahdou était profondément atteint. Il pouvait à tout moment s'irriter et se transformer en Rambo ! Ah, qu'il était beau en moto rutilante ! Mais enfin, dans quel monde étais-je en train d'évoluer : une moto amoureuse '
Je n'étais plus Sardèle ! J'étais redevenu Algérien ! Il ne l'aura pas Meriem ! C'était, à mes yeux, mon pays, ma terre, mon ciel, mes entrailles ! Fallait-il la lui céder après tant de sacrifices ' L'émir a été éliminé et il ne pourra plus la transformer en quatrième épouse dans un harem où il sera le seul à avoir la parole ! Il ne la transformera pas en femme seule de Hassi Messaoud, proie facile pour les intégristes et les voyous ! Idem pour le buveur de Jack Daniel's ! Il ne pourra jamais l'amadouer pour lui faire croire que du temps où sa maman était femme de ménage chez les Garcia et son papa ouvrier agricole ? proche de l'esclave ? chez les Fernandez, l'Algérie africaine se portait mieux ! Seuls les colons, les pieds-noirs et les militaires français vivaient bien dans ce pays. Les parents de Meriem survivaient et croupissaient dans la misère. Il ne l'aura pas, le pied-noir ! Et ce tas de ferrailles nommé Yimchi Wahdou, qu'est-ce qu'il croyait ' Que j'allais le laisser me la prendre, ma Meriem chérie ' Mon seul et unique amour, ma passion. Un peuple tout entier entre les mains d'une machine chinoise ! Non et non et non ! Il pouvait m'abattre là, dans cette chambre cherchelloise. Je serais un martyr, un de plus sur cette terre des martyrs !
Mais il ne fallait pas l'attaquer de front. Dans la situation où il était, il pouvait se transformer en fou furieux. Il fallait jouer le jeu et préparer un bon coup pour l'éliminer lui aussi. Tant pis pour ses capacités de moto et de force de destruction massive que nous n'aurons plus l'occasion d'utiliser. Tant pis pour les connexions internet et le GPS ! Tant pis pour les appareils photos numériques et tous les gadgets dont il était pourvu ! Meriem n'est pas à vendre !
Le lendemain matin, un ciel d'azur nous accueillit à la sortie de l'hôtel. Nous filâmes vers l'Ouest, sur la belle et scintillante route nationale 11 qui jouait à cache-cache avec la mer, tantôt l'effleurant, tantôt s'éloignant de ses rivages, pour mieux l'étreindre quelques kilomètres plus loin. Le robot était toujours déprimé. Mais ni Meriem, ni le pied-noir qui avait la gueule de bois, n'avaient remarqué son état.
Sidi Ghilès était plus qu'une étape. C'était une halte charmante qui avait su préserver tout son éclat malgré les années de terreur qu'elle avait vécues et l'obstination des autorités qui refusaient d'installer ailleurs certains projets industriels fort préjudiciables à son environnement. Située sur une route que n'empruntent généralement que les gens de la région ou les rares voyageurs filant vers Ténès ? la majorité y va par Chlef ?, Sidi Ghilès était un paradis méconnu. Ses terres vierges, ses campagnes et forêts sauvages, ses plages nichées au fond de criques indomptées ou sur des rivages ouverts aux quatre vents, étaient une invite à l'évasion. Mon Dieu qu'elle était belle notre Algérie !
M. F.
(Ce texte est tiré du roman La grande harba).
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