Un bel accueil malgré la tentative de "sabotage"

Reprogrammée pour jeudi dernier, la pièce "El mina" (La mine) du metteur en scène Chawki Bouzid et de l'auteur Rachdi Redouane a été présentée au public du TNA "sans aucun changement" d'après le metteur en scène, et ce, après "la tentative de sabotage" dont elle a fait l'objet.La représentation de la pièce El mina ( La mine), du dramaturge Chawki Bouzid, qui avait fait couler beaucoup d'encre à la suite d'une tentative de "sabotage" dont elle a fait l'objet dernièrement, a enfin été donnée jeudi dernier au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi (TNA), à la faveur de la 13e édition du Festival national du théâtre professionnel (FNTP). L'origine de cette "tentative de sabotage", est due à un conflit avec le responsable du TRB, nous a expliqué Chawki Bouzid : "Il y avait un conflit d'autorité entre moi et le directeur du Théâtre régional de Biskra. Ce monsieur est un dictateur. Il voulait même contrôler la manière dont je m'asseyais dans l'orchestre et même mes acteurs. Il a créé tout cela pour saboter la pièce". Et de poursuivre, à propos des demandes de supprimer certains passages de l'?uvre : "Je n'ai rien changé à la pièce. Le public de ce soir a pu la voir sans aucun changement. Je peux même vous donner le texte et même vous montrer la générale filmée".
Entre un humour cinglant et la reproduction de notre amère réalité, renvoyant au quotidien de tout Algérien, l'?uvre a été portée par le talent et l'abnégation de six comédiens amateurs de la wilaya de Biskra, qui ont relevé haut la main ce défi et malgré les embûches, puisqu'en plus de la tentative "de sabotage", elle a été ébranlée par une "course contre la montre", tant elle a été montée en seulement 27 jours. Dans un décor sombre, accompagné à ce qui ressemble plus à une musique de cinéma que de théâtre, les six personnages de la pièce se croisent, s'évitent, disputent et s'amourachent aussi, souvent, dans cette mine d'or. Métaphore de l'Algérie et ses richesses dont une minorité seulement profite, ce huis clos sous-terrain donne à voir l'énorme clivage qui sépare d'un côté responsables et les détenteurs du pouvoir, et de l'autre, les laissés-pour-compte, qui se tuent à joindre les deux bouts. Au contraire, d'aucuns, notamment le maire, Si Djelloul, la parfaite caricature du responsable corrompu, analphabète et opportuniste, profitent de leur désarroi pour leur faire miroiter monts et merveilles à des desseins électoraux. À propos de l'image donnée au responsable politique, le metteur en scène dira : "À chaque fois que je vois à la télé les interventions de certains responsables je me mets à rire. La majorité de ces élus n'a rien à voir avec sa position politique. Ce que j'ai proposé dans la pièce n'est pas de la caricature, j'ai transposé une réalité qui existe. C'est vrai, peut-être pas avec ce costume imprimé de billets de banque. Pour être clair, je voulais surtout parler de ces hommes politiques doublés d'hommes d'affaires".
Claustrés dans la mine à la suite d'une explosion, signe pour eux de la colère divine, ces compagnons d'infortune, au lieu de coopérer et laisser leurs divergences de côté, vont, au contraire d'autant plus marquer leurs différences dans cette mine prête à s'effondrer à tout moment. L'utilisation de la religion par certains politiques a également été l'un des points nodaux de la pièce, à travers les propos du maire, prêt à sacrifier le mineur afin de sortir de ce décor dantesque. Psalmodies, versets et invocations, El mina met en avant l'hypocrisie et le zèle du maire, qui ne pensera, à aucun moment au bien-être et à la sécurité de ses compagnons.
Même si le décor est relégué au second plan au profit d'un texte irrévérencieux et pétri d'humour, El Mina a eu, à travers son auteur, la délicieuse audace de traiter de ces non-dits qui séparent pourtant, jour après jour, classe politicienne et citoyen.
Yasmine Azzouz