Algérie - Autres événements culturels

Tlemcen se raconte aux Tourangeaux, Boumediène, Dib, Messali revisités



Dans «le mot» signé en guise d’édito pour les besoins du dépliant, la mairie de Tours émettait le voeu d’une semaine «riche en découvertes, sereine dans les échanges». Son souhait n’a pas été vain.

Première manifestation thématique algérienne à se déployer en Touraine, «Tlemcen à Tours» a visiblement répondu aux attentes.

Voulue comme un moment de dialogue fécond, la semaine s’est prêtée à l’exercice. Les hôtes de Tours ont pris congé du Val-de-Loire avec le sentiment du travail accompli. La conviction que, pour peu qu’on le veuille, la Méditerranée chère à Fernand Braudel sied aux échanges.

«La Méditerranée, c’est un avenir», prédisait, peu avant le baisser de rideau, Jean Germain, le maire de la ville. «Le dialogue est le meilleur remède aux périls du monde. Il est l’antidote de l’indifférence, du repli et de l’anathème», disait-il lors d’un point de presse avec les médias algériens. Pendant quatre jours, Tourangeaux et Algériens de Touraine se sont donnés rendez-vous à l’Hôtel de ville. Histoire d’apprécier, une fois n’est pas coutume, non pas la beauté des lieux mais de découvrir une ville algérienne parée d’une dimension patrimoniale indéniable.

C’est à Mourad Yellès, maître de conférences à l’Institut des langues orientales (INALCO, Paris), qu’échoit, le premier, la tâche de planter le décor tlemcénien. Familier de la ville pour l’avoir inscrit au coeur de ses recherches, il raconte la cité au moyen d’une balade culturelle. D’Agadir la berbère et Pomaria la romaine (2e siècle après JC) à Tlemcen l’abdelwâdide (13e-15e), en passant par Tagrart l’almoravide (11e-12e) ou Mansourah la mérinide (13e-14e), le conférencier invite le public à un voyage dans l’histoire de la ville. A toutes ses étapes. A l’image de ses homologues du Maghreb, la cité subit, à mesure de son évolution, des «transformations urbanistiques». Des métamorphoses tenant à la fois de facteurs politiques, économiques, démographiques et militaires.

Autant que le paysage urbain et le cadre bâti, «la production culturelle ne cesse, elle aussi, de se développer, en particulier durant la période médiévale», rappelle Mourad Yellès, spécialiste des littératures maghrébines. Deux éléments, argue-t-il, plaident dans cette direction. Tlemcen abrite un pouvoir politique fort et une «cour importante au goût raffiné, largement influencée par les courants d’échanges multiples entre Orient et Occident arabo-berbéro-andalou». De fait, la cité se voit précocement bien servie pour s’ériger en «pôle culturel de tout premier ordre». En témoignent, malgré la rareté ou l’insuffisance des sources historiques, toute une lignée de «figures intellectuelles ou mystiques d’exception». Dans son initiation à la mémoire poétique de la cité, Mourad Yellès se contente d’en citer quelques-uns. A l’image du maître soufi d’origine sévillane Sidi Boumediène (1126-1197), du poète Ibn Khamis (1252-1308), du «roi-poète» Abou Hammou Moussa II (1353-1389), l’un des grands souverains de la dynastie ziyanide.

Deuxième conférencier, Hervé Sanson brossera, pour sa part, le portrait d’une autre figure de Tlemcen: Mohammed Dib. Plus qu’un simple lieu de naissance, le fief des Ziyanides a été pour l’auteur la «Cité de l’écriture», une ville d’inspiration. «L’héritage intellectuel et artistique de la cité a marqué durablement le jeune Dib», rappelle Hervé Sanson, dont la thèse de doctorat a porté sur l’oeuvre de Dib. «C’est depuis les lieux mythiques, sacrifiés de Tlemcen, pourvoyeurs de rêve, que l’écriture dibienne se déploie», rappelle Hervé Sanson.

A Tlemcen, tout y est pour inspirer la plume de l’homme de lettres. «C’est toujours une échappée sur un ailleurs, un au-delà que Tlemcen convoque (...), des transes du dhikr aux tapis volants de la waâda, des transports du public à l’écoute des conteurs aux palabres ludiques de sa grand-mère au Medress, Dib n’a de cesse de peaufiner le portrait d’une ville en ses échappes, en ses reflets littéraires et artistiques».

«Lieux de l’écriture», selon le titre d’un des livres de Mohammed Dib, Tlemcen se targue d’être aussi l’un des lieux les plus prisés de «Ziara». Plus que dans toute autre contrée du Maghreb central, le rituel y est fort, étalé sur toute l’année. Cette passion immodérée pour le pèlerinage de proximité, Tlemcen la doit aux mausolées qui jouxtent les portes d’accès de la cité. «La tradition dit qu’à chaque porte, il y a le mausolée d’un saint», note Ghaouty Hadj Eddine Sari, conférencier dans les formations bioéthiques et fin connaisseur du Maghreb et de l’Espagne andalouse.

Tlemcen compte une trentaine de portes. Dont une, incontournable, adossée au mausolée de Abû Madyan El-Ghaouth, plus connu chez les Algériens sous le nom de Sidi Boumediène. De tous les saints qui «habitent» la ville, Sidi Boumediène est le plus connu des Tlemcéniens. «On le vénère, on le visite en permanence. Ses sentences sont chantées dans la musique maghrébo-andalouse». Sa grande autorité en matière d’enseignement soufi lui vaut une reconnaissance sous tous les cieux maghrébins. Le maître, rappelle le conférencier, «s’est singularisé par son ouverture spirituelle». Une ouverture qui ne manquera pas de provoquer l’ire des traditionalistes andalous. Averroès, son contemporain, connaîtra, du reste, un sort similaire.

Le paysage tlemcénien ne saurait être exhaustif sans l’évocation d’une autre figure de la ville, politique celle-là: Messali Hadj. Son nom est à Tlemcen, et au-delà, à toute l’Algérie, ce que des personnalités politiques étrangères sont à leurs cités respectives. Difficile de présenter l’homme et de parcourir son long combat syndical et politique sans s’attarder sur ses années tlemcéniennes. Les vingt premières années de sa vie se passent à Tlemcen, où il est né en 1898. «Ces années constituent le socle solide de la construction de sa personnalité», souligne sa fille, Mme Djanina Messali-Benkelfat.

Dans «Témoignage d’une vie», l’oratrice explique dans quelle mesure Tlemcen a forgé un homme devenu, chemin faisant, le père du mouvement national algérien. Qui plus est, à une période - de la fin des années 1920 à la fin des années 1940 - où la prise en charge de la question nationale n’était pas chose aisée. «Le jeune Messali n’oubliera jamais que la mission d’un «Derkaoui», zaouïa dont il est issu, «n’est pas la richesse, la gloire ou le pouvoir, mais la justice et la liberté». Deux maîtres-mots qui seront, de bout en bout de son itinéraire, au coeur de ses convictions et de son combat.

«Du gamin d’Errhiba au jeune homme qu’il est devenu, la mutation est effective. Elevé dans une famille pauvre mais très unie et très digne, dans une ville au passé historique et culturel très riche, Messali a trouvé les meilleures conditions pour se construire», souligne sa fille. «La force intérieure qui se dégage déjà de lui frappera tous ses interlocuteurs. Elle vient de cette aptitude à rester enraciné dans sa culture, sa société, son terroir, tout en s’ouvrant pleinement à tous les courants de pensée et à toutes les expériences». Quand il prend congé de Tlemcen en direction de Bordeaux, Messali est déjà un homme politisé, à même de «voler de ses propres ailes» et de se lancer dans le combat qui ne cessera, depuis, de le passionner, de l’occuper. Au détriment de son temps familial.


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