Algérie - 07- Occupation Française

Tizi-Ouzou, Pour que nul n’oublie... Oumeri



La faim fait sortir le loup du bois, l’injustice fait sortir le héros de sa léthargie. Ahmed Oumeri a de tout temps été louangé par les femmes dans leurs chants et glorifier par les plus illustres poètes et artistes contemporains.
De Lounis Aït Menguellat à Lounès Matoub en passant par Menad, les groupes Djurdjura et Afous, tous ont mis en exergue la fin tragique qui a été réservée à ce personnage proverbial de courage, de bravoure et de patriotisme. Une fin qui semble fatalement atavique tant notre histoire est parsemée d’exemples. La mémoire collective garde surtout celle que réservera Bocchus au roi-guerrier Yugurten. Une brève esquisse sur ce que fut Oumeri nous permettra peut-être de saisir les motivations et le « Credo » de cet « hors-la-loi » (1) ? Ahmed Belaïd, alias Oumeri, fut un descendant d’une famille qui a perdu sept hommes durant la résistance des At-Buwaddu à la conquête française en Kabylie. Alors que tout le pays s’était rendu à « l’évidence » et avait « accepté » les auspices de la France protectrice vers 1849, cet Aârch résista sept longues années encore aux assauts répétés et meurtriers des conquérants (1850-1857). Le colonel Robin écrivait dans Revue africaine qui relatait alors la chronique de la conquête de la Kabylie : « Les Beni-bou-Addou qui, malgré le sac de leurs principaux villages en 1859, étaient restés insoumis, furent encore les derniers à rentrer dans le devoir en 1857. » (2) Plus tard, ils s’associèrent aux troupes de Fatma n’Soumer puis prirent part au soulèvement d’El Mokrani... Les sept guerriers des Ath Hammou ancêtres de Ahmed, qui périrent alors, ont été exécutés par les soldats du général Lerez du 5e RTA. Depuis, cet adage est né pour traverser les années et les générations dont celle de Ahmed et parvenir jusqu’à nous : « W’i bghan ad yissin xellu, imuqel s-afrag n At-Hemmu » (3). Les répercussions psychologiques traumatisantes des rudes épreuves de cette période, particulièrement sanglante de notre histoire, sur les populations, se sont donc transmises — la tradition orale aidant — de génération en génération. Oumeri voit le jour sur ce hameau suspendu au pied des crêtes du versant nord-ouest de « la montagne de fer » (4). Les Aït Bouaddou, menaient une vie somme toute identique à celle que menaient leurs compatriotes indigènes. Une vie faite d’indigence et d’injustice. Le petit Oumeri grandit au milieu de cette agressivité constante des milieux social et naturel qui forgera par la suite son amour de la justice, de la liberté mais surtout son courage. Le mouvement nationaliste commençait à se cristalliser et à prendre racines dans les couches populaires. L’ENA puis la PPA tentaient de se doter d’une base solide pour pouvoir mener leurs actions de sensibilisation aux contrées les plus éloignées et faire vibrer les fibres patriotiques de leurs frères autochtones. Puis, c’était l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale et tout désormais, dépendait des tournures que va prendre cette nouvelle tragédie qui venait alors s’ajouter au malheur des Algériens. Pour que la France « protectrice » ne tombe pas entre les griffes du nazisme, les Algériens sont mobilisés puis expédiés au front. Les villages de Kabylie ne portaient plus dans leurs ruelles que vieillards, femmes et enfants. Le jeune Ahmed, quant à lui, se retrouva à Sedan, à la frontière franco-belge... Prenant conscience que son combat devrait se faire chez lui, il déserta en 1941. Arrêté puis emprisonné à la caserne de Belfort (actuelle El Harrach) où il fut réincorporé au régiment de « la marche des Levant », où, après des tractations et après avoir eu le soutien de la direction du PPA, il organisa une mutinerie qui échoua. Sa déception fut des plus vives quand, le jour même de la révolte carcérale, Messali Lhadj appela les mutins au calme... et à se rendre ! Il réussit sa tentative d’évasion et opta aussitôt pour le maquis contre le colonialisme à la manière des ancêtres. Il rançonnait, vengeait, enlevait aux uns et donnait aux autres, terrorisait les nantis, particulièrement ceux qui se rapprochaient du pouvoir colonial... l’aroumi et ses « amis » dont les rançons allaient sans prendre le moindre détour aux plus démunis. Le maquis avait ses informateurs dans tous les villages. Quand la « bande » Oumeri recueillait des rançons, recevait les prix du sang, dévalisait une maison, sanctionnait des personnes, on savait au centime près les sommes collectées. Le maquis recevait à son tour un pourcentage pour survivre, venir au secours des familles de maquisards, alimenter la caisse du PPA-MTLD. Bien qu’Oumeri refusait toujours « d’exercer » dans le cadre du PPA, le colonel Ouamrane témoignait avoir envoyé des éléments de la « bande » (ndlr : comprendre le « groupe Oumeri ») en mission et recueillait un pourcentage des « collectes » de la « bande », avec l’œil bienveillant du maquis. « ... Il n’arrêtait les cars que pour faire crier à plusieurs dizaines de voyageurs : ‘’... Vive l’indépendance’’ ... ». Un témoin oculaire de ces scènes serait encore en vie. Pendant ce temps-là, la propagande colonialiste associée aux différentes pressions de ses ennemis, dans une époque où les seuls canaux d’information « censés » éclairer des populations, en majorité illettrées, étaient propriété de l’administration coloniale, ont fait que les plus illuminés ont cédé et les diffamations les plus invraisemblables et les plus immorales avaient pris les allures de vérités incontestables. M. M. A. Brahimi, dans un travail d’investigation d’envergure, révèle l’existence des contrats entre le groupe d’Oumeri et les responsables du PPA-MTLD. En effet, il s’apprêtait à rejoindre l’OS, convaincu enfin par Krim Belkacem après des années d’effort, quand Oumeri fut assassiné dans un guet-apens tendu par l’administration au village Laâzounen, au domicile de son compagnon d’armes Ouacel Ali, le jour même de la création de l’organisation (OS) (7) Ouacel, en trahissant Oumeri et Hadj Ali Arezki, qui défrayèrent la chronique des années durant, n’avait fait que rappeler que depuis la nuit des temps, chaque fois que cette terre donne naissance à un grand homme, il s’ensuit inévitablement une autre d’un grand traître. 17 février 1947, 17 février 2006. Plus d’un demi-siècle après sa mort, aucune reconnaissance des autorités n’est venue exhumer ce héros mythique que fut Oumeri. Le roman historique qui lui a été consacré par feu T. Oussedik (8), constitue une initiative louable dans les limites où elle a eu le mérite de lui avoir conféré une réputation plus large et d’avoir surtout contribué à sauver de l’oubli ce justicier du terroir, dans lequel les fossoyeurs de l’histoire de tout bord ont réussi jusqu’ici à le confiner. Cependant, cette œuvre unique manque de rigueur scientifique qu’exige le genre historique d’où les lacunes dans la justesse de certains faits ainsi que dans leur chronologie. Mais c’est surtout son caractère superficiel qui doit être signalé bien que les difficultés qui entravaient alors, plus que maintenant, la recherche historique en général et plus particulièrement celle ayant trait aux « hors-la-loi » appelés « bandits d’honneur » justifie ce manque, du reste légitime. Aujourd’hui encore, c’est à peine si une mémoire vivante ose délier la langue non sans réticences. T. Oussedik, disait à Alger : « ...Je prends Oumeri pour un héros national... » Ce n’est que justice rendue à cet authentique justicier du petit peuple qui ne cesse de hanter notre paresse depuis sa tombe de fortune perdue sous la plate-forme d’une vieille bâtisse abandonnée... Un symbole, un repaire que seul les héros de légendes en sont capables d’être, Oumeri n’est aujourd’hui, qu’un nom dans notre mémoire collective. Les épopées de cette victime de sa propre prise de conscience prématurée dans une société qui claquait du bec (qui était en proie à l’austérité du milieu naturel, au ravages de typhus, à l’exode massive de la gent masculine vers une guerre lointaine et vers des mines dévoreuses d’hommes, à l’injustice et aux atteintes aux droits les plus élémentaires de l’être humain, mais surtout en proie à l’ignorance) sont aujourd’hui inconnues de la postérité post-indépendance... « Décoloniser » l’histoire est une entreprise de grande envergure ; c’est une tâche qui incombe à tout le monde, dans les limites des moyens dont dispose chaque chercheur. C’est aussi, tenter d’apporter sa pierre à l’édification d’un avenir certain fait d’équilibre et de bien-être. L’association culturelle Amezruy d’Aït Bouaddou a cassé le caractère tabou qui entourait ce personnage légendaire. Un vibrant hommage lui a été rendu en lui consacrant le premier Festival Ahmed Oumeri qui s’est déroulé à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, du 2 au 5 mars 1996. Consacrer un film cinématographique retraçant le combat de ce justicier, lui reconnaître son statut de « héros national » est aujourd’hui plus qu’une exigence de tout un peuple qui aspire à reconquérir son histoire pour réaliser sa propre projection dans l’avenir. Que justice soit rendue au justicier.

Notes de renvoi :

1) Credo d’un hors-la-loi est le titre d’un ouvrage de M. A. Brahimi. 2) Dans Revue africaine. 3) Littéralement « celui qui veut reconnaître la signification de l’extermination, qu’il regarde vers les Aït-Hammou » 4) Nom romain du Djurdjura : Montus Ferratus 5) L’OS fut créée le 17 février 1947. Oumeri est assassiné le même jour. 6) Oumeri : roman de Tahar Oussedik.





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