Algérie - Revue de Presse



Violence et désordre A la veille des élections américaines, décisives pour l?avenir des relations internationales, un important colloque organisé par le Forum politique mondial sur « la pauvreté et le désordre mondial », auquel ont participé de nombreux responsables politiques, chefs d?Etat, Premiers ministres et autres décideurs, comme les anciens présidents portugais Suares, russe Gorbatchev, Premiers ministres français Jospin, Rocard, malaisien Mahatir, pakistanais Benazir Bhutto, et l?ancien ministre algérien Mustapha Cherif. Nous publions en exclusivité le contenu de son intervention qui a retenu l?attention et suscité le débat. Excellences, auguste assemblée, Monsieur le Président, Mesdames Messieurs, chers amis, il est heureux que des espaces de dialogue, de débat et d?échange, comme le Forum politique mondial existent, afin que la société civile, les politiques et les scientifiques confrontent leurs idées et expriment ensemble des solidarités, tournées vers l?avenir. Solidarité naturelle en cette terre méditerranéenne et amie qui est l?Italie, carrefour des civilisations. J?ai répondu avec joie et grand honneur à votre invitation, mais aussi avec émotion et souci, car les enjeux de notre thème « Pauvreté, mondialisation et dialogue ou choc de civilisations », sont évidemment majeurs et la situation dramatique. Cela exige de nous un point de vue qui garde le cap sur l?essentiel, c?est-à-dire la justice et la sécurité, préoccupations réelles de tous les peuples. Les écueils sont immenses, la marge de man?uvre et les possibilités de peser sur la réalité et de répondre à ces besoins fondamentaux ne sont pas données d?avance, mais il n?est pas impossible de progresser en la matière, si le partenariat, la coopération et le dialogue dominent, plutôt que l?unilatéralisme. Un premier constat, fondamental, s?impose : notre monde moderne semble dériver, cela ne fonctionne pas, ne marche pas, la crise a atteint un seuil alarmant, trop de pauvreté, d?inégalités, de violence. Malgré des opportunités, la mondialisation se présente sous la figure de la menace, de la déstabilisation et de l?insécurité. En effet, les inégalités s?aggravent à la fois au sein des sociétés et entre les différentes régions du monde, entre les pays développés et les autres, même si des progrès notables sont enregistrés dans nombre de sociétés du Sud en voie de développement. Paradoxalement, les aides au développement se réduisent et représentent en moyenne un misérable 0,2% du budget des pays riches et les politiques financière et économique des institutions internationales ne prennent pas en compte les objectifs d?indépendance, les spécificités et la dignité des gens. Le tiers monde est devenu parfois un quart monde et la précarité se transforme en extrême pauvreté. Les écarts entre pays riches et pauvres atteignent parfois une différence de 1 à 100 et souvent incomparables, lorsqu?il n?existe même pas l?accès à l?eau potable, une ration alimentaire minimale et aucune possibilité de soins. Nous assistons, à titre comparatif au Nord, à la création de richesses et une politique de société de consommation illimitée, sans maîtrise des besoins, et de l?autre côté, au Sud, à la paupérisation de nombre de pays et de populations dépourvus des bases d?une vie décente, confrontés parfois aux contraintes de la nature et souvent à l?exploitation, au pillage et à la domination directs ou indirects, internes et externes. Cela conduit à des déséquilibres néfastes et injustifiables et en réaction aboutit à des violences. La pauvreté, les injustices, le désespoir, aggravés par la politique de deux poids, deux mesures, nous obligent à comprendre que le désordre et le fléau du terrorisme ont des causes multiples, principalement politiques, économiques et sociales, même si des questions culturelles peuvent s?y greffer. En conséquence, alors que le bon sens est de notre côté, nous qui cherchons à corriger un tant soit peu les injustices, d?abord en faisant prendre conscience de la responsabilité de tous et de chacun, comment s?élever à une analyse critique de la situation concrète sans apparaître comme utopique, passéiste ou marginal ? Peut-on critiquer de manière constructive et alternative les contradictions du monde actuel qui se fonde sur trois dimensions préoccupantes : le capitalisme, dans sa phase actuelle dite sauvage, fondée sur le profit pour le profit, crée des richesses en opposition flagrante avec les principes de la justice sociale ; un savoir de la technicité, qui assure des formes d?efficacité, mais en opposition inquiétante avec le sens et les possibilités d?une pensée libre, vivante et objective ; une vision unilatérale du monde, qui unifie, en opposition inadmissible avec le droit à la différence, la souveraineté et l?hétérogénéité des sociétés. Ces trois contradictions, oppositions ou coupures aboutissent à la déshumanisation sur le plan moral et éthique, à la pauvreté sur le plan économique et social et à une remise en cause de ce qui fonde l?existence, c?est-à-dire la liberté et le sens de la vie, tel que vécu, espéré ou pensé depuis des siècles. Ainsi puisque tous les problèmes se posent en même temps, la dimension politique est déterminante, même si elle n?explique pas tout. Au Sud, les pays pauvres se plaignent de subir la loi du plus fort et la remise en cause du droit comme référence dans les relations entre les peuples. Ils refusent, à juste titre, l?hégémonie d?une vision exclusivement commerciale du monde. En outre, tous les peuples, au Nord comme au Sud, semblent de plus en plus privés ou amoindris de leur droit à décider de leur avenir. Ce sont d?autres centres qui décident pour eux. vi du religieux et l?autonomie de l?individu, les critiques sont aussi radicales vis-à-vis de nombre des pays du Sud, comme pour l?absence ou la faiblesse des pratiques démocratiques, le poids des traditions fermées et les insuffisances en matière de réformes, tant de l?organisation de la société que des mentalités. En conclusion, parler par exemple de choc de civilisations et accuser telle ou telle culture comme cause des retards et comme source de la violence aveugle est un signe de propagande, d?irréflexion et de diversion. Tout comme le nazisme n?était pas dans Hegel et l?Evangile, et le goulag n?était pas dans Marx, le terrorisme n?est pas dans le Coran. Tous les peuples et individus sont aujourd?hui confrontés aux mêmes défis, menaces et incertitudes de par les contradictions, coupures et oppositions que nous avons citées, par-delà les divergences et les différences culturelles et historiques. Il est impératif et légitime de dénoncer et de combattre sans répit le terrorisme du fanatisme et de l?instrumentalisation de la religion, terrorisme des faibles mais il y a aussi le terrorisme des puissants et tout autant le terrorisme du laisser mourir de pauvreté, mourir de misère et de désespoir. Terrorisme pour lequel personne ne semble être directement responsable. Intégrer et développer l?économie de marché, sur le plan du principe, dans chacun de nos pays, plus personne ou presque ne s?y oppose. Mais le droit à la critique des dérives du libéralisme est incontournable. Se réformer sur le plan interne, de manière démocratique pour pouvoir mobilier les citoyens, afin qu?ils soient réellement concernés par les défis est la voie qui s?offre à nous. Mais l?avenir dépend aussi de la façon dont les institutions internationales et les grands ensembles refonderont leurs objectifs et actions à partir des exigences du droit au développement comme priorité de notre temps. Sur le plan scientifique, la formation, l?éducation, l?enseignement, en somme la question de la compétence, du savoir et du savoir-faire est une clé décisive pour faire reculer la pauvreté, les inégalités et les fractures. Les nouvelles technologies de communication sont un atout et une opportunité dans ce sens. Vu l?évolution de la démographie, sans cesse en hausse, et les limites des moyens, il est difficile de garantir une place pédagogique à tous les demandeurs. En conséquence, axer à la fois l?aide sur la formation, l?utilisation optimale des moyens locaux et l?enseignement à distance sont des recours possibles. Sur le plan économique, tout le monde sait que le poids de la dette d?une part et la division internationale du travail d?autre part constituent toujours des problèmes de fond qui méritent une plus grande attention, afin de sortir de la logique de la charité qui restera inopérante. Sur le plan politique, la démocratie internationale et la démocratie interne à chacun de nos pays sont les deux conditions du développement, conditions nécessaires et indissociables. Seule la primauté du droit peut faire reculer les guerres et les armements illimités qui engloutissent plus du tiers des ressources du monde. L?urgence, à tout le moins, est dans l?arrêt de toutes formes de guerres dites préventives et agressives. Telle qu?énoncée et pratiquée, la guerre dite préventive, de surcroît opérée de manière unilatérale comme en Irak, sans l?ombre d?un doute est illégale sur le plan du droit, illégitime sur le plan politique, immorale sur le plan humain. Elle a trois objectifs qui n?ont rien à voir avec les mobiles avancés : la volonté d?hégémonie et de domination totale du monde fondée sur la loi du plus fort et l?ivresse de la logique unipolaire ; la mise en ?uvre d?une idéologie extrémiste et brutale, au service d?intérêts étroits, à courte vue, dont le contrôle sur les sources d?énergie est un des aspects ; la diversion et la fuite en avant par rapport aux problèmes politiques et économiques qui minent l?avenir du monde. Face au désordre mondial, aux terrorismes transnationaux et à la pauvreté, on diffère parfois sur les méthodes pour les résoudre, mais on diffère aussi et surtout sur l?évaluation des causes et l?identification des responsabilités, car les terrorismes sont multiples et les sources de la pauvreté et de la violence aveugle sont multiples. Sans jamais justifier les dérives, il y a lieu de s?attaquer à leurs causes profondes. Il est à signaler que le peuple américain est un peuple ami et la nation américaine est une grande et respectueuse nation. Le monde entier a besoin de la stabilité et de la crédibilité de la première puissance, notre avenir, en partie, en dépend. Les USA, nous ne l?oublions pas, sont héritiers du siècle des lumières et attachés aux valeurs de liberté. Mais ce que nous dénonçons est une politique dangereuse, d?un moment visible. Notre démarche, par attachement aux valeurs de la démocratie universelle, est de continuer à dire à nos amis américains : nous ne sommes pas d?accord, pour ce qui se passe, par exemple, en Irak et en Palestine. Tout comme nous ne répéterons jamais assez aux masses a rabes et à l?opinion internationale que l?Islam n?est pas l?islamisme et que ce dernier est une falsification. Il ne faut pas se tromper, l?heure n?est pas à l?amalgame, à l?arrogance et à l?aveuglement, mais à l?alliance entre tous les pays et les citoyens du monde, épris de liberté, de justice et de paix, quelles que soient leurs religions, leurs races et leurs cultures. (*) Sismologue, professeur à l?Institut diplomatique et de relations internationales, ancien ministre

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