Algérie - 08- La guerre de libération

Les mémoires de Bezouiche, La Prééminence d’un acteur témoin de la guerre de Libération(*)




Assurément, toute publication émanant d’authentiques acteurs — témoins de la Guerre de Libération nationale — constitue une source inépuisable pour toute recherche historique, s’agissant d’un évènement ayant tenu en haleine l’opinion internationale d’alors et contribuant directement à l’accélération de la décolonisation du continent africain.

A cet égard, les mémoires de Abdelmadjid Maâlem constituent bien une illustration des plus éclatantes tant le récit, fond et forme, répond objectivement aux exigences de toute recherche scientifique, alors que la lecture des trois tomes (1058 p.) demeure d’autant attrayante et fascinante qu’accessible à un très large public particulièrement une jeunesse avide avant tout de sources crédibles, et partant susceptible de nourrir des projets et de fortifier de saines et prospères entreprises. En fait, récit authentique ou légende. Les actes et les réactions risqueraient d’introduire doute et confusion, compte tenu d’indices liés au recul dans le temps et au grave déficit de culture générale et des conditions exceptionnelles d’engagement et de participation effective de cet acteur témoin d’un tout autre âge et de conviction. D’autant que le sobriquet de Bezouiche, qui lui a « collé » pour toujours, est assimilable à merveille à ceux des héros légendaires devenus universels. Rassurons-nous définitivement. Point de doute possible ! Il s’agit bel et bien d’un récit autobiographique excellemment restitué dans tout son contexte historique transperçant habilement tout l’arrière plan durant toute la période étudiée. D’un récit témoignage très riche et très dense, au demeurant solidement étayé. En fait, beaucoup plus axé sur le témoignage. Honnêtement et objectivement, car continuellement animé, soutenu et imprégné par la critique constructive ! A cet égard, révélateur est le ton rendu par la tournure suivante en guise de sensibilisation ainsi que d’attention et d’égards au lecteur : « Bezouiche a été toujours présent là où l’histoire se faisait » (t 11, p. 93). Et d’expliciter aussitôt en guise de rappel dans l’intérêt même du lecteur ayant d’une façon ou d’une autre négligé le premier tome, le tome incontournable pour dévorer à belles dents les deux suivants : « Son destin a toujours vibré au diapason de celle-ci. Mais avec une précocité qu’il traînera le long de son combat, et dont il souffrira, depuis son ‘’intrusion’’ dans le mouvement de libération, à l’âge de 13 ans, jusqu’à la victoire. Jusqu’à la fin même de sa carrière même ! » Et de résumer une vie bien remplie, de surcroît brillamment réussie et analysée avec une note d’humour qui lui sied parfaitement et qu’on découvre gaiement tout au long du récit : « Le plus petit des grands. Le dernier des premiers. » Une formule qu’il affectionne beaucoup, car parfaitement vérifiable le long de son prestigieux parcours pendant et après son engagement dans l’ALN. Un style toujours allègre focalisant continuellement l’attention de l’observateur. Assurément, un récit aguichant et plein de verve que tout un chacun doit bien d’apprécier et méditer longuement, en y gagnant beaucoup d’une façon ou d’une autre particulièrement dans un monde malmenant et brouillant sans cesse l’échelle des valeurs et principes, les forces créatrices de toute société devant s’assumer résolument dans la dignité afin de ne pas perdre sa place au soleil. Tôt ou tard... Spontanément, l’acteur témoin a été au rendez-vous de l’histoire, celle qui a sonné un 1er novembre 1954 dans l’enthousiasme, voire l’euphorie des uns, mais aussi dans l’indifférence et l’indolence des autres. Assurément, celle qui a accaparé totalement l’adolescent, voire le préadolescent puisqu’il n’avait que 12 ans et trois mois. Pas nécessairement à la suite d’une fugue due à une frustration, mais consécutivement à l’accélération de faits liés à des rencontres extraordinaires et dont il a su en tirer des enseignements, ayant déterminé l’engagement définitif du préadolescent au combat libérateur. Or, cela est intervenu dans des conditions inattendues à plus d’un titre. Dans l’univers carcéral... de Sousse (Tunisie), au contact de codétenus, de vétérans partisans du Hizb Destour (Néo- Destour). C’est là qu’il a fait sa préparation politique, précise-t-il, même s’il est issu lui aussi d’une vieille et authentique famille fortement imprégnée par de si riches traditions culturelles, de savoir-vivre et de luttes multiformes. Une pépinière de valeureux membres de l’ALN, par excellence des guerriers nés de père en fils qu’il découvre au-delà de la frontière... y compris sa mouima, sa chère et vénérable maman, Incontestablement, l’aventure carcérale a été le passage obligé puisqu’il une fois libéré, l’adolescent est contraint de retourner en Tunisie afin de pouvoir s’enrôler dans les rangs de l’ALN, par suite de l’impossibilité de s’y incorporer directement à partir de sa ville natale, Tébessa. Or en dépit de tant de difficultés dont le handicap de l’âge et tout ce qui s’ensuit inévitablement, de surcroît dans une conjoncture somme toute défavorable, cette exceptionnelle recrue s’est très vite s’imposée et confirmée comme l’illustre à merveille son intégration au célèbre commando Si Slimane l’Assaut. Mieux à participer à l’acheminement des armes de la frontière algéro-tunisienne à la Wilaya III (1), arpentant stoïquement la piste Amirouche, par analogie à celle baptisée du nom du père de la résistance légendaire du Vietnam : Ho Chi Min. Un convoi d’armes sophistiquées le long d’un parcours de 600 km en trois mois sous la chaleur estivale de 1957 : une prouesse inédite la hauteur des qualités de ses managers et animateurs et au sein de laquelle Bézouiche s’est aguerri mais non sans une grave blessure à la hanche qui a failli lui être fatale sans les bons soins que lui a prodigués le docteur Mededaci. En conséquence, va-t-il pour autant s’écarter de la voie qu’il s’est tracée en toute détermination alors que précisément sur son lit de convalescence, le colonel Amirouche lui recommande vivement de reprendre les études interrompues au début de la classe de 4 e « Le combat, la guerre, la misère, c’est pour nous les vieux. Toi et les jeunes qui ont été à l’école, vous êtes l’avenir du pays. Vous devez étudier et apprendre pour l’Algérie de demain. Pour l’Algérie indépendante. » (t I. p. 349) Et de poursuivre : « Tu vas continuer les études à Tunis, au Lycée Saddikia. » Précisément, le prestigieux établissement bilingue d’où sont issues effectivement les élites tunisiennes avant et après le protectorat. En ne regrettant jamais ce refus, « son destin, sa bonne étoile le mèneront nolens volens vers le passage obligé prescrit par le colonel Amirouche » (t I. p 350). C’est ainsi que peu après, il est repéré et sélectionné pour suivre le premier stage de transmission de l’ALN à la base de l’Est en intégrant une petite équipe composite, constituée pour l’essentiel de jeunes combattants issus directement du maquis. Brusquement, Bezouiche pénètre de plain-pied dans un nouveau monde sans transition aucune. Il passe d’une ère à une autre, séparée par de nombreux siècles marqués de progrès et de technologies, bel et bien le monde des transmissions et ses codes frénétiques. Une révolution dans la révolution, et par conséquent avec des retombées considérables sur les maquis. Comme ses compagnons, notre jeune initié doit écouter l’ennemi, le déchiffrer, en somme le surprendre pour devancer ses mouvements, offensives et répressions, et en conséquence permettre aux différentes unités combattantes de déclencher des contre-offensives. Une avancée fulgurante dans le temps. Telle est la mission à laquelle il s’est attelé de septembre 1957 à septembre 1958, concrétisant tour à tour la jonction entre l’Est et l’Ouest et l’unification des transmissions de l’ALN. De plus, à son retour au PC de la Zone II de la base de l’Est, il commande le premier réseau en phonie de toute l’ALN. Durant cette seule période précitée (de sept.1957 à sept. 1958), et tout en demeurant totalement coupées du monde extérieur, les différentes promotions ainsi formées, à l’Est comme à l’Ouest (2), marque une avancée prodigieuse. Désormais, elles constituent de nouvelles forces en propulsant la cause algérienne au-devant de la scène internationale, le début de l’internationalisation du conflit. Il en est ainsi des deux événements majeurs : Sakiet Sidi Youcef (8 février 1958) suivie aussitôt par la mission Bons Offices menée par le diplomate US Robert Murphy, et davantage la chute de la IVe République qui a sonné le glas d’un pouvoir condamné sans appel par l’histoire, précisément l’histoire forgée par le peuple qui a été dominé et exploité durant plus d’un siècle. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une percée inespérée, d’une percée technologique rapidement assimilée. Comment et qui sont réellement ses maîtres, voire ses créateurs puisque le CITT- Est (Centre d’instruction technique des transmissions) comme son similaire de l’Ouest, n’ont disposé au mieux que de ressources tant humaines et matérielles négligeables. Certes de ressources humaines bien triées et de formation accélérée mais toutes animées d’excellentes qualités comme en témoigne la présentation faite par l’auteur en esquissant les portraits des principaux éléments du centre (t Il, pp. 169 - 198). D’emblée, l’émergence de potentialités et compétences préfigurant les futurs cadres et à l’origine d’aménagement d’un centre certes conséquent mais inattendu, voire insoupçonnable. En effet, tout autre est la base à laquelle est affecté notre jeune héros, précisément la base de Didouche implantée en Libye dans une ancienne caserne évacuée par les forces anglo-américaines, et ouverte en 1960 par Abdelhafid Boussouf (Si Mabrouk), le ministre de l’Armement et des Liaisons générales (MALG). En y entrant, Bezouiche ne savait pas qu’« il venait de plonger dans l’univers, pour mieux situer son propre parcours, sa propre personne ainsi que le rang du pays pour la libération duquel il combattait. » (t III, p. 197). Rapidement, en quelques mois d’effort intensément soutenu et en quittant cette véritable académie, il n’ a emporté avec lui dans ses bagages qu’un simple sac de sport contenant un livre, de maths de la terminale math élem, les Essais de Montaigne et le Discours de la méthode (René Descartes). Et d’ajouter pour donner tout le sens et la portée de telles références « dans sa tête ce qu’il a appris dans l’établissement. » Devant de telles performances, force est de revenir sur son court mais extraordinaire parcours, alors qu’il n’a que 19 ans à l’approche de la proclamation de l’Indépendance. Précisément à l’attitude inattendue adoptée sur son lit d’hôpital face à la recommandation faite par le colonel Amirouche : La poursuite des études au prestigieux lycée tunisois. Un « entêtement » mais pleinement justifié à plus d’un titre. Pour le maquisard-adolescent, la poursuite des études secondaires l’aurait contraint non seulement à renoncer à la lutte armée mais aussi privé d’une formation des plus performantes. D’une formation déterminant sa carrière future, la carrière qu’il n’aurait pas pu envisager par la voie classique. Une fois de plus, il a toujours su se déterminer tout en ayant pas atteint encore la majorité. Assurément, il a toujours été maître de son destin. En toute quiétude et assurance de préciser en quittant la base de Didouche, « avec l’étoffe d’un parfait diplomate » (t III, p. 200). Quoi qu’il en soit, suivant le bilan général qui apparaît au terme de l’analyse, la base de Didouche a représenté le chapitre le plus déterminant de la Guerre de Libération nationale. Un chapitre qui a été écrit en lettres d’or mais passé inaperçu par l’opinion d’alors, voire la postérité. En tout état de cause, le chapitre qui a jeté les bases solides de l’Algérie indépendante. Quant à la suite du récit, elle renforce davantage les attentes de tout observateur en quête de données et précisions susceptibles de l’éclairer et de l’orienter vers les pistes à suivre et à explorer méthodiquement. En somme, des recoupements à même de vérifier certaines analyses. D’autant que les derniers mois de la lutte armée exigent plus d’élucidation. Aussi, dans de telles conditions convient-il de prêter plus d’attention non à l’exposé dans sa globalité mais à certains passages et détails, mentions et allusions, attitudes et de comportements, concernant certains responsables et personnalités de premier plan projetés brusquement au-devant de la scène politique à la veille du cessez-le-feu et peu après. C’est également l’intérêt qu’offre l’introspection livrée dans les dernières pages et que, sans rupture aucune, laisse entrevoir la carrière diplomatique entamée dès le début de l’ndépendance et poursuivie brillamment durant quatre décennies consécutives, offrant ainsi le meilleur exemple qu’il soit aux générations montantes. Captivés par le récit du sagace et intrépide adolescent, les lecteurs attendent impatiemment la suite des Mémoires de Bezouiche, la prodigieuse carrière poursuivie jusqu’ à l’aube de ce troisième millénaire, dans les meilleurs délais possibles !

(*) Titre du premier tome de Abdelmadjid Maâlem, le deuxième et troisième tomes intitulés : Les témoignages de Bézouiche, Alger, Anep, 2004, 2005, 2006. A consulter aussi le site : abdelmadjid-maalem.blospot.com Notes (1) Ce convoiement n’est pas sans analogie d’un autre effectué par plus de 5000 Algériens recrutés dans différentes régions du pays. Un parcours d’une même longueur mais poursuivi dans un tout autre contexte en 1895 à Madagascar à travers une piste meurtrière qui s’est soldée par des hécatombes, du reste sans participation à aucun combat. Voir notre étude intitulée : Les convoyeurs algériens et la conquête de Madagascar (1995), Revue du Centre national d’Etudes et de Recherches sur le Mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 54, El Massader, n° 8, mai 2003, p. 27-42. (2) Fort heureusement commencent à paraître des témoignages sur les structures mises en place par Abdelhafid Boussouf, le patron du service des renseignements durant la Guerre de Libération nationale. Voir notamment Abdelkrim Hassani, Guerrillas sans visage Alger, 20 ; Mohamed Lemkami : Les hommes de l’ombre, mémoires d’un officier du MALG, Alger, Anep, 2004, 526 p.


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