Algérie - Revue de Presse

La robotisation entraînera-t-elle la fin de la compétence professionnelle ?



La robotisation entraînera-t-elle la fin de la compétence professionnelle ?
Publié par Le Soir d’Algérie le 27.12.2020
Par le Pr Baddari Kamel(*)

Le sens commun, selon lequel la robotisation menacerait l’existence de certains métiers et remettrait en cause des savoir-faire et des savoirs comportementaux, se traduit désormais dans la réalité par des faits au quotidien. En effet, l’influence croissante de la robotisation, ou l’acte d’automatiser complètement des habiletés, capacités et aptitudes connues pour être le propre de l’homme car elles nécessitent, non seulement la conscience mais aussi la dextérité, l’ingéniosité et la flexibilité, entraînera le monde dans une situation tout à fait inédite et recomposera plusieurs secteurs à commencer par la formation professionnelle, l’enseignement supérieur, et remettra en cause l’existence de certains métiers et compétences professionnelles. Tout d’abord, évoquer le robot, c’est évoquer son jeune âge.
Il est né en 1961 même si la notion est apparue pour la première fois en 1920 dans une pièce de théâtre de fiction écrite par l’écrivain tchèque Karel Čapek. Le terme robot vient du mot slave robota qui signifie corvée ou travail. Le premier robot, nommé Unimate, a été utilisé pour la première fois dans les chaînes d’assemblage de véhicules au début des années 60.
En l’espace de moins de 60 ans, un progrès gigantesque y a été réalisé. Ensuite, il s’agissait d’appréhender la problématique de la compétence professionnelle, de la destruction et la création des emplois.
Toutes les études sont d’accord qu’une plus grande poussée vers l'automatisation tuera probablement et créera à la fois des emplois.
Le travail humain deviendra superflu dans certains domaines, mais de nombreux nouveaux rôles apparaîtront probablement.
C’est la «destruction créatrice» chère aux économistes. Les secteurs «les plus susceptibles» de subir des pertes nettes d'emplois sont ceux qui ont un degré élevé de tâches répétitives et routinières, en quelque sorte les métiers qui se fondent sur le savoir-faire ou compétence professionnelle. Ces emplois seront, sans aucun doute, exercés par des robots.
Le robot a des «chiffres à la place du cœur». Il traite du rapport que peut entretenir le monde réel avec une machine qui bouge dans l’espace et dans le temps, dont les mouvements sont commandés par plusieurs programmes informatiques relevant de l’intelligence artificielle et de procédés mécaniques et électroniques. Le robot n’est pas un ordinateur car celui-ci traite, certes, de l’information mais n’a pas la faculté de se mouvoir.
Comme nous n'en sommes encore qu'aux premiers stades de la recomposition attendue, pilotée par l’intelligence artificielle et la robotisation, il n'est pas facile d'envisager avec rigueur quels nouveaux emplois pourraient surgir et lesquels seront perdus.
Les spécialistes en prospective affirment que rien que dans le domaine du numérique, plus de 80% des emplois du futur ne sont pas encore connus d’ici à la fin de 2030.
Ces mêmes spécialistes affirment que les sciences humaines et sociales tiendront un rôle incontestable car ce sont des sciences qui permettent l’ouverture d’esprit, la critique sociale, l’analyse et la compréhension de la complexité des sociétés confrontées aux défis globaux et inter-reliés.
La conséquence de cette nouvelle perception de la réalité en est la modification de nombreuses façons de former et d’enseigner. Il est question de nouvelles stratégies à élaborer en faveur de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur. Ces secteurs ont pour vocation de préparer et de former ceux et celles qui enseignent la science et construisent les robots, entre autres.
À la fois, ces acteurs sont appelés à se réadapter aux nouvelles situations induites par la recomposition, voire la disparition ou l’apparition de métiers.
L’intérêt pour l’université sera de former dans des métiers d’avenir bien identifiés où les sciences sociales ne seraient plus qualifiées comme aujourd’hui par le discours qu’on porte injustement sur elles selon lequel elles seraient des sciences peu utiles et qu’elles sont le réceptacle d’étudiants peu enclins à la réussite. Elle est appelée aussi à développer les compétences techniques dans le numérique, l’intelligence artificielle, de former les personnes appelées à intervenir dans la mise en œuvre des nouveaux outils numériques, de développer les compétences transversales… et, bien entendu, de continuer d’assurer la formation qualitative dans les sciences de l’ingénieur.
L’enseignement secondaire est appelé, quant à lui, à renforcer les principes qui permettront d’encourager l’adaptabilité des jeunes élèves. Le même intérêt sera porté à la formation professionnelle appelée désormais à mettre fin à cette réduction des aspirations professionnelles dans les vœux des adolescents à l’école, et de renforcer son positionnement par la valorisation de ses diplômes et l’attractivité de ses métiers.
Ces métiers seront conçus avec la prise en compte de la réalité qui se dessine, à savoir l’apparition de nouveaux métiers avec de nouvelles compétences à inventer, et la disparition des compétences professionnelles dans la majorité des métiers actuels qui seront remplacés par des robots. Si elle a comme vocation de permettre l’émancipation professionnelle de l’apprenti, la formation professionnelle devra désormais faciliter son intégration et sa capacité à travailler, créer et innover dans les métiers d’avenir.
Alors que les robots investissent nos espaces publics et privés, le rôle de la communication et des médias ne devra pas être occulté. Ils devront s’atteler à la compréhension au large public des capacités techniques des robots, ce qu’ils peuvent apporter, leur impact socio-professionnel… et non pas demeurer dans cet imaginaire qui relève des représentations littéraires et cinématographiques.
Certes, ces représentations occupent une part importante dans l’imaginaire de chacun et se traduisent dans les faits de notre quotidien par la résignation, la nostalgie mais aussi l’espoir.
En conclusion, le millénaire passé s’est terminé sur la spectaculaire percée de l’informatique dans tous les domaines de la vie ; le présent démarre avec la robotique et l’intelligence artificielle où il ne s’agit plus seulement de manipuler des informations comme le fait l’ordinateur, mais bien de permettre aux objets de se mouvoir, de contrôler, de commander, de décider…
La robotique, aujourd’hui, est partout. Elle est personnelle, médicale, d’assistance, d’intervention, d’exploration, agraire, humanoïde, sous-marine, volante, artistique, journalistique, spatiale et militaire. Si la robotique est ce qu’on fait de mieux dans la technologie et qu’elle ne tardera pas d’impacter de nombreux secteurs, la question est de savoir comment nous allons nous y adapter facilement.
D’ailleurs, aurions-nous le choix ? L’homme est déjà devenu accro aux nouvelles technologies et il a des difficultés à éteindre son téléphone portable. Le ton est donné par l’industrie 4.0, la médecine 2.0, les robots, l’apprentissage profond (le deep learning) et la compréhension automatique du langage naturel pour n’en citer que ceux-là car ils présagent d’un futur dans lequel tout sera reconfiguré.
Les sociétés préparées surmonteront les difficultés, les autres, si elles demeurent dans l’inaction, s’enfonceront dans des rapports de dépendance plus forts qu’ils ne le sont actuellement
L’innovation technologique condamne toujours des savoir-faire ou des compétences et des savoir-vivre et, dans ce sens, la robotique doit interroger car cette évolution n’est pas sans poser des problèmes juridiques, éthiques ou sociaux. Rappelons-nous de la trame du film Terminator doté d’une intelligence artificielle qui cherche à exterminer l’humanité !
Cette vue de l’esprit de l’extermination du monde deviendra-t-elle une réalité ? Les sciences sociales permettront-elles au robot de s’humaniser et à l’homme de ne pas se robotiser ?
B. K.
(*) Professeur des universités, expert en stratégie pour l’ESRS et conduite de changement.
Notes de lecture :
1/ «Demain les robots : vers une transformation des emplois de service» (Sénat France).
2/ Rapport de McKinsey : https://www.mckinsey.com/featured-insights/future-of-work/jobs-lost-jobs-gained-what-the-future-of-work-will-mean-for-jobs-skills-and-wages
3/ Article sur la robotique – Collège de France : https://books. openedition. org/cdf/518.

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