Algérie - Andalous

LA MUSIQUE ANDALOUSE par Djelloul BEN KALFAT



LA MUSIQUE ANDALOUSE par Djelloul BEN KALFAT
Gharnata, nom d'un lieu géographique est devenu à Tlemcen, synonyme de musique classique, Grenade résumant toute l'Andalousie et l'art musical prenant l'appellation du lieu de sa naissance .

Pendant la colonisation, cette musique était en léthargie, l'occupant étranger ne s'intéressant pas, par principe, à la culture autochtone . Elle ne survécut que parce qu'elle était ancrée dans le cœur du peuple Algérien . Quelques troupes de musiciens dont le nombre, comme la peau de chagrin, rétrécissait de plus en plus, entretenaient le feu sacré et la jouaient à l'occasion de mariages ou de fêtes de famille ,

L'indépendance arriva et gharnata devint art musical .

Musique traditionnelle ? Musique classique ?

Pour ma part, je préférerais la deuxième appellation, la première venant de tradition, c'est à dire, d'acte répété de temps en temps, évoquant l'idée de chronologie. Dans la deuxième appellation, c'est la qualité, le choix, la promotion ,

En effet, nous avons le droit d'être fiers de notre musique classique qui a atteint des sommets rarement dépassés dans la beauté, voire même la perfection.

Et cela est si vrai que, n'étant pas écrite, donc, en principe, pour reprendre une parole célèbre, la route de l'avenir coupée pour elle , elle a réussi phénomène remarquable, à travers mille obstacles, mille fluctuations, à se faufiler, à s'infiltrer, à cheminer à travers les âges, par sa seule beauté, par sa seule magie, et, des IX ème et X ème siècles arriver jusqu' XX ème siècle, un voyage de mille ans à nos oreilles émerveillées .

N'est-ce pas là la garantie de la qualité, de la classe ?

L'épreuve du temps est impitoyable aux oeuvres humaines . Rien ne lui résiste si ce n'est le parfait génial, l'exceptionnel et Gharnata est de cette trempe.

L'Occident est fier, à juste titre de sa musique classique, de ses J. BACH, de ses BEETHOVEN, de ses CHOPIN, de ses TCHAIKOWSKI.

Comment ne le seront-nous pas de notre musique andalouse qui a bercé, durant des siècles, les rêves de nos aïeux et qui, souvent, parce qu'antérieure, a été l'inspiratrice de la musique occidentale .

Tantôt berceuse, tantôt caressante, tantôt majestueuse, elle atteint parfois au sublime, prend possession de l'âme, enchante l'esprit au fil des heures, envoûte et, en un clin d’œil pour les amateurs, les mélomanes, une nuit pour les non avertis, elle vous fait arriver à l'aurore qui dégage la clarté du néant et déploie " son étendard de lumière " .

Andalousie lointaine dans le temps mais si près de nos cœurs, palais de rêve que les collines enchantées, demeures aériennes où tout est légèreté, grâce, finesse, harmonie, où les arcs chantent et la pierre devenue dentelle rappelle une parure de jeune mariée, temps béni où un peuple cultivé et raffiné s'adonnait à l'étude, aux sciences, à la poésie et à l'art, villes prestigieuses qui brillèrent du plus vif éclat au milieu des ténèbres du moyen âge et de l'Europe assoupie, musi­que merveilleuse, moyen d'expression idéal de ce peuple placé à la pointe de la culture et du raffinement, c'est tout cela que nous rappelle la musique ses MAUCILI, des ZYRIAB, des grands maîtres andalous.

Grenade, Granada, Gharnata, nom prestigieux et symbole de cette terre des Vandales, de cette Vandalousie, devenue, par ellipse phonétique du V initial, Andalousie, de cette terre des Vandales, dis-je, qu'un caprice de l'histoire, aimant jouer aux paradoxes extrêmes, a transformée en haut lieu de la culture humaine et de la civilisation .

La Méditerranée, mer et mère des civilisations, vécut, entre autre, deux périodes éblouissantes . Une première fois, le génie toucha de sa grâce, la colline de l'Acropole et donna naissance à la civilisation hel­lénique avec son apogée, le siècle de Périclès .

Douze siècles plus tard, à l’ouest, à l'autre bout de la Méditerranée, le même miracle se reproduisit sur la colline enchantée de l'Alhambra et ainsi vit le jour la civilisation andalouse, une des plus brillantes que l'humanité ait connues .

Trois villes, trois étoiles brillèrent alors d'un vif éclat : Cordoue, la patrie d'AVERROES, IBN ROCHD, Grenade, la merveille de l'Andalousie et Séville, la patrie de SIDI BOUMEDIENE et de SIDI HALOUI.

Cordoue avec sa mesquita et son extraordinaire forêt de colonnes de marbre, sa bibliothèque aux 500.000 ouvrages, son université aux 12.000 étudiants, la plus importantes du monde médiéval .

Grenade et son palais des Mille et Une nuits, célèbre dans l'univers .

Séville, l'Alcazar et ce bijou, la salle des Ambassadeurs, le minaret de la grande mosquée, la Giralda, la Torre d'el Oro, de laquelle, dit-on, était tendue une chaîne d'or qui, le soir, arrêtait symboliquement la navigation sur le Guadalquivir, l'Oued El Kébir .

Les hommes ont passé . Les royaumes ne sont plus . Les palais sont tombés en ruines . Les livres ont été brûlés par la haine des hommes, dispersés au hasard des temps ou des fluctuations de l'histoire .

" La ghaliba ila Allah " répètent prophétiquement et sans cesse les décorations murales de l'Alhambra, devise des rois nasrides .

De tout le feu d'artifice andalou, il ne nous reste plus que le souvenir, mélancolique comme tous les souvenirs, quel­ques vieilles pierres, quelques monuments que les hommes, surmontant enfin leur haine religieuse ou raciale, entretiennent pieusement .

Mais, il nous reste, par dessus tout, ce trésor inestimable que constitue le chant andalou, gharnata .

Cette musique, ces poèmes écrits dans la langue la plus lyrique du monde chantent, et avec quel talent, les beautés de la vie, la vie est belle et mérite d'être vécue : les splendeurs de la nature, l'amour, l'ivresse, les retrouvailles, le pays natal, mais aussi, et quel est l'homme qui n'a pas sa peine, les tourments de la passion, la tristesse de la séparation, la mélancolie de la solitude, la nostalgie des lieux perdus, la précarité de l'heure qui passe, le regret de ce qui n'est plus .

Ecoutez : c'est le murmure d'un ruisseau baignant la luxuriante végétation des jardins de Grenade . C'est, dans la cour d'un palais, le chant nostalgique des gouttes irisées qui s'élancent du jet d'eau vers le ciel, ivres de joie et de lumière, et qui retombent dans le bassin, l'effort brisé, pleurant, en notes cristallines, la fin d'un beau rêve

C'est le souffle de la brise dans la ramure, alors que le soleil déclinant embrase la nature dans une apothéose d'or et de pourpre

C'est le gazouillis d'un rossignol saluant de ses trilles syncopés les premières étoiles de la nuit qui vient .

Ecoutez, écoutez encore :

C'est la plainte d'un cœur noyé dans le chagrin qui attend le retour d'un être cher.

Ce sont les gémissements de souffrances ou de révolte, sous les coups de l'adversité, l'espoir de voir revenir un jour, le temps du bonheur.

Ou bien alors, la résignation, l'acceptation du sort imposé par une volonté souveraine, l'attente de l'oubli, seul remède à nos malheurs, le retour vers un Dieu de miséricorde qui seul guérit, seul pardonne.

Qui dira combien de cœurs débiles ou défaillants ont été raffermis et d'étincelles d'espoir allumées pendant les longues décades de la colonisation, comme pendant les douloureux épisodes de la guerre de libération, par une voix d'outre-tombe, au son d'un violon qui pleurait dans la nuit ou d'un ronronnement de rebab qui caressait les fibres de l’âme ?

Telle est pour nous gharnata : une musique incomparable, une voix lointaine des lointains aïeux, un écho d'une brillante culture, une sagesse jamais démentie, une mystique, une philosophie .

Ce mot est trop lourd de sens pour nous, trop riche de souvenirs du passé, de nourriture spirituelle dans le présent et de promesses pour l'avenir pour qu'il ne fasse pas partie de notre être .

Nous veillerons sur gharnata comme on veille sur un être cher, comme on veille sur un joyau laissé par ceux qui nous ont donné le jour .

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